Actes pratiques et strategie patrimoniale

actuel des textes, du moins directement : c’est de servir d’instrument de gratification du bénéficiaire désigné. La fiducielibéralité, dont on s’accorde en général à considérer qu’elle n’est qu’une variété de fiducie-gestion, soit que la gestion du fiduciaire précède la gratification du bénéficiaire, soit qu’elle limite ses prérogatives, a en effet été expressément prohibée par la loi du 19 février 2007, qui a inscrit à l’article 2013 du Code civil que : « le contrat de fiducie est nul s’il procède d’une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité est d’ordre public. » L’origine de cette prohibition a souvent été rappelée : le projet de loi relatif à la fiducie que la chancellerie avait préparé pour doter le droit français, à l’instar de plusieurs systèmes de droit continental, d’une institution destinée à rivaliser avec les trusts des pays de common law, prévoyait de légaliser la fiducielibéralité en permettant la constitution à titre gratuit d’une fiducie-gestion, seule la fiducie testamentaire étant interdite. Mais les craintes de fraude et d’évasion fiscales contribuèrent à son abandon et elles conduisirent, lors de la réactivation du projet, à remanier le texte soumis au vote en écartant formellement la fiducie-libéralité du champ des possibles, et c’est ainsi que le texte fut adopté en proscrivant la fiducie constituée dans une intention libérale. Signe de l’importance de ces craintes, la prohibition civile de la fiducie-libéralité a été renforcée par des dispositions fiscales sanctionnatrices particulièrement sévères. D’une part, l’article 792 bis du CGI prévoit que lorsqu’est constatée« une transmission dans une intention libérale de biens ou droits faisant l’objet d’un contrat de fiducie ou des fruits tirés de l’exploitation de ces biens ou droits », les droits de mutation à titre gratuit s’appliquent sur leur valeur transmise appréciée à la date du transfert selon le tarif applicable entre personnes non parentes 5, et pour faciliter l’application de cette fiscalité dissuasive, le même texte répute l’intention libérale caractérisée « lorsque la transmission est dénuée de contrepartie réelle ou lorsqu’un avantage en nature ou résultant d’une minoration du prix de cession est accordé à un tiers par le fiduciaire dans le cadre de la gestion du patrimoine fiduciaire ». Ce qui déroge au principe que l’élément intentionnel de la libéralité ne peut normalement pas être déduit de son élément matériel. D’autre part, une procédure de rectification spécifique à la fiducie a été instituée à l’article L. 64 C du LPF en vertu de laquelle, sans préjudice de la sanction de nullité, les contrats de fiducie consentis dans une intention libérale et qui conduisent à une minoration des droits au titre de tous impôts et taxes dus par l’une quelconque des personnes parties au contrat ou en tenant des droits ne peuvent être opposés à l’Administration, qui est en droit de restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse. C’est dire qu’une pénalité supplémentaire de 80 % est encourue pour fraude à la loi, portant ainsi à 108 % le taux qui sera appliqué au bénéfice de la fiducie-libéralité ainsi débusquée, alors même que le contrat constitutif s’en trouvera annulé. Ce que l’on n’a pas manqué de qualifier de sanction démesurée6. 3 - Critiques et demandes d’une levée de la prohibition. –Plus généralement, des voix diverses se sont élevées en faveur de la fiducie-libéralité et elles sont de plus en plus nombreuses à réclamer la levée de son interdiction7. On fait valoir que les deux raisons qui auraient poussé en 2007 le législateur à l’exclure – l’existence de mécanismes spécifiques remplissant les fonctions de la fiducie-libéralité et sa dangerosité au regard des principes du droit français des successions – n’existeraient plus, voire n’auraient jamais existé8. On évoque en particulier deux utilités contrariées : ‰premièrement, la nécessité d’offrir à la pratique un outil adapté au besoin de« décharger un ou plusieurs héritiers de la gestion du patrimoine transmis [par donation, succession ou assurance-vie] en la confiant à un professionnel qualifié dans deux types de situations fréquemment rencontrées : présence, parmi les héritiers, d’une personne vulnérable ou présence dans le