ww Les revues JurisClasseur COMITÉ SCIENTIFIQUE : Claude BRENNER, Marceau CLERMON, Jean-François DESBUQUOIS, François FRULEUX, Laurent GAYET, Stéphane JACQUIN, Jean PRIEUR, Serge ANOUCHIAN ACTES PRATIQUES STRATÉGIE PATRIMONIALE ET Droit et fiscalité du patrimoine privé et professionnel TRIMESTRIEL N° 2 AVRIL-MAI-JUIN 2022 ISSN : 1956-3477 RÉDACTEUR EN CHEF : Anaïs Schouflikir-Gabriel Idée nouvelle Les patrimoines de l’entrepreneur individuel Christine LEBEL (p. 1) Le point sur ATAD 3 : proposition de directive du 22 décembre 2021 contre l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales Pierre d’AZEMAR de FABREGUES et Nicolas NEZONDET (p. 42) DOSSIER Fiducie et libéralités Dans ce numéro consacré au thème de la fiducie et des libéralités, universitaires, praticiens et magistrats présentent leur ingénierie croisée. Le lecteur sera certainement surpris de prime abord, car la fiducie-libéralité est par principe et pour l’heure prohibée. Le propos est ici différent en ce que la libéralité précède la fiducie et n’en est en rien le support. Sous la coordination de : Marceau CLERMON, notaire, membre de Fidnot Avec la participation de : Claude BRENNER, professeur à l’université Paris 2 Panthéon-Assas Helène BROTHIER, notaire, membre du comité scientifique de Fidnot Bruno ROBIN, avocat fiduciaire, membre de Fidnot Marion MAISETTI-FRANCHI, notaire associée, membre de Fidnot Thierry REVENEAU, magistrat, membre du comité scientifique de Fidnot Sabrina LE NORMAND-CAILLÈRE, maître de conférences HDR en droit privé à l’université d’Orléans
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N° 2/2011 : R etraites : régimes obligatoires et épargne facultative, où en est-on ? N° 3/2011 : P ratique patrimoniale des nouveaux divorces N° 4/2011 : L a délocalisation des personnes physiques N° 1/2012 : C ouples et société N° 2/2012 : L e Family buy out N° 3/2012 : L a protection du patrimoine privé du chef d’entreprise N° 4/2012 : L e don manuel N° 1/2013 : S ociété civile immobilière - choix comptables, stratégies fiscales N° 2/2013 : L es stratégies fondées sur les nouvelles donations N° 3/2013 : L a holding familiale et patrimoniale N° 4/2013 : L es stratégies patrimoniales fondées sur l’assurance-vie N° 1/2014 : L a rémunération des dirigeants sociaux N° 2/2014 : M écénat et philanthropie N° 3/2014 : L a société civile de portefeuille N° 4/2014 : L a holding animatrice de groupe N° 1/2015 : L es successions internationales N° 2/2015 : L a transmission de l’entreprise familiale N° 3/2015 : Q uasi-usufruit : Aspects théoriques et pratiques N° 4/2015 : L e régime matrimonial de la participation aux acquêts N° 1/2016 : L e contrôle fiscal patrimonial N° 2/2016 : L e loueur en meublé N° 3/2016 : L a rente viagère N° 4/2016 : La trésorerie dans les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés N° 1/2017 : Vieillir protégé : quelles stratégies face au risque de dépendance ? N° 2/2017 : Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu N° 3/2017 : Le renouveau de la gestion du patrimoine du mineur : Quels pouvoirs, quelles contraintes pour l’administrateur légal ? N° 4/2017 : Abus de droit : Article L. 64 du LPF et nouveaux dispositifs N° 1/2018 : La fiducie-gestion N° 2/2018 : L’assurance-vie N° 3/2018 : Les règlements européens en matière de régimes matrimoniaux et partenariats enregistrés N° 4/2018 : Organisation du patrimoine de l’artiste et du sportif N° 1/2019 : La représentation du chef d’entreprise N° 2/2019 : L’impôt sur la fortune immobilière (IFI) N° 3/2019 : La relation du conseil en gestion de patrimoine et de son client N° 4/2019 : Transmission de patrimoine et de philanthropie N° 1/2020 : L’allocation d’actifs N° 2/2020 : Les nouveaux dispositifs anti-abus N° 3/2020 : Transmission d’entreprise N° 4/2020 : La protection du conjoint survivant N° 1/2021 : Les nouveaux usages de l’usufruit et ses alternatives N° 2/2021 : Le private equity N° 3/2021 : L’impatriation N° 4/2021 : La gouvernance dans la transmission d’entreprise N° 1/2022 : Le capital-investissement et le chef d’entreprise : quel partenariat ?
