Actes pratiques et strategie patrimoniale

tante : lede cujusne dispose pas d’un pouvoir souverain à l’effet d’imposer à ses héritiers un mandat à effet posthume, la validité et lemaintien de celui-ci étant subordonnés à la justification d’un intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de l’héritier ou du patrimoine successoral, précisément motivé. Ce qui revient à placer l’institution sous le contrôle constant du juge. À quoi s’ajoute que les biens soumis à l’administration du mandataire demeurant dans le patrimoine des héritiers, ils n’échappent pas aux poursuites de leurs créanciers. Toutes restrictions qui devraient évidemment être mises en balance dans la perspective d’une possible intégration au droit français de la fiducielibéralité. B. - Les implications 15 - Des modifications rédactionnelles. –D’évidence, l’admission de la fiducie-libéralité impliquerait de modifier la rédaction des textes que le Code civil consacre génériquement à la fiducie, et d’y adjoindre des dispositions spéciales dans le livre II (Des libéralités), probablement aussi dans le livre I (Des successions). Sans préjudice de dispositions fiscales d’accompagnement qui pourraient utilement conforter et prolonger le principe de neutralité de la fiducie44. Au titre des dispositions générales, l’article 2012, alinéa 1er du Code civil, d’après lequel « la fiducie est établie par la loi ou par contrat », devrait ainsi être élargi au testament afin de permettre l’usage post-mortemde la fiducie-libéralité au même titre que son utilisation entre vifs. Dans le prolongement, l’article 2029 du Code civil suivant lequel le contrat de fiducie prend fin par le décès du constituant devrait être reconsidéré45, comme il l’a déjà été en matière de fiducie-sûreté(C. civ., art. 2372-1, al. 3 et C. civ., art. 2488, al. 3) 46 et, semblablement, l’article 2030 du Code civil, afin de permettre que la fiducie se dénoue alors au profit du bénéficiaire47. Il faudrait encore s’interroger sur un possible élargissement de la qualité requise par l’article 2015 du Code civil pour être fiduciaire si l’on entend que la fiducielibéralité ne soit pas cantonnée à des opérations hors du commun. Au titre des règles spécifiques, il y aurait certainement intérêt à consacrer, entre autres, des dispositions spéciales au traitement liquidatif de la fiducie-libéralité et à sa réduction en cas d’atteinte à la réserve héréditaire, dispositions qui pourraient s’inspirer du projet de loi avorté de 1992 et du traitement successoral que la jurisprudence applique auxtrusts 48. 16 - Des choix politiques. –On l’a vu, la question de l’intégration de la fiducie-libéralité au droit français ne saurait toutefois être réduite à de simples agencements techniques. Elle implique des choix qui relèvent de la politique juridique. Ainsi, pourrait-on continuer de s’accommoder de la règle que « les biens ou droits d’un mineur ne peuvent être transférés dans un patrimoine fiduciaire »actuellement inscrite à l’article 408-1 du Code civil ? Techniquement, cette règle interdit seulement l’aliénation fiduciaire des biens appartenant actuellement au mineur, non pas de faire entrer dans son patrimoine des biens d’ores et déjà placés en fiducie. Mais la permission de la fiducielibéralité aurait naturellement un effet d’entraînement. Aussi bien, est-il suggéré d’abandonner de concert cette interdiction49. Plus fondamentalement, la consécration de la fiducie-libéralité impliquerait de s’interroger sur l’équilibre à promouvoir entre l’organisation légale de la succession et la liberté d’aménagement individuelle, entre le respect des volontés dude cujuset la propriété des héritiers qui les fonde en principe à jouir et administrer personnellement les biens successoraux dès l’instant du décès, en vertu de la saisine héréditaire qui leur appartient de droit. Faudrait-il ne garantir efficacité à la fiducie-gestion que dans la mesure – la quotité disponible – où la liberté de disposition à titre gratuit emporte aussi celle de commander l’administration des biens qui en sont l’objet ? Ou bien en faire également un instrument de gestion imposée de la succession légale, réserve comprise, en remplacement du mandat à effet posthume dans lequel on s’accorde à voir un ersatz de fiducie ? Mais à quelles conditions et avec quelles limitations objectives et temporelles ? Pareillement, l’on ne pourrait faire l’économie d’une réflexion sur le principe et les modalités d’une possible substitution de la technique fiduciaire aux actuels fondations et fonds de dotation ou de pérennité ou, au contraire, sur son exclusion du champ de la philanthropie, tant il serait incohérent que des institutions poursuivant les mêmes fins coexistent avec des régimes foncièrement différents. Ces questions sont de la plus haute importance. Car d’une organisation successorale soucieuse de garantir l’émancipation de l’héritier et la supervision par la puissance publique des œuvres se recommandant de l’intérêt général, il ne faudrait pas que l’on verse dans un système dominé d’outre-tombe par des volontés privées dictatoriales ; qu’à la préservation des réalisations du de cujus, l’on sacrifie systématiquement la liberté de ses descendants et la plénitude de leur propriété ; qu’au prétexte illusoire de concurrencer le trust – dont la force procède en très grande partie de l’extrême libéralisme des systèmes successoraux qui l’accueillent –, l’on fasse œuvre réactionnaire en donnant un nouveau développement aux biens de mainmorte. En somme, l’introduction de la fiducie-libéralité en droit français ne saurait être réalisée d’un trait de plume. Dans l’intérêt même de la pratique qui a besoin d’un droit lisible et cohérent pour remplir ses missions utilement et avec sécurité, elle doit s’inscrire dans une réflexion d’ensemble et être rigoureusement coordonnée avec l’existant.ê Mots-Clés : Fiducie - Libéralités - Fiducie-libéralités obstacle doit être proscrite (contra : D. Louis-Caporal, La fiducie-libéralité, réflexion sur une opération prohibée : RTD civ. 2016, p. 49) : dans toute la mesure où elle ne prendrait pas appui sur la liberté de disposition du de cujus, elle constituerait en effet un pacte sur succession future non autorisé. 44. Sur ces dispositions : Cl. Farge, Déverrouiller la fiducie patrimoniale : JCP N 2019, n° 40, 1286, n° 8. 45. Le projet de loi de 1992 prévoyait à cet égard que« lorsque le contrat de fiducie prévoit la transmission de biens et droits à titre gratuit au bénéficiaire, il peut être stipulé, que la transmission prendra effet au décès du constituant » (C. civ., art. 2070-6, projeté). 46. Sur le caractère d’ordre public de cette disposition en l’état du droit positif : V. JCl. Notarial Répertoire, V° Fiducie, fasc. 20, n° 65, par Cl. Witz. – B. Robin et R. Lantourne, Osons la fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 2. – Contra : P. Berger, La fiducie?gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2011, n° 1, dossier 4, n° 28. – Cl. Farge et J.-Fr. Desbuquois, Permettre la transmission de la fiducie-gestion : JCP N 2016, n° 39, 1284, n° 16 et s. 47. V. D. Louis-Caporal, La fiducie-libéralité, réflexion sur une opération prohibée : RTD civ. 2016, p. 49. 48. V. D. Louis-Caporal, La fiducie-libéralité, réflexion sur une opération prohibée : RTD civ. 2016, p. 49. 49. V. Cl. Farge, Déverrouiller la fiducie patrimoniale : JCP N 2019, n° 40, 1286, n° 6. 42 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier

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