Actes pratiques et strategie patrimoniale

jour du décès de ce dernier. Le disposant impose au premier gratifié l’obligation de transmettre les biens donnés. Mais à l’inverse de la donation graduelle, il n’est pas tenu de les conserver. Il peut en disposer entre vifs 7, à titre onéreux (vente, échange) ou à titre gratuit (si le donateur ne le lui a pas interdit (C. civ., art. 1059, al. 2)). En revanche, il ne peut en disposer à cause de mort 8, sans quoi la donation résiduelle serait privée de tout effet. Si le législateur est venu préciser que les droits du second gratifié ne se reportent pas sur le produit de la vente (en cas d’aliénation par le premier gratifié) ou sur les biens nouvellement acquis(C. civ., art. 1058, al. 2), la volonté supplétive du donateur est admise par une doctrine majoritaire, laquelle accepte ainsi que le donateur puisse prévoir à l’acte de donation le mécanisme de la subrogation conventionnelle9. En tant que propriétaire des biens transmis, le premier gratifié n’a pas à rendre compte de sa gestion (sauf stipulation contraire à l’acte de donation). Il peut tout à loisir disposer intégralement des biens reçus, sans obligation de remploi. Ce type de libéralité est tout à fait adaptée pour les personnes souffrant de handicap ou les conjoints en secondes noces : assurer à l’enfant le maintien de son cadre de vie dans le premier cas, protéger le restant de sa vie le conjoint dans le second cas, sans aucune limite et donc sans contraintes. Néanmoins, le pouvoir de disposer n’implique pas toujours la disparition complète des biens donnés ou légués. La traçabilité des flux est alors d’autant plus nécessaire pour assurer le suivi des actifs subrogés. Là encore, aucune difficulté ne sera soulevée en présence de biens immobiliers, le second bénéficiaire étant inscrit auprès des services de publicité foncière, au même titre que la charge de restituer. Mais quiddans l’hypothèse d’une aliénation du bien donné avec subrogation conventionnelle ? Dans cette hypothèse, survient un problème de traçabilité du bien meuble sur lequel se reportent les droits du second gratifié. 6 - Le risque d’inexécution de l’adhésion au pacte d’actionnaires. – Dans le cadre de donations portant sur des titres sociaux, que ce soit au profit d’enfants ou de salariés de la société, il est fréquent que ces biens soient « attachés » à un pacte d’actionnaires supposant l’adhésion du donataire. Il en est notamment ainsi dans le cadre d’une cession de société projetée à moyen terme ; le dirigeant souhaite pouvoir allotir ses enfants ou ses salariés, tout en s’assurant que ces derniers respecteront les engagements attachés aux titres sociaux, tels que les clauses dites de« drag along »ou de« tag along ». Ou encore dans le cadre d’une transmission des titres sociaux soumis au dispositif de la loi Dutreil : comment garantir au disposant que les donataires exécuteront l’engagement de conservation des titres tant en phase collective qu’individuelle ? Une fois la donation des titres sociaux réalisée, rien ne garantit en effet l’adhésion des donataires à un tel pacte, venant ainsi mettre en péril la pérennité de la donation opérée. Au-delà des difficultés liées à l’inexécution d’une obligation de conserver, de traçabilité ou d’adhérer, l’efficacité de la libéralité peut également être affaiblie en cas de défaut à son obligation de paiement par le donataire. 2° Les risques liés à l’inexécution d’une obligation de restitution et de paiement 7 - Le bénéficiaire de la libéralité peut également être gratifié d’une obligation de payer, que celle-ci intervienne à terme, dans l’hypothèse de la créance de restitution en présence d’un quasiusufruit, ou à échéance régulière, en présence d’une rente viagère. La défaillance du débiteur est caractérisée en cas de défaut de paiement et/ou d’insolvabilité du donataire. 