Actes pratiques et strategie patrimoniale

nabilité pour cause légitime34 – que parce qu’elle offrirait par nature un moyen très performant d’en déléguer la gestion à un tiers de confiance. Sous ce rapport, la libéralité graduelle souvent mise en comparaison ne présente assurément pas les mêmes attraits, car ses objectifs sont différents : constitutive d’une double libéralité successive impérativement articulée autour du décès du premier gratifié, elle ramène les prérogatives de celui-ci à une gestion conservatoire dans l’intérêt du second (C. civ., art. 1048 et s.). À raison des possibilités d’aménagement qu’elle tolère, la double libéralité en usufruit et en nue-propriété pourrait davantage se rapprocher de l’objectif poursuivi, mais elle reste une double libéralité, à la différence de la fiducie-libéralité. Le droit français n’ignore cependant pas les mécanismes de dissociation juridique de la propriété transmise à titre gratuit et de son administration. La mise en société des actifs avec disposition à titre gratuit des parts sociales, dont on a vu plus haut qu’elle permet d’introduire la fiducie-gestion dans le processus libéral, grâce à l’intermédiation de la personne morale, peut également, indépendamment d’elle, organiser la préservation de l’actif social d’une gestion inopportune par aménagement statutaire des pouvoirs de gestion et de contrôle de la société35. Plus directement, l’article 384 du Code civil autorise à soustraire les biens donnés ou légués à un enfant mineur à l’administration légale de son représentant pour les soumettre – y compris quant à sa réserve héréditaire, décide la jurisprudence36 – à l’administration d’un tiers quelconque doté de pouvoirs qui peuvent être librement dessinés du moment qu’il n’en résulte aucune possibilité de révocation indirecte de la libéralité consentie37. Certes, une telle clause perd efficacité à la majorité du gratifié mais, dans la mesure où elle n’affecterait pas la réserve du gratifié, on ne voit pas ce qui interdirait d’en prolonger volontairement les effets au-delà de ce terme par une stipulation expresse ; ce qui peut utilement autoriser une attribution progressive du pouvoir de gestion au jeune adulte. Et si, à raison de sa spécialité, il n’est probablement pas possible d’étendre en lui-même le dispositif légal au bénéfice de l’assurance-vie, faute de libéralité38, on ne voit pas non plus ce qui interdirait d’attribuer celui-ci sous une administration tierce, la stipulation pour autrui pouvant naturellement s’accommoder de charges 39. Il reste que ces différentes possibilités, même si elles peuvent être combinées selon la situation et suivant l’objectif concrètement poursuivi, n’ont ni la simplicité ni l’étendue d’usage de la fiducie-libéralité dont la plasticité et la polyvalence sont l’un des attraits majeurs. Elles présentent aussi une plus grande fragilité, notamment en ce que lemandat, même irrévocable, ne prive pas en lui-même le propriétaire de sa liberté de disposition40et en ce qu’une faculté de retrait, d’ordre public, est reconnue aux associés d’une société civile41. 14 - Exécution testamentaire et mandat à effet posthume versusfiducie-libéralité. –Le contraste entre les bénéfices prêtés à la fiducie-libéralité et le droit positif est plus manifeste encore, lorsque l’on considère les instruments que celui-ci offre spécifiquement aude cujus pour placer entre les mains d’un tiers la gestion des biens qu’il laisse à son décès. L’exécution testamentaire ne dote celui qui en est investi que de pouvoirs limités, principalement conservatoires et liquidatifs que borne la réserve héréditaire et dont la durée est limitée à 2 ans sauf prorogation judiciaire, parce que leur objet est seulement de permettre aux dispositions à cause de mort prises par le défunt de sortir leurs effets (C. civ., art. 1025 et s.). Le mandat à effet posthume, qui consiste à confier à un tiers le soin d’administrer tout ou partie de la succession – réserve comprise – pour le compte et dans l’intérêt d’un ou de plusieurs héritiers (C. civ., art. 812 et s.), offre de plus grandes possibilités en meilleur accord avec l’objectif recherché : dès lors que la succession a été acceptée par l’un des héritiers visés, le mandataire – qui peut être librement choisi par lede cujus 42– dispose, dans les limites de son investiture, des plus larges pouvoirs d’un gérant pour compte d’autrui que même la présence d’un mineur ou d’un majeur protégé parmi les héritiers ne vient pas restreindre (C. civ., art. 812-1). Mais cette souplesse se paie d’une importante précarité : la durée d’un mandat ne peut excéder 2 ans à compter du décès ou même 5 ans en raison de l’inaptitude, de l’âge du ou des héritiers, ou de la nécessité de gérer des biens professionnels, et elle ne peut être prorogée (une ou plusieurs fois) que sur décision judiciaire(C. civ., art. 812-1-1, al. 2) ; en outre, le pouvoir de disposition est conservé par les héritiers qui peuvent ainsi mettre fin unilatéralement à la mission du mandataire en la privant d’objet 43. Autre restriction impor34. On rappelle que la temporalité nécessaire de cette inaliénabilité devrait logiquement limiter aussi la durée contraignante de l’affectation fiduciaire : V. supra, n° 9. 