Actes pratiques et strategie patrimoniale

être révoquée que pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d’ingratitude, et pour cause de survenance d’enfants. »Celles de l’article 956 du Code civil précisent que« la révocation pour cause d’inexécution des conditions, ou pour cause d’ingratitude, n’aura jamais lieu de plein droit ». 49 - Problématique. – Un donateur obligeant le donataire à constituer une fiducie en vue de la gestion du patrimoine, deux opérations se succèdent : une donation et un apport à fiducie. Par ces deux actes, que le donateur entend former comme un tout, s’est opéré un double et successif transfert de propriété : d’abord du donateur au donataire par l’acte portant donation, ensuite du donataire-constituant au fiduciaire en vertu du contrat de fiducie. L’inexécution de l’obligation de mettre le patrimoine en fiducie, ou l’exécution défectueuse du contrat de fiducie, pourra-t-elle emporter révocation de la donation ? A. - Une révocation judiciaire étroitement encadrée 50