8 - Les difficultés de restitution liées au quasi-usufruit. –Dans le silence du Code civil, la notion de quasi-usufruit se dégage de l’article 587 relatif aux biens consomptibles (ceux dont on ne peut faire usage sans les consommer), lequel autorise l’usufruitier à s’en servir, à charge de restituer en fin d’usufruit (quasiusufruit légal). Et bien que le domaine conventionnel du quasiusufruit soit encore discuté10, la doctrine11et la jurisprudence admettent la possibilité d’étendre de manière conventionnelle le quasi-usufruit aux choses fongibles. Outil au cœur de la transmission de patrimoine, le quasiusufruit présente l’avantage pour l’usufruitier de pouvoir se comporter comme s’il était propriétaire : il lui permet non seulement d’avoir la jouissance des biens, mais également d’en disposer 12. Bien que le quasi-usufruitier dispose des attributs de la propriété, cet usufruit spécial n’en fait pas pour autant un propriétaire des biens, compte tenu de l’obligation de restitution dont il reste redevable vis-à-vis du nu-propriétaire en fin d’usufruit. À la différence de la propriété qui est perpétuelle, le quasi-usufruitier doit, en effet, au terme de l’usufruit, restituer au nu-propriétaire une chose de même quantité et de même qualité ou de même valeur (C. civ., art. 587), faisant naître une créance de restitution au profit du nu-propriétaire. Le quasi-usufruit bénéficie de mécanismes protecteurs particuliers, tels que la conversion en rente viagère(C. civ., art. 759)ou l’abus de jouissance(C. civ., art. 618). Rien ne permet toutefois de réellement pallier l’insolvabilité du débiteur, si ce n’est la constitution préalable d’une caution. Or, compte tenu du lien de parenté les unissant, les parties conviennent souvent de dispenser l’usufruitier de fournir caution... Le quasi-usufruit présente donc des problématiques communes avec l’exécution d’une libéralité assortie de charges : que se passe-t-il si le quasi-usufruitier laisse le bien transmis se dégrader, ou devient insolvable lors du terme ? À l’instar de l’exécution des libéralités consenties avec charges, le besoin de sécuriser cette créance à terme devient alors une nécessité, afin de garantir l’intangibilité du droit du nu-propriétaire13. 9 - Le risque d’insolvabilité du débiteur d’une rente viagère. – La constitution d’une libéralité avec charge peut également être assortie de l’obligation du versement d’une rente au donateurcrédirentier ou à un tiers, jusqu’à la mort de celui-ci. Au-delà des questions entourant la réalité de l’animus donandi du donateur, la principale difficulté réside dans le défaut de paiement de la rente viagère. Si l’exécution forcée du paiement peut constituer une solution temporaire dans cette hypothèse, la question de 7. Compte tenu de la qualification d’universalité de fait attachée au portefeuille de titres, les titres acquis en remploi d’arbitrages réalisés par le premier donataire sont subrogés à ceux vendus, de telle sorte que la seconde libéralité pourra s’exercer sur le portefeuille donné au décès du premier gratifié. 8. Sauf si la donation avec charge a été consentie en avance de part successorale(C. civ., art. 1059, al. 3). 9. M. Nicod, Libéralités graduelles et résiduelles : quelques difficultés d’application : JCP N 2008, n° 29, 1249. 10. F. Terré et Ph. Simler, Droit civil : les biens : Dalloz, 10e éd., 2018, n° 789. 11. M. Grimaldi, L’emploi des deniers grevés d’usufruit : DEF 28 févr. 1999, n° AD1999DEF193N1, p. 193. 12. Par exemple, la donation d’actifs sociaux avec réserve de quasi-usufruit offre au dirigeant social le confort de pouvoir transmettre son patrimoine professionnel, tout en guidant ses enfants dans la mesure où il conserve pour partie le contrôle de la société. Forme dérivée de l’usufruit, le quasi-usufruit sur un portefeuille de titres accroît les pouvoirs de disposition du donateur, là où la simple réserve d’usufruit n’autorise que des arbitrages des valeurs mobilières soumis à subrogation réelle, compte tenu de l’universalité que constitue le portefeuille. L’intérêt du quasi-usufruit en matière de clause bénéficiaire démembrée de contrat d’assurance-vie est également acquis. 13. C. Orlhac, La protection du nu-propriétaire dans un régime de quasi-usufruit : Actes prat. strat. patrimoniale 2015, n° 3, dossier 19. 14 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier

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