2 Les patrimoines de l’entrepreneur individuel Christine Lebel, maître de conférences HDR en droit privé, codirectrice du Master Droit des Affaires, responsable de l’Axe Activités économiques et professionnelles du CRJFC, université de Bourgogne Franche-Comté, CRJFC, F-25000, Besançon, France La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 relative à l’activité professionnelle indépendante a mis en place un nouveau statut juridique unique pour l’entrepreneur individuel qui entrera en vigueur au plus tard le 15 mai 20221. Jusqu’alors, l’entrepreneur individuel pouvait choisir de créer un patrimoine d’affectation professionnel EIRL ou de ne pas le faire. Le plan indépendant du ministre délégué aux petites et moyennes entreprises de septembre 2021, et tout spécialement son axe I, avait pour objectif de créer un statut unique et protecteur pour l’entrepreneur individuel et faciliter le passage en société. Cette proposition était formulée ainsi : « Le plan en faveur des indépendants instaure ainsi un statut unique pour l’entrepreneur individuel. La mise en place de ce statut unique impliquera la suppression du statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) ». Elle est elle-même inspirée d’une proposition qui avait été faite il y a une petite dizaine d’années, fin 2013, dans le cadre d’une mission menée par le député Laurent Grandguillaume sur les entreprises et les entrepreneurs individuels dont les propositions en la matière n’ont pas abouti notamment en raison d’obstacles fiscaux2. Après une dizaine d’années d’entrée en application de l’EIRL, et malgré la simplification de son cadre juridique par la loi Pacte, les trois quarts des créateurs d’entreprises sans structure sociétaire ont fait le choix de ne pas créer de patrimoine d’affectation EIRL3. En outre, il apparaît que les créateurs d’entreprises individuelles sont de plus en plus jeunes (41 % ont moins de 30 ans) et, souvent insuffisamment accompagnés sur le plan juridique dans leur projet entrepreneurial, réalisent trop tard que leur patrimoine personnel n’est pas protégé. Concrètement, en raison de l’unicité du patrimoine, les créanciers professionnels peuvent saisir les biens qui ne font pas parties de la « partie non professionnelle » de leur patrimoine. Cette situation est particulièrement vraie en cas d’ouverture d’une liquidation judiciaire. Actuellement, et en l’absence de tout dispositif de protection patrimoniale mis en place au début de l’activité professionnelle indépendante, seule la résidence principale ne peut être saisie par les créanciers professionnels (C. com., art. L. 526-1, I). Le législateur, en application du droit au rebond du débiteur malchanceux et honnête, a souhaité rompre avec la spirale infernale de la défaillance, afin de donner une seconde change à l’entrepreneur individuel ou au dirigeant de société. Cette volonté, d’origine française depuis la loi du 25 janvier 19854, est devenue un objectif européen5 avec la directive (UE) 2019/ 1023 du 20 juin 20196 que l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 a transposé en droit français. L’entrepreneur individuel est défini légalement comme étant « toute personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes » (C. com., art. L. 526-22, al. 1er). Le nouveau dispositif juridique met en place une dissociation automatique du patrimoine de la personne physique. Jusqu’à son immatriculation (SIRET à défaut d’immatriculation à un registre de publicité légale, C. com., art. L. 526-23), celle-ci n’est titulaire que d’un seul et unique patrimoine. À compter de cette date, elle devient titulaire de deux patrimoines : ‰ un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire, utile (la notion d’utilité doit être prochainement précisée par décret à paraître) à l’activité ou aux activités professionnelles indépendantes qu’il réalise ; ‰un patrimoine personnel qui est composé des éléments non compris dans son patrimoine professionnel. Outre la question de la notion d’utilité qui reste à déterminer, l’article L. 526-26 du Code de commerce dispose que les nouvelles règles relatives aux patrimoines de l’entrepreneur individuel s’entendent « sans préjudice des pouvoirs reconnus aux époux pour administrer leurs biens communs et en disposer », ce qui ne manquera pas de soulever quelques difficultés en pratique. La mise en place de cette nouvelle conformation patrimoniale se fait automatiquement, de plein droit et sans aucune formalité ni publicité légale. L’entrepreneur individuel peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à la dérogation à la limitation du droit de gage des créanciers professionnels au patrimoine professionnel, par un engagement spécifique dont il doit préciser le terme, le montant, ce dernier ➔Suite page 2 1. L. n° 2022-172, 14 févr. 2022, art. 19, I, en faveur de l’activité professionnelle indépendante : JO 15 févr. 2022, texte n° 2 ; JCP N 2022, n° 7-8, act. 273. 2. P. Serlooten, La personnalisation de l’entreprise : réflexion à propos du rapport Grandguillaume : Bull. Joly Sociétés 2014, p. 126. 3. Sénat, projet de loi n° 869, 29 sept. 2021, exposé des motifs. 4. J. Vallansan et F. Petit, Droit au rebond : un pas de plus ! : Rev. proc. coll. 2021, dossier 11. 5. B. Freleteau, Fr. Macorig-Venieret et L. Sautonie-Laguionie, Le droit au rebond du débiteur après la directive du 20 juin 2019 : Quelles règles pour quelle réalité ? : JCP E 2020, 1078. 6. PE et Cons. UE, dir. (UE) 2019/1023, 20 juin 2019 : JOUE n° L 172, 26 juin 2019, p. 18. ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA 1 Idée nouvelle « Le législateur, en application du droit au rebond du débiteur malchanceux et honnête, a souhaité rompre avec la spirale infernale de la défaillance, afin de donner une seconde chance à l’entrepreneur individuel ou au dirigeant de société »