35. Sur ces techniques : V. not. Fr. Fruleux, J. Prieur, M. Clermon et P. Cenac, Les stratégies fondées sur les donations : Actes prat. strat. patrimoniale 2007, n° 1, dossier 1 à 3. – A. Darmon (dir.), La holding familiale et patrimoniale : Actes prat. strat. patrimoniale 2013, n° 3, dossier 21 à 28. – J. Prieur, G. Baffoy, M. Clermon et H. Paerels, Actualité et pratiques de la société civile de famille : Actes prat. strat. patrimoniale 2008, n° 3, dossier 12 à 18. – M. Clermon, Fr. Fruleux, H. Brothier et A. Navaud, La transmission de l’entreprise familiale : Actes prat. strat. patrimoniale 2015, n° 2, dossier 9 à 15. – O. Janoray (dir.), Transmission d’entreprise : Actes prat. strat. patrimoniale 2020, n° 3, dossier 16 à 24. – Sur la répartition des prérogatives politiques entre usufruitier et nu-propriétaire dans le cas d’une transmission des parts en démembrement de propriété : A. Bouquemont, Répartition des prérogatives politiques entre l’usufruitier et le nu-propriétaire de titres sociaux : Actes prat. strat. patrimoniale 2021, n° 1, dossier 6. 36. Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-26.728, B : JurisData n° 2013-003729 ; Dr. famille 2013, comm. 73, noteM. Bruggeman ; JCP N 2013, n° 18, 1121, obs. D. Boulanger ; AJ fam. 2013, p. 239, obs. J. Massip ; DEF 15 avr. 2013, n° 111c4, p. 365, obs. N. Randoux ; RTD civ. 2013, p. 346, obs. M. Grimaldi. 37. V. P. Delmas Saint-Hilaire, À propos de la clause d’exclusion de l’administration légale, Mél. R. Le Guidec : LexisNexis, 2014, p. 333, spéc. p. 343. – Cl. Farge et S. Guillaud-Bataille, La désignation d’un tiers administrateur aux biens donnés ou légués à un mineur : JCP N 2019, n° 16, 1167, n° 34 et s. – B. Desfossé, Focus sur la clause d’exclusion de l’administration légale dans les libéralités : Actes prat. strat. patrimoniale 2017, n° 3, dossier 22, n° 17. – Sur ce qu’à rebours du mandat à effet posthume (V. n° 14), la conformité à l’intérêt de l’enfant n’est pas une condition prévue par la loi : Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 11-25.946, B : JurisData n° 2013-013140 ; Dr. famille 2013, comm. 124, obs. I. Maria ; RTD civ. 2013, p. 575, obs. J. Hauser. – Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n° 14-18.856, B : JurisData n° 2015-013656 ; Dr. famille 2015, comm. 174, note M. Bruggeman ; Procédures 2015, comm. 301, note M. Douchy-Oudot ; RTD civ. 2015, p. 584, obs. J. Hauser ; RTD civ. 2015, p. 668, obs. M. Grimaldi. 38. V. cependant P. Delmas Saint-Hilaire, À propos de la clause d’exclusion de l’administration légale, Mél. R. Le Guidec : LexisNexis, 2014, p. 337. – Cl. Farge et S. Guillaud-Bataille, La désignation d’un tiers administrateur aux biens donnés ou légués à un mineur : JCP N 2019, n° 16, 1167, n° 13. – H. Leyrat, La désignation d’un tiers administrateur des capitaux-décès versés lors du dénouement d’un contrat d’assurance-vie : JCP N 2021, n° 49, 1343. – O. Chomono, Protection patrimoniale du mineur : l’assurance-vie : Actes prat. strat. patrimoniale 2017, n° 3, dossier 23, n° 35, p. 50. – 113e Congrès des notaires de France, # Familles # Solidarités # Numérique, Lille, 2017, n° 1842. 39. Par ex. C. Larroumet et D. Mondoloni, Rép. civ. Dalloz, v° Stipulation pour autrui, 2017, n° 41 et s. 40. Par ex. Cass. 1re civ., 16 juin 1970 : D. 1971, p. 261, note J.-L. Aubert. 41. V. H. Brothier et M. Clermon, Quelle place pour la fiducie-gestion en 2018 ? : Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 3, n° 12. 42. Il faut simplement faire exception du notaire chargé du règlement de la succession et des personnes dépourvues de la capacité civile ou frappées d’une interdiction de gérer lorsque des biens professionnels sont compris dans le patrimoine successoral : C. civ., art. 812. 43. V. Cass. 1re civ., 12 mai 2010, n° 09-10.556, B : JurisData n° 2010-005870 ; Dr. famille 2010, comm. 104, obs. B. Beignier ; JCP N 2010, n° 46, 1351, note J.-G. Mahinga ; D. 2010, p. 2392, obs. M. Nicod ; AJ fam. 2010, p. 287, obs. C. Vernières ; DEF 30 août 2010, p. 1583, obs. J. Massip ; RTD civ. 2010, p. 527, obs. J. Hauser ; RTD civ. 2010, p. 602, obs. M. Grimaldi. – L’introduction dans le mandat d’une clause d’inaliénabilité pour y faire 41 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier

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