Actes pratiques et strategie patrimoniale

le contrat une clause de résiliation en cas d’imprévision(C. civ., art. 1195). La prolongation du contrat de fiducie peut poser certaines difficultés dans la mesure où la durée légale est fixée à 99 années. L’avenant au contrat de fiducie devra respecter le formalisme imposé lors de la conclusion du contrat de fiducie ainsi que, semble-t-il, son contenu. Pourrait également être envisagé le renouvellement du contrat de fiducie avec l’accord des parties avant son achèvement. La succession de deux contrats de fiducie poserait toutefois certaines difficultés notamment quant au retour des biens transférés au bénéficiaire final de la fiducie. Enfin, la tacite reconduction pourrait être envisagée par une clause spécifique enregistrée. 2° Le régime fiscal 11 - La neutralité fiscale. – En 2007, la neutralité fiscale est érigée comme principe en matière de fiducie. Le législateur assimile tantôt le patrimoine fiduciaire à une société transparente, tantôt le transfert fiduciaire à une opération intercalaire. La fiscalité de la fiducie peut de prime abord dérouter. Elle résulte d’un mélange de deux concepts fiscaux par nature opposés : d’une part, au moment de la constitution du contrat, la fiducie est assimilée à une société de capitaux par emprunt au régime de faveur des fusions, pour l’imposition de la plus-value ; d’autre part, le législateur assure la neutralité fiscale de l’opération fiduciaire en s’inspirant de la transparence fiscale des sociétés de l’article 8 du CGI s’agissant de l’imposition des résultats. L’objectif visé est ici de mettre sur un pied d’égalité le contribuable qui gère directement ses biens et celui qui les confie à un fiduciaire. Pour cela, le fiduciaire est dispensé de payer des impôts sur les bénéfices réalisés et le constituant est taxé comme s’il avait acquis directement le revenu concerné. Le résultat se trouve ainsi déterminé au niveau du fiduciaire ; la taxation, quant à elle, se réalise au niveau du constituant. Pour imposer, la fiscalité s’attache en principe aux qualifications juridiques. Ainsi, lorsque l’imposition est liée à la qualité de propriétaire, « la définition du droit de propriété est à rechercher dans le Code civil et non dans les instructions administratives ou dans la jurisprudence du Conseil d’État »21. Toutefois, si une telle approche devait être privilégiée en matière de fiducie, la fiscalité s’avérerait pénalisante. L’opération serait assimiléeipso factoà une double mutation. Pour éviter un tel régime fiscal, le législateur avait deux options : soit reconnaître la nature sui generis du transfert réalisé, soit l’ignorer. En 2007, le législateur a choisi la seconde : par le recours à une fiction fiscale, la neutralité, il a évité que le transfert fiduciaire, par nature temporaire, ne soit assimilé à un double transfert de propriété. Ce régime ne s’applique pas sans condition : la loi exige notamment que le constituant soit le bénéficiaire de la fiducie et impose la retranscription des actifs à certaines valeurs. Au moment de la constitution, la mise en fiducie n’est pas, sous certaines conditions, un fait déclenchant l’impôt. Sur le même modèle que les fusions, l’opération fiduciaire bénéficie d’un sursis d’imposition22. Pour aboutir à une telle neutralité, le législateur ignore purement et simplement le transfert temporaire réalisé. Tantôt cette négation du transfert réalisé s’opère au détriment du contribuable comme en matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) où le transfert fiduciaire demeure indifférent, le constituant reste redevable d’un impôt sur un actif patrimonial dont il ne détient plus la pleine et entière propriété. Tantôt, cette négation du transfert fiduciaire profite au constituant par lemaintien, sous certaines conditions, de régimes de faveur. 12 - Défauts du régime actuel. –Le droit positif offre actuellement un cadre fiscal balisé pour les praticiens. Toutefois, le diable se cache souvent dans les détails. Le législateur ne peut tout prévoir. Le maintien de la neutralité fiscale est essentiel dans les opérations de fiducie-gestion afin de permettre un aller-retour gratis. A priori simple, l’objectif de neutralité n’est pourtant pas toujours abouti. L’exemple le plus topique en la matière est sûrement l’application des régimes spéciaux liés aux titres de participations. Afin de faciliter le financement des entreprises, le législateur a permis, pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2014, le maintien du régime mère-fille et d’intégration fiscale alors que les titres de filiales sont transférés dans un patrimoine fiduciaire. Toutefois, ce maintien est subordonné à une exigence alternative que« le constituant conserve l’exercice des droits de vote attachés aux titres transférés »ou que« le fiduciaire exerce ces droits dans un sens déterminé par le constituant, sous réserve des éventuelles limitations convenues par les parties au contrat établissant la fiducie pour protéger les intérêts financiers du ou des créanciers bénéficiaires de la fiducie ». Si cette réforme opérée par la loi de finances pour 2014 est à saluer dans la mesure où elle sécurise les schémas sociétaires en renforçant la neutralité fiscale, elle n’a pas donné aux praticiens toutes les clés d’interprétation du régime applicable. Par exemple, que se passe-t-il si les titres ne comportent aucun droit de vote comme l’y autorise désormais le régime mère-fille sous l’impulsion de la jurisprudence ? Le plus gros défaut du régime fiscal actuel de la fiducie tient assurément au fait que le législateur n’ait pas appréhendé l’originalité de ce nouveau contrat : tantôt, par la technique de l’emprunt, il a souhaité transposer certains régimes fiscaux à la fiducie, comme celui des fusions ou encore celui de la transparence fiscale des sociétés de personne ; tantôt, il a souhaité limiter tout risque d’évasion fiscale. L’heure est ainsi venue non seulement d’adapter la fiducie aux transmissions des biens ou droits mis en fiducie à destination des personnes autres que le constituant, mais également d’édicter un régime commun pour la fiducie et letrust. 2. ... à la pratique de la fiducie A. - Pratique française de la fiducie 13 - Témoin d’une résurgence de la distinction romaine entre fiducia cum creditoreet lafiducia cum amico, l’opposition entre la fiducie-gestion et la fiducie-sûreté s’avère en pratique non pertinente. La plupart des fiducies-sûretés disposent des aspects de gestion. Le caractère hybride de ces fiducies témoigne que « les parties ne cherchent pas uniquement, en constituant une fiducie, à mettre en place une sûreté inviolable. Elles souhaitent également s’appuyer sur les compétences et l’indépendance d’un tiers de confiance, le fiduciaire »23. 14 - Pratiques autorisées. –Avant même l’intégration expresse de la fiducie par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007, les marchés financiers utilisaient d’ores et déjà des mécanismes d’inspiration fiduciaire : la vente conclue sous faculté de rachat, le prêt, la pension, les conventions de portage, les remises de 21. M. Cozian, Propos désobligeants sur « une tarte à la crème » : l’autonomie et le réalisme du droit fiscal, in Les grands principes de la fiscalité des entreprises : Litec, 4e éd., 1999, p. 1. 22. La neutralité est organisée différemment selon que les biens fiduciés sont ou non des biens amortissables. S’agissant des biens non amortissables, la taxation des plus-values est différée au moment de la cession définitive de ces biens sous réserve que les exigences de comptabilisation des actifs soient respectées. S’agissant des biens amortissables, la taxation des plus-values est lissée par la réintégration progressive sur une durée comprise entre 5 et 15 ans dans le résultat de l’actif fiduciaire. 23. B. Robin deMalet et R. Lantourne, Osons la fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 2, p. 6 et s. 9 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier

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