devant être déterminé ou déterminable (C. com., art. L. 52625) 7. La renonciation à la dissociation patrimoniale ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de réflexion de 7 jours francs à compter de la réception de la demande du créancier. Ce délai peut, sous certaines conditions, être réduit à 3 jours (C. com., art. L. 526-25, al. 2) 8. La renonciation doit impérativement respecter le formalisme qui sera précisé dans le décret à paraître, sous peine de nullité (C. com., art. L. 52625, al. 1er). Cette situation demeurera ainsi jusqu’à la fin de la réalisation de son ou de ses activités professionnelles indépendantes. En effet, et contrairement à l’EIRL, le nouvel entrepreneur individuel ne peut avoir qu’un seul et unique patrimoine professionnel. Ce dernier disparaîtra consécutivement à l’arrêt de toute activité professionnelle indépendante, par la transmission universelle du patrimoine professionnel (TUPP) 9 ou par le décès de l’entrepreneur individuel. En effet, cessation d’activité et décès entraînent la réunion des patrimoines professionnel et personnel (C. com., art. L. 52622, al. 8). En cas de contestation sur la composition du patrimoine professionnel, notamment à l’occasion de mise en œuvre de mesures d’exécution forcée, ou de mesures conservatoires initiées par un créancier professionnel, la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel (C. com., art. L. 526-22, al. 7). Le patrimoine professionnel constitue le gage commun des créanciers de l’entrepreneur individuel dont les droits sont nés à l’occasion de son activité professionnelle indépendante (C. com., art. L. 526-22, al. 6). Toutefois, le droit de gage de l’administration fiscale et d’organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales (LPF, art. L. 273 B) ou dans le recouvrement des cotisations ou contributions sociales (CSS, art. L. 133-4-7). En ce qui concerne le patrimoine personnel, si ce dernier s’avère être insuffisant, le droit de gage des créanciers non professionnels peut s’exercer sur le patrimoine professionnel dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. De plus, les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité professionnelle indépendante conservent leur effet quelle que soit leur assiette (C. com., art. L. 526-22, al. 6). En contrepartie de la mise en place de cette nouvelle organisation patrimoniale de l’entrepreneur individuel, le législateur a décidé l’extinction du patrimoine d’affectation EIRL10. À compter du 15 février 2022, date de la publication de la loi du 14 février 2022, il n’est plus possible de constituer de nouveaux EIRL. L’entrepreneur individuel peut toujours décider d’affecter à un EIRL préexistant des biens et droits ainsi que de procéder au retrait d’éléments d’un EIRL11. Finalement, les EIRL constitués pourront continuer à « fonctionner » jusqu’à leur disparition totale. En cas de difficultés financières, les mesures de prévention ou de traitement des difficultés financières s’appliqueront au seul patrimoine professionnel, conformément aux règles du livre VI du Code de commerce. Parallèlement, les difficultés financières du patrimoine personnel seront traitées au moyen des mesures de surendettement du livre VII du Code de la consommation. Enfin, le gérant majoritaire de SARL, les gérants de sociétés civiles, qu’il s’agisse des sociétés des professions libérales ou bien celles des exploitants agricoles, sont considérés comme étant des travailleurs non-salariés. Ils sont affiliés personnellement aux régimes de protection sociale correspondants et personnellement redevables de cotisations sociales des différents régimes de protection sociale : maladie-maternité, vieillesse, invalidité, maladie-accident du travail. En cas de difficultés financières, ces cotisations sont désormais intégrées dans le périmètre des dettes à traiter dans le cadre d’une mesure de surendettement (C. consom., art. L. 711-1 et L. 711-2). Cette mesure est entrée immédiatement en application. 7. Dont les modalités d’application doivent être précisées par le décret à paraître. 8. Avec la mention manuscrite qui sera précisée dans le décret à paraître. 9. N. Jullian, La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels : JCP E 2022, 1137. 10. L. n° 2022-172, 14 févr. 2022, art. 6, II. 11. L. n° 2022-172, 14 févr. 2022, art. 6, II. ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 2 Idée nouvelle
EN2022, ILRESTEBEAUCOUPÀFAIRE ! Tous ensemble et dans toute la France, nos 11 associations de chiens guides d’aveugles et notre Fédération mettent tout en œuvre pour éduquer des chiens guides et les remettre gratuitement à des personnes aveugles ou malvoyantes. Ne recevant aucune subvention les legs consentis à nos associations rendent possible ces rencontres qui redonnentmobilité et autonomie aux personnes handicapées visuelles dans leur vie quotidienne. Toutes nos Assoc i a t i ons sont exonérées de droits de succession et utilisent ainsi l’intégralité des dons et legs pour leurs missions. Grâce à la générosité du public nous pouvons financer nos 5 missions : la formation des chiens guides, l’accompagnement des maîtres de chiens guides, le retour vers l’autonomie, la sensibilisation des publics, la formation des éducateurs. Tous unis dans la Fédération Française des Associations de Chiens guides d’aveugles. 71, rue de Bagnolet - 75020 PARIS - Tél. : 01 44 64 89 89 - Fax : 01 44 64 89 80 CHIENS GUIDES D’AVEUGLES CENTRES PAUL CORTEVILLE Partout en France nous agissons au plus près des personnes déficientes visuelles au quotidien. Et si votre legs permettait plus de rencontres entre aveugles et chiens guides ? Tom et Moby son chien guide. LES CHIENS GUIDES D’AVEUGLES © Christophe Charzat DES CHIENS GUIDES POUR LES ENFANTS AVEUGLES Pour plus d’informations, rendez-vous sur www.chiensguideslegs.fr Numéro Vert : 0800 147 852
