Actes pratiques et strategie patrimoniale

l’insolvabilité du débirentier interroge. Si des solutions pratiques existent, celles-ci contreviennent nécessairement avec la volonté de tranquillité attendue des crédirentiers, souvent des personnes âgées... En théorie, l’insertion d’une clause résolutoire permet de pallier les difficultés liées à la défaillance du débiteur de la charge. De même et en l’absence d’une telle clause, le créancier demeure libre d’intenter une action en révocation de la donation. En pratique toutefois, ces deux sanctions issues du droit commun s’avèrent lourdes à mettre en œuvre, et ce d’autant qu’elles se révèlent contraires à l’entente familiale paisible souhaitée par le donateur. B. - L’insuffisance des sanctions de droit commun face à la volonté de transmission du donateur 10 - Une fois la confiance brisée par l’inexécution de la charge par le donataire, deux actions s’offrent au donateur : solliciter l’exécution forcée de la charge, ou la révocation de la donation. L’une comme l’autre révèlent toutefois l’insuffisance du droit commun dans l’hypothèse de l’inexécution d’une libéralité consentie avec charge, témoignant de la nécessité de proposer une solution innovante en la matière. Dans un premier temps, l’exécution forcée de la charge est absolue, lorsque celle-ci constitue une obligation de faire (C. civ., art. 1221). À l’inverse, l’obligation de payer à laquelle sont soumis les créanciers d’une rente viagère ou les quasi-usufruitiers peut faire l’objet d’une exécution forcée. Mais elle n’est pas sans coût financier ni psychologique, et demeure incertaine dans son efficacité. Il semble, dès lors, préférable de recourir à la révocation de la donation opérée compte tenu de l’inexécution de la charge par le donataire. L’article 953 du Code civil dispose ainsi que « la libéralité entre vifs ne pourra être révoquée que pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite [...] ». Face à un donataire n’exécutant pas la charge pourtant imposée et acceptée par lui à l’acte de donation, le disposant peut agir en révocation de la libéralité. Cette possibilité s’avère toutefois inefficace en pratique. 11 - Les incertitudes de l’action judiciaire en révocation. – Face à un donataire n’exécutant pas ou plus la charge attachée à la libéralité, le donateur peut tout d’abord solliciter le juge, ce qui le contraint à entreprendre des démarches parfois longues et représentant un coût certain. Pour faire droit à une éventuelle demande en révocation de la donation pour inexécution de la charge, encore faut-il parvenir à caractériser cette inexécution et qu’elle soit suffisamment grave. L’inexécution de la charge relève souvent des circonstances d’espèce. Quiden cas d’exécution modifiée14de la charge, ou en présence d’un donataire exécutant imparfaitement ou partiellement ou tardivement la charge ? En la matière, les juges du fond disposent d’un très large pouvoir d’appréciation. La charge souhaitée initialement par le donateur est alors sujette à un important aléa, et les précisions apportées par le donateur à l’acte de donation seront d’autant plus précieuses pour éclairer le juge. En indiquant expressément à l’acte de donation que la charge constitue une cause impulsive et déterminante de la libéralité, sans laquelle le donateur n’y aurait pas consenti, cela limite ainsi le pouvoir d’appréciation des juges du fond. Cependant, le donataire peut suspendre l’action en révocation de la donation, s’il parvient à prouver qu’à la suite des changements de circonstances, l’exécution est devenue particulièrement difficile ou sérieusement dommageable15, tout en justifiant des diligences qu’il a déjà accomplies pour exécuter la charge. Si la révision est accordée, l’action en révocation ne redevient possible que si le donataire n’exécute pas la charge telle qu’elle résulte de la révision. La sanction de l’inexécution de la charge est ainsi dans les mains des juges du fond, qui disposent de toute la latitude possible pour déterminer si les faits d’espèces justifient ou non une inexécution caractérisée, suffisamment grave pour justifier la révocation. Afin de restreindre cette appréciation, le donateur peut doubler la charge grevant la donation d’une clause révocatoire insérée à l’acte, dont l’application se révèle tout aussi incertaine. 12 - Les limites des clauses révocatoires. – L’article 956 du Code civil n’étant pas d’ordre public, le donateur, avec l’accord du gratifié, peut insérer à l’acte de donation une clause de révocation expresse ou clause de résolution de plein droit. En application de cette mention, les parties consentent à ce que la révocation de la libéralité intervienne de plein droit, du seul fait de l’inexécution16. Les conditions de validité de cette révocation expresse sont strictement encadrées par les dispositions de l’article 1225 du Code civil. En effet, la clause résolutoire doit préciser les charges dont l’inexécution entraînera la résolution de la donation. De plus, les parties sont libres de prévoir que la résolution résultera du seul fait de l’inexécution de la charge. Mais il est recommandé de subordonner la résolution de la donation à l’envoi préalable au donataire d’une mise en demeure mentionnant expressément la clause résolutoire. En cas de mise en demeure (réalisée dans les formes strictement prescrites par la clause) restée infructueuse, la révocation pourra alors jouer de plein droit, sauf cependant à ce que l’exécution de la charge révèle un caractère subjectif et non binaire, telle une obligation, par exemple, d’assister un proche... Néanmoins, ces clauses n’excluent pas pour autant le recours au juge. En effet, le donataire peut toujours contester l’inexécution de la charge ou son étendue, discuter la mise en œuvre de la clause de révocation expresse ou ses conséquences. En cas de refus de la part du donataire de restituer les biens donnés, le donateur devra malgré tout saisir le juge. Certes, ce dernier sera contraint par les termes de la clause relativement à la gravité de l’inexécution : le juge est alors privé de son pouvoir d’apprécier si la gravité de l’inexécution justifie ou non la résolution de la donation (à l’inverse de la révocation judiciaire), dans la mesure où le degré de gravité est défini par la clause résolutoire. Mais le juge du fond reste compétent pour vérifier les conditions de la résolution. Enfin, même dans l’hypothèse des contrats à titre gratuit, d’une révocation unilatérale extrajudiciaire de l’article 1226 du Code civil par voie de simple notification, le donateur n’a d’autre choix que de saisir le juge, si le gratifié refuse de restituer spontanément les biens 17. 13 - La résolution de la donation : le donateur créancier insatisfait. –En cas de révocation d’une libéralité pour cause d’inexécution de la charge pourtant initialement acceptée par le gratifié, la donation est rétroactivement anéantie : le donataire doit restituer au donateur les biens reçus (C. civ., art. 954). Le donateur agit en revendication des biens donnés ; à défaut d’exécution possible en nature, la restitution a alors lieu en valeur. Dans le cadre de clause révocatoire conventionnelle, la révocation en valeur peut également être prévue par les parties. 14. CA Toulouse, 1re ch., 12 janv. 2006, n° 04/05547 : JurisData n° 2006296249. 15. Action en révision des articles 900-2 et suivants du Code civil. 16. La stipulation d’une telle clause n’interdit pas pour autant au donateur d’agir en exécution forcée de la charge. 17. Y. Flour, Droit patrimonial de la famille : Dalloz Action, 7e éd., 2021/2022, n° 315-50. 15 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier

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