patrimoine à transmettre soit d’un bien dont la gestion requiert un savoir-faire particulier [ou en tous cas un savoir-faire que n’a pas l’héritier] soit d’un ensemble de biens indivisibles ou envisagés comme tels par le de cujus »9 ; en somme, il s’agirait d’offrir au disposant un moyen de protéger le gratifié contre sa prodigalité ou son inexpérience10 ou de garantir la conservation des avoirs transmis entre les mains du donataire ou légataire ; ‰deuxièmement, le besoin de permettre « aux dirigeants d’entreprise soucieux de mettre en place des solutions de prévoyance assurant la pérennité de leur entreprise en cas de survenance d’un accident de la vie et notamment celle de confier à des professionnels l’organisation d’une cession de droits sociaux en cas de disparition brutale ou d’incapacité permanente du dirigeant »11. En résumé, il y aurait nécessité de consacrer la fiducielibéralité, parce qu’elle serait « le seul outil en droit français permettant à la fois de sécuriser des actifs dans un patrimoine étanche, de gérer ces actifs aumieux des intérêts des héritiers, ou autres ayants droit en subvenant, si nécessaire, et sur le long terme, au-delà même de la vie du gratifiant à leurs besoins courants et désirs d’investissement, et cela sur plusieurs générations, en fonction des volontés du de cujus »12. Dans un autre registre, plus politique, on souligne encore l’opportunité qu’il y aurait, dans un environnement juridique globalisé et concurrentiel, à faire pièce au trust, de manière à rendre plus attractif le droit français et à le protéger contre l’irruption dans son système d’une institution étrangère à sa logique et difficilement compatible avec elle13. 4 - De la prohibition à la consécration ?. –Jusqu’à présent, ces arguments ont laissé le législateur de marbre : alors que cinq réformes de la fiducie se sont succédé depuis 201714, la prohibition subsiste en l’état. 5. Au taux de 60 % donc : CGI, art. 777. 6. F. Tripet, La prohibition de la fiducie-libéralité : pourquoi une telle démesure ? : Gaz. Pal. 21 oct. 2006, p. 6. 7. V. not. F. Tripet, La prohibition de la fiducie-libéralité : pourquoi une telle démesure ? : Gaz. Pal. 21 oct. 2006, p. 6. – D. Louis-Caporal, La fiducielibéralité, réflexion sur une opération prohibée : RTD civ. 2016, p. 49. – B. Robin et R. Lantourne, Osons la fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 2. – Cl. Farge et J.-Fr. Desbuquois, Permettre la transmission de la fiducie-gestion : JCP N 2016, n° 39, 1284. – Cl. Farge, Déverrouiller la fiducie patrimoniale : JCP N 2019, n° 40, 1286. 8. V. D. Louis-Caporal, La fiducie-libéralité, réflexion sur une opération prohibée : RTD civ. 2016, p. 49. – B. Robin et R. Lantourne, Osons la fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 2, n° 27 et s. 9. Cl. Farge, Déverrouiller la fiducie patrimoniale : JCP N 2019, n° 40, 1286, n° 2. 10. V. Cl. Witz, La fiducie en droit privé français, préf. D. Schmidt : Economica, 1980, passim, p. 57, n° 59. – D. Louis-Caporal, La fiducie-libéralité, réflexion sur une opération prohibée : RTD civ. 2016, p. 49. 11. Cl. Farge, Déverrouiller la fiducie patrimoniale : JCP N 2019, n° 40, 1286, n° 3. – D. Louis-Caporal, La fiducie-libéralité, réflexion sur une opération prohibée : RTD civ. 2016, p. 49. 12. B. Robin et R. Lantourne, Osons la fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 2, n° 28. 13. Cl. Farge, Déverrouiller la fiducie patrimoniale : JCP N 2019, n° 40, 1286, n° 9. 14. L. n° 2008-776, 4 août 2008, de modernisation de l’économie : JO 5 août 2008, texte n° 1 ; JCP N 2008, n° 36, act. 593. – Ord. n° 2008-1345, 18 déc. 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté : JO19 déc. 2008, texte n° 29 ; JCPN2008, n° 52, act. 818. –Ord. n° 2009-112, 30 janv. 2009, portant diverses mesures relatives à la fiducie : JO31 janv. 2009, texte n° 45 ; JCP N 2009, n° 7, act. 187, obs. G. Notté. – L. n° 2009-526, 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures : JO 13 mai 2009, texte n° 1 ; JCP N 2009, n° 21, act. 388. – Ord. n° 20211192, 15 sept. 2021, portant réforme du droit des sûretés : JO16 sept. 2021, texte n° 19 ; JCP N 2021, n° 38-39, act. 885, obs. Cl. Séjean-Chazal ; JCP N 37 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier

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