5 Fiducie et libéralités Marceau CLERMON, notaire, membre de Fidnot Claude BRENNER, professeur à l’université Paris 2 Panthéon-Assas Hélène BROTHIER, notaire, membre du comité scientifique de Fidnot Bruno ROBIN, avocat fiduciaire, membre de Fidnot Marion MAISETTI-FRANCHI, notaire associée, membre de Fidnot Thierry REVENEAU, magistrat, membre du comité scientifique de Fidnot Sabrina LE NORMAND-CAILLÈRE, maître de conférences HDR en droit privé à l’université d’Orléans, co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité, co-directrice du diplôme universitaire « Fiducie : former les acteurs de demain » « L'amour en héritage » Qui n'a jamais été confronté à cette question de conscience : fais-je du bien à celui à qui je donne ? Cela ne va-t-il pas fausser son rapport au travail et à l'argent... le corrompre ? En sens inverse, l'inertie n'est-elle pas pire ? Si rien n'est anticipé, l'héritage que je laisserai ne sera-t-il pas un fardeau, sans mode d'emploi ou d'équipe pour le gérer ? Mieux vaut certainement préparer l'héritier à recevoir et à gérer, cela fait partie de l'éducation. Si la vérité a un calendrier, seule la rétention de la propriété inhérente à la fiducie permet cet accompagnement avec fiabilité. Ici, la bienveillance guide nos choix : mieux donner, accompagner et protéger. La fiducie est mise au service des transmissions. La revue avait déjà consacré un numéro à la fiducie-gestion(Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 1 et s.). Le propos introductif en était confié à Robert Badinter, que l'on sait être le père et le promoteur du dispositif en droit français. Les applications alors rares de cette fiducie-gestion ont depuis pénétré le champ des libéralités pour en être le réceptacle. La pratique fait œuvre créatrice en la matière, offrant un outil complémentaire aux stratégies patrimoniales de transmission. Nécessité fait loi. Le lecteur sera certainement surpris de prime abord, car la fiducie-libéralité est par principe et pour l'heure prohibée. Le propos est ici différent en ce que la libéralité précède la fiducie et n'en est en rien le support. Les évolutions législatives à venir offrent un avenir prometteur à la fiducie. On le souhaite, elle pourra survivre à son créateur et s'exécuter entre les mains de ses héritiers sans restriction. Ce« package »de transmission rivalisera avec son grand frère anglo-saxon, letrust. Il en va de la compétitivité de notre droit interne. Remercions les auteurs qui ont ici livré un regard prospectif et approprié au service de l'équilibre des individus et de la paix des familles. Universitaires, praticiens et, pour un regard prudent, magistrat ont ici voulu servir la cause et présenter leur ingénierie croisée. « J’en ai lu, j’en ai tourné des pages Pendant mes années folles ou sages Pour quelqu’un qu’on ne met pas en cage C’est un beau cadeau L’amour en héritage (Vladimir Cosma) » Marceau CLERMON notaire et membre de Fidnot 4 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier
6 La fiducie : présentation introductive, Sabrina LE NORMAND-CAILLÈRE 7 La fiducie-sûreté à la garantie de l’exécution des libéralités consenties avec charges, Marion MAISETTI-FRANCHI, Bruno ROBIN 8 Fiducie-gestion : outil d’accompagnement, Hélène BROTHIER, Marceau CLERMON 9 Le tiers-protecteur : l’homme-clé de la « libéralité-fiducie », Thierry REVENEAU, Marceau CLERMON 10 La fiducie-libéralité, Claude BRENNER 6 La fiducie : présentation introductive Sabrina LE NORMAND-CAILLÈRE, maître de conférences HDR en droit privé à l’université d’Orléans, co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité, co-directrice du diplôme universitaire « Fiducie : former les acteurs de demain » 1. - DE LA THÉORIE... A. - Nature de la fiducie B. - Le régime de la fiducie 1° Le régime juridique 2° Le régime fiscal 2. - ... À LA PRATIQUE DE LA FIDUCIE A. - Pratique française de la fiducie B. - Pratique internationale de la fiducie française À l’aube de ses quinze années d’existence, un premier bilan s’impose. Si la fiducie est devenue un instrument incontournable de la pratique financière, son développement en matière d’ingénierie patrimoniale reste à faire. Innovante par nature, la fiducie doit s’imposer comme un instrument phare des libéralités et de la protection des personnes juridiques. Ce chantier est important mais aucunement infaisable. La fiducie ne mérite-t-elle pas une telle reconnaissance ? Osons la fiducie patrimoniale et osons surtout la réformer. 1 - Retour éditorial. – La revue a d’ores et déjà consacré plusieurs numéros aux instruments fiduciaires. Le dernier en date, celui de 2018, s’est tout particulièrement intéressé àLa fiducie-gestion1. Le constat était déjà que si la fiducie-sûreté s’était imposée comme une opération courante en matière de restructuration des sociétés, et tout particulièrement des entreprises en difficulté, la fiducie-gestion peinait encore à trouver sa place. Un appel était alors lancé par les auteurs : « Osons la fiduciegestion »2. 2 - Définition. –Pendant longtemps, le droit français a purement et simplement ignoré la fiducie. Véritable Arlésienne, son destin s’est fait attendre3. Ce n’est que par une loi du 19 février 2007 que la fiducie a intégré le Code civil dans un titre nouveau XIV du livre III « des différentes manières dont on acquiert la propriété »aux articles 2011 et suivants. Il s’agit d’un contrat par lequel une personne, le constituant, transfère pour une durée déterminée au contrat un bien, un droit ou un ensemble de biens ou de droits à un fiduciaire qui, les tenant séparés de son patrimoine personnel, agit dans un but déterminé au profit d’un bénéficiaire (C. civ., art. 2011). De cette définition légale résultent plusieurs caractères 4. Tout d’abord, la nature contractuelle de la fiducie. Ensuite, la création d’un patrimoine d’affectation protégeant les biens fiduciés à l’égard des créanciers personnels 1. Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 1 à 9, p. 4 et s. 2. B. Robin deMalet et R. Lantourne, Osons la fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 2, p. 6 et s. 3. P. Marini, La fiducie à la française, Conférence Association Droit et commerce, Tribunal de commerce de Paris, 8 oct. 2007 : RJ com. 2007, p. 1, n° 6. – C. Champaud, La fiducie ou l’histoire d’une belle juridique au bois dormant du droit français : RDAI 1991, p. 689. 4. V. not. sur la loi du 19 février 2007, G. Blanluet et J.-P. Le Gall, La fiducie, une œuvre inachevée – Un appel à une réforme après la loi du 19 février 2007 : JCP G 2007, I, 169. – P. Crocq, Lacunes et limites de la loi au regard du droit des sûretés : D. 2007, p. 1354. – J.-P. Le Gall, De la proposition de loi Marini à la loi – une perte de logique fiscale : JCP E 2007, 2058. 5 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier
du fiduciaire. Enfin, le résultat : un transfert sui generis dont la nature est toujours débattue en doctrine5. 3 - Bilan des 15 ans de la fiducie. –Quinze ans après son entrée dans le Code civil, la fiducie demeure sous-exploitée, tout particulièrement en matière de fiducie-gestion. Selon les chiffres de l’Association française des fiduciaires de 20146 : 430 000 fiducies ont été constituées depuis 2007 ; 10 Mds €sont traités en fiducie, 215 fiducies restaient encore ouvertes en 2014, soit un total de 4,6Mds €d’actifs en gestion. Au début de l’année 2020, le registre national des fiducies est constitué de 208 actes relatifs à des fiducies, dont 59 actes enregistrés au cours de l’année 20197. Si ces statistiques sont encourageantes, ils demeurent en deçà des possibilités offertes. À l’heure actuelle, la fiducie est surtout utilisée à des fins financières. Tout un champ de la fiducie en matière patrimoniale reste à explorer. Ces derniers mois, un mouvement favorable semble s’opérer en faveur du développement de la fiducie sous l’impulsion des ordonnances du 15 septembre 2021 venues renforcer son efficacité. En matière de sûretés, l’ordonnance n° 2021-11928 assouplit timidement le régime juridique de la fiducie-sûreté sans aller jusqu’aux modifications substantielles de celles envisagées par l’avant-projet de réforme de droit des sûretés 9. Associée à la réforme opérée par le droit des entreprises en difficulté10, nul doute que le législateur ouvre légèrement la voie à une fiduciesûreté moins formaliste11et pourquoi pas, à terme, à une « déformalisation » de la fiducie conclue à titre de garantie, comme l’avait proposé dès 2017 le groupe de travail constitué autour de Michel Grimaldi. Aucune autre garantie n’offre une meilleure protection juridique aux créanciers tout en conférant au débiteur l’assurance de pouvoir continuer l’exploitation de son entreprise. La fiducie devra toutefois s’acclimater à la reconnaissance de la cession de créance à titre de garantie12. Les praticiens ont toutefois encore des difficultés à s’en saisir et à apprivoiser ce nouveau contrat. Une intensification de l’évangélisation de cet instrument est plus que jamais nécessaire afin de les inciter à intégrer la fiducie dans leur pratique professionnelle. 4 - Formation sur la fiducie. – Jusqu’à ces derniers mois, il n’existait aucune formation sur la fiducie. Désormais, l’université d’Orléans accueille un diplôme d’université consacré à l’instrument 13. Le diplôme d’université « Fiducie : former les acteurs de demain » est un parcours de formation juridique, ayant accueilli ses premiers apprenants début novembre 2021, d’horizons divers 14 avec pour seul objectif la maîtrise de cet outil juridique original. Il s’agit d’une formation d’excellence réunissant des universitaires reconnus et les professionnels du domaine avec pour seul objectif de développer de nouvelles compétences. Par cette formation, les professionnels du droit sont incités à se saisir de la fiducie, soit en la conseillant, soit en proposant à leurs clients d’être fiduciaires. Les enseignements veillent à donner les clés nécessaires pour comprendre le mécanisme, mettre en place de nouveaux schémas de structuration des patrimoines et mieux, également, interpréter les textes en l’absence de décision de justice majeure sur ce contrat. 5 - Le fiduciaire, un nouveau professionnel ?. –Cette nouvelle formation met surtout en exergue la naissance d’une nouvelle profession, celle de fiduciaire. Celui-ci n’est pas un professionnel comme les autres. Sa spécificité tient à l’exercice parallèle d’une profession réglementée. L’article 2015 du Code civil limite l’exercice de cette activité aux avocats et a? certains organismes financiers réglementés tels que les établissements de crédit, les entreprises d’investissements, les sociétés de gestion de portefeuille et d’assurance. Le sérieux de ces professionnels lors de la rédaction du contrat mais également dans la gestion des biens placés en fiducie n’est plus à démontrer, comme en témoigne le peu de contentieux en la matière(C. civ., art. 2015). Ces professionnels très différents ont tous pour dénominateur commun d’être assujettis a? des contrôles opérés soit par un ordre, soit par une autorité? administrative indépendante. Cette restriction se comprend pour éviter que la fiducie ne soit détournée de son intérêt, notamment a? des fins de fraude fiscale ou de blanchiment d’argent. Se pose toutefois la question de l’ouverture de la qualité de fiduciaire à d’autres professions. On pense immédiatement aux administrateurs et aux mandataires judiciaires, professionnels des entreprises en difficulté ; aux notaires également, où la question sera sûrement abordée au prochain Congrès des notaires à Marseille consacré à l’ingénierie notariale. Dans l’attente d’une telle ouverture, ces professionnels ne restent pas hors champ de la fiducie. Bien au contraire, ils peuvent la conseiller, travailler étroitement avec des fiduciaires, notamment au sein de sociétés interprofessionnelles, voire revêtir une autre qualité, plus confidentielle, celle de tiers protecteur 15. 1. De la théorie... A. - Nature de la fiducie 6 - Aspects contractuels. –L’article 2011 du Code civil réserve au contrat un rôle prédominant dans l’opération fiduciaire. Il 5. B. Mallet-Bricout, Fiducie et propriété, in Liber amicorum Christian Larroumet, p. 297 à 327, n° 2. – C. Larroumet, La fiducie inspirée du trust : D. 1990, p. 119. – R. Libchaber, Les aspects civils de la fiducie dans la loi du 19 février 2007 : DEF 30 août 2007, n° AD2007DEF1094N1. – P. Crocq, Propriété et garantie, préf. M. Gobert, t. 248 : LGDJ, coll. Bibl. dr. privé, 1995, n° 29 et s., p. 22. – M. Grimaldi, La propriété fiduciaire, in La fiducie dans tous ses états, Colloque de l’Association Henri Capitant : Dalloz, 2011, p. 5. 6. S. Catoire, Introduction, in Fiducie sur titres, les nouvelles perspectives, Actes du colloque organisé le 22 octobre 2015 par l’Association française des fiduciaires : LGDJ, coll. Grands colloques, 2017, p. 9. Il est difficile d’avoir des chiffres précis sur le nombre de fiducies constituées à ce jour dans la mesure où le registre national des fiducies n’est pas public. L’accès est réservé notamment à certains agents de l’administration fiscale pour les besoins de la lutte du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. 7. Rép. min. n° 28723 : JOAN Q 18 nov. 2020, p. 8192. 8. Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021, portant réforme du droit des sûretés : JO 16 sept. 2021, texte n° 19 ; JCP N 2021, n° 46, 1322 à 1327 ; JCP N 2021, n° 47, 1328 à 1334 ; JCP N 2021, n° 48, 1335 à 1341. Ce texte porte réforme du droit des sûretés et rend plus cohérent le droit applicable aux sûretés. 9. M. Grimaldi, D. Mazeaud et P. Dupichot, Présentation d’un avant-projet de réforme de droit des sûretés : D. 2017, p. 1717. 10. Ord. n° 2021-1193, 15 sept. 2021, portant modification du livre VI du Code de commerce : JO 16 sept. 2021, texte n° 21 ; JCP N 2021, n° 38-39, act. 886, obs. A. Reygrobellet et J. Delvallée ; JCP N 2021, n° 38-39, act. 888. Elle réforme les dispositions relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés, tout en transposant la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 dite « restructuration et insolvabilité ». Un décret d’application a été adopté le 23 septembre 2021. 11. S. Farhi, La fiducie-sûreté dans l’ordonnance de réforme de droit des sûretés du 15 septembre 2021 : RLDC 2022, n° 199, étude 7040, p. 23 et s. 12. L’ordonnance de réforme du droit des sûretés, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, a introduit un nouveau mécanisme de transfert de créance à titre de garantie avec un nouvel article 2373 du Code civil aux termes duquel : « La propriété d’une créance peut être cédée à titre de garantie d’une obligation par l’effet d’un contrat conclu en application des articles 1321 à 1326 » (V. O. Deshayes, La cession de créance de droit commun à titre de garantie : Révolution dans le monde des sûretés sur créances ? : JCP E 2021, 1493. 13. Le diplôme d’université Fiducie à l’université d’Orléans : Actu-Juridique.fr, 22 févr. 2022 ; www.univ-orleans.fr/upload/public/2020-01/ Livret%20%20de%20présentation%20du%20DU%20FIDUCIE.pdf. 14. La promotion 2021-2022 est composée de professionnels divers : avocats, notaires, élèves-avocats, juristes travaillant en banque, élèves du Master 2 Droit des affaires et fiscalité. 15. Th. Reveneau et M. Clermon, Le tiers-protecteur : l’homme-clé de la « libéralité-fiducie » : Actes prat. strat. patrimoniale 2022, n° 2, dossier 9. 6 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier
n’est pas le simple support d’un transfert de propriété temporaire mais apparaît comme le cœur du mécanisme fiduciaire. Sa source, tout d’abord. La fiducie peut trouver sa source dans le contrat ou dans la loi. Elle doit alors respecter le formalisme imposé par la loi, quant aux mentions obligatoires (C. civ., art. 2018), l’article 2012 du Code civil réservant la possibilité de créer des fiducies légales. Cette faculté laisse notamment la possibilité au législateur de créer des fiducies à des fins d’utilité sociale. Les obligations, ensuite. La fiducie donne naissance à des droits et obligations à la charge des parties. En tant que prestataire de service, le fiduciaire se doit de réaliser l’objet de la fiducie conformément à l’étendue de ses pouvoirs et de rendre compte de sa gestion tant au constituant qu’au tiers désigné. Preuve en est, il peut être tenu responsable des fautes commises dans le cadre de sa mission. À ce titre, les avocats sont astreints à des obligations d’assurance et de garanties très importantes, limitant en pratique le recours à l’instrument. Certains éléments de définition de la fiducie ne peuvent être expliqués exclusivement par le concept de contrat et par son corollaire, les obligations personnelles. Le fiduciaire n’est pas un simple prestataire de service comme les autres. La relation nouée avec le constituant est également marquée par le droit des biens. En témoigne le recours à la notion de patrimoine d’affectation et de propriété16. 7 - Aspects réels. –Véritable entorse à la théorie classique du patrimoine d’Aubry et Rau, la loi du 19 février 2007 crée un véritable patrimoine d’affectation. Le fiduciaire détient les biens, droits ou sûretés transférés demanière séparée de son patrimoine personnel (C. civ., art. 2011). Même si les textes n’énoncent pas expressément le recours à la notion de patrimoine d’affectation, cela tombe sous le sens à l’aune de l’article 2025 du Code civil. Son alinéa 1er dispose que« le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine ». Ce principe permet une position particulièrement avantageuse du créancier-fiduciaire. L’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du débiteur constituant demeure sans conséquence sur les intérêts des créanciers, car ils demeurent bénéficiaires exclusifs du patrimoine fiduciaire ou de son prix. L’actif du patrimoine fiduciaire répond des dettes engagées pour la gestion et la conservation de celui-ci. En pratique, le patrimoine fiduciaire n’est pas totalement détaché des patrimoines personnels du constituant et du fiduciaire. S’agissant du premier, la loi prévoit deux tempéraments. Tantôt, l’article 2025 du Code civil autorise les créanciers du constituant à agir directement sur le patrimoine fiduciaire en cas de fraude à leurs droits ou s’ils sont titulaires d’un droit de suite lié à la publication d’une sûreté antérieure au contrat de fiducie. Tantôt, le deuxième alinéa de l’article 2025 du Code civil prévoit que si le passif s’avère supérieur à l’actif, le patrimoine du constituant constitue« le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire ». S’agissant du fiduciaire, la faculté contractuelle de mettre à la charge du fiduciaire les obligations nées du contrat en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire est expressément prévue. Loin de porter l’estocade au patrimoine fiduciaire, la fiducie ne constitue finalement qu’une nouvelle exception à la théorie de l’unicité du patrimoine. L’atteinte la plus notable semble porter non pas à la théorie du patrimoine, mais à la propriété. À ce sujet, le silence gardé par l’article 2011 du Code civil a agité la doctrine. Ce texte, à faute ou à raison, ne précise pas la nature du transfert réalisé. Deux courants doctrinaux s’opposent en la matière. Pierre Crocq privilégiait une conception unitaire de la propriété, réfutant l’existence d’une propriété fiduciaire aux côtés de la propriété ordinaire. S’appuyant sur les principes dégagés par la jurisprudence selon laquelle le propriétaire est celui qui recouvre in fine la plénitude des prérogatives sur le bien, l’auteur en a déduit que seul le bénéficiaire aurait vocation à recouvrer cette qualité. Le fiduciaire ne serait alors que titulaire d’un droit réel sur la chose d’autrui. Michel Grimaldi appréhende, au contraire, l’existence de droits concurrents sur les biens, droits et sûretés placés dans le patrimoine fiduciaire. La propriété fiduciaire serait une propriété limitée dans sa substance et dans sa durée en vue de l’accomplissement d’une mission. Elle se détacherait de la propriété ordinaire telle qu’envisagée par l’article 544 du Code civil. Plusieurs caractéristiques lui feraient défaut tant dans son contenu17que dans ses caractères (C. civ., art. 2022). En 2009, un amendement avait proposé d’ajouter un nouvel alinéa à l’article 2011 du Code civil : « Le fiduciaire exerce la propriété fiduciaire des actifs figurant dans le patrimoine fiduciaire, au profit du ou des bénéficiaires selon les stipulations du contrat de fiducie ». Adopté en première lecture le 9 juin 2009, cet amendement a été par la suite annulé par le Conseil constitutionnel au motif qu’il « ne présentait aucun lien, même indirect » avec les dispositions figurant dans la proposition de loi. Qualifiée de« cavalier législatif », cette modification n’a donc jamais vu le jour. Pourtant, cet amendement aurait mérité d’offrir aux juristes des clés d’interprétation en cas de silence des textes. Dans son avis n° 2008-03 du 7 février 2008, le Conseil national de la comptabilité a d’ailleurs retenu ce concept de propriété fiduciaire dédoublée entre, d’une part, la propriété juridique et, d’autre part, la propriété économique. B. - Le régime de la fiducie 1° Le régime juridique 8 - Conclusion du contrat. – L’article 2018 du Code civil impose un certain nombre de mentions obligatoires : la détermination des biens droits ou sûretés transférés ; la durée du transfert, l’identité des parties et intervenants au contrat de fiducie (constituant, fiduciaire et bénéficiaire, tiers protecteur ci-désigné), la mission du fiduciaire et l’étendue de son pouvoir d’administration et de disposition. Les textes spécifiques à la fiducie-sûreté ont imposé des conditions supplémentaires tenant notamment à la dette garantie. En l’absence de ces mentions obligatoires imposées par le droit commun de la fiducie, le contrat sera atteint de nullité. Le contrat devra être enregistré et publié au registre national des fiducies. Bien entendu, le contrat de fiducie ne peut se limiter à ces mentions obligatoires. Le contrat de fiducie est empreint d’un 16. S. Le Normand-Caillère, Droit et fiscalité du transfert temporaire de valeurs mobilières, t. 87 : LexisNexis, coll. Bibl. dr. entreprise, 2015. 17. En premier lieu, la propriété ordinaire se distinguerait de la propriété fiduciaire par son contenu. Élément de richesse, la propriété de l’article 544 du Code civil représenterait une valeur patrimoniale accroissant corrélativement l’actif du propriétaire et, donc, son crédit auprès des créanciers. Le transfert fiduciaire n’accroissant pas le patrimoine personnel du fiduciaire, comme l’attestent les articles 2024 et 2025 du Code civil, la propriété fiduciaire ne s’inscrirait pas, pour l’auteur, dans cette logique. Par ailleurs, la propriété ordinaire se caractériserait par les prérogatives conférées au propriétaire. Or, comme le souligne Monsieur le professeur Grimaldi, le contrat n’investirait pas le fiduciaire de l’ensemble de ces pouvoirs. Bien au contraire, le contrat doit prévoir, sous peine de nullité, « l’étendue des pouvoirs d’administration et de disposition du fiduciaire », lequel est tenu de rendre compte de sa mission au constituant. V. not. Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, La fiducie dans tous ses états, Journée nationale de l’UPEC (université Paris Est Créteil), colloque organisé le 15 avril 2010 : Dalloz, 2011. 7 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier
certain libéralisme. Le praticien a toute liberté pour conclure une convention de fiducie adaptée, sur-mesure, aux besoins de ses clients. Les contrats ne seront pas rédigés de la même manière selon qu’ils ont pour objet de gérer des biens ou de constituer une garantie. Un certain nombre de clauses ne devront pas être négligées, telles les conditions et modalités d’aliénation des actifs fiduciaires, les pouvoirs de chaque partie sur l’actif fiduciaire, les déclarations par le constituant 18, la responsabilité du fiduciaire19, la résiliation du contrat. 9 - Exécution du contrat. – S’agissant du fiduciaire, il devient propriétaire des actifs placés en fiducie et assume les risques liés à la chose en cas de disparition fortuite du bien. Le cas échéant, il aura l’obligation de le remplacer en valeur. Toutefois, par l’effet de la liberté contractuelle, les parties auront tout le loisir de prévoir une clause laissant notamment les risques au constituant ou les imputant au bénéficiaire. Si la disparition est due à une faute, la responsabilité du commettant sera alors engagée (fiduciaire ou tiers). Les pouvoirs du fiduciaire pourront soit être aménagés par le contrat de fiducie, soit être transférés en totalité. En tout état de cause, ils devront être exercés conformément à la mission convenue contractuellement. En présence de titres sociaux, il conviendra de ne pas négliger l’éventuelle procédure de communication des instructions de vote par le constituant ou par toute autre personne, outre l’existence d’un droit de veto au profit du bénéficiaire, voire du fiduciaire en cas de contradiction entre les instructions données par le constituant avec la mission assignée au contrat. Les parties devront accorder un soin tout particulier aux obligations de paiement du fiduciaire par le patrimoine fiduciaire. On pense immédiatement à la rémunération du professionnel. Néanmoins, cette clause doit être plus large afin de préciser ses obligations de gestion à son égard. En pratique, des problèmes se sont posés s’agissant notamment du paiement des taxes foncières. Cette répartition des prérogatives n’est pas toujours des plus évidentes. En principe, le contrat est conclu intuitu personae. Sans accord du constituant, il ne pourrait, en théorie, y avoir de « sous-fiduciaire »par la conclusion d’un nouveau contrat établi par le fiduciaire et un tiers afin de déléguer une partie de ses missions. Tout dépendra de la clause prévue dans le contrat de fiducie initiale, mais également de l’étendue de la délégation. Nul doute que cette question devra être déterminée dans le contrat de fiducie afin de lever toutes les incertitudes liées à l’accord du constituant et aux éventuelles questions de conflits d’intérêts. En cas de difficulté, les parties seront amenées à interpréter le contrat. En la matière, existe un devoir de loyauté du fiduciaire et des règles implicites de bonne conduite. Dans le cadre de l’exécution de sa mission, le fiduciaire se doit de respecter non seulement les obligations déontologiques de loyauté et de diligence (fiduciary duties), mais également celles de lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale. Il agira différemment selon la mission convenue entre les parties. Tantôt, il sera un fiduciaire au pouvoir plus restreint. Tantôt, il sera un fiduciaire aux pouvoirs plus étendus. Quels que soient ses pouvoirs, il devra rendre compte de sa gestion. Cette obligation devra être définie précisément dans le contrat quant à ses modalités (obligations d’information, reddition des comptes annuels ou encore éventuelles autorisations du constituant). Selon l’article 2026 du Code civil, le fiduciaire est responsable sur son patrimoine propre des fautes commises dans ses missions. Non seulement il est responsable de ses fautes de gestion, mais également il pourra être tenu responsable des biens placés sous sa garde, cette responsabilité ne nécessitant pas de preuve d’une faute en pratique. Seront utiles, pour le protéger, les clauses limitatives de sa responsabilité contractuelle. Leur efficacité sera toutefois subordonnée à l’absence de privation de la substance même de l’engagement de fiduciaire. S’agissant du constituant, plusieurs clauses devront également être négociées. La première tient assurément à l’insertion d’une convention de mise à disposition des biens placés dans le patrimoine d’affectation. En application de l’article 2017 du Code civil, le constituant a également le pouvoir de désigner un tiers de confiance chargé de protéger ses intérêts. Une clause contractuelle peut supprimer cette faculté au constituant sauf s’il s’agit d’une personne physique. Il pourra solliciter en justice la révocation et le remplacement du fiduciaire. Aucun texte du Code civil ne prévoit de disposition particulière s’agissant des fruits et des produits réalisés en cours de contrat. En principe, ils reviennent de droit au fiduciaire sauf clauses contractuelles spécifiques mettant en œuvre des versements au bénéficiaire. Par le contrat de fiducie, le constituant a des droits mais également des obligations, particulièrement celle de rémunérer le fiduciaire. En théorie, les prestations accomplies par le fiduciaire peuvent être gratuites ou onéreuses. Il est préférable que les parties précisent leur intention dès la conclusion du contrat de fiducie même si l’obligation de mentionner la rémunération du fiduciaire n’est pas exigée ad validitatem. En pratique, cette rémunération peut prendre la forme soit d’une somme forfaitaire, soit d’une somme fixe et variable en fonction de la valeur du patrimoine géré ou des résultats de la gestion. Cette rémunération pourrait alors être versée lors de la signature du contrat ou périodiquement. En revanche, le fiduciaire ne pourra prélever de son propre chef les revenus tirés de l’exploitation de la fiducie sauf stipulation contraire du contrat. S’agissant tout particulièrement de l’avocat fiduciaire, sa rémunération devra être distinguée de celle des autres intervenants(RIN, art. 6.5.5.). En l’absence de disposition expresse, le contrat ne pourra être présumé réalisé à titre gratuit. Après exécution de sa mission, le fiduciaire pourra saisir le juge afin qu’il fixe sa rémunération. 10 - Extinction du contrat. –Certaines causes d’extinction de la fiducie sont prévues expressément par la loi (C. civ., art. 2029). Il en va ainsi évidemment lors de l’arrivée du terme convenu entre les parties 20 ou encore de la réalisation du but poursuivi, de la liquidation judiciaire, de la dissolution, ou de la cession-absorption du fiduciaire. Cela peut encore être le cas lorsque le fiduciaire est contraint à une interdiction temporaire d’exercice, de radiation ou d’omission s’il s’agit d’un avocat. L’article 2029 du Code civil ajoute le décès du constituant personne physique et l’hypothèse d’une renonciation du contrat de fiducie par l’intégralité des bénéficiaires. L’article 2028 du Code civil a également ajouté des cas de résiliation anticipée par le constituant tant que la fiducie n’a pas été acceptée. Ainsi, le contrat de fiducie reste irrévocable tant que la fiducie n’a pas été acceptée par le bénéficiaire. La souplesse laissée par le législateur au contrat permet de prévoir certaines possibilités de résiliation avec ou sans indemnité, et de préavis. Par exemple, pourrait ainsi être insérée dans 18. Cette clause apporte en pratique des informations non négligeables sur le déroulement de la fiducie. 19. Cette clause met en exergue l’existence d’un patrimoine d’affectation et ses conséquences à l’égard du professionnel de la fiducie. En cas de faute, il sera tenu responsable des fautes accomplies dans le cadre de sa mission. Plus la clause sera précise, plus il sera protégé. Cela permettra également au professionnel de se rendre compte de l’ampleur de la tâche de fiduciaire qui l’attend, notamment quant à l’exécution du contrat de fiducie. 20. Celui-ci ne peut excéder 99 années et il doit être déterminé au contrat. 8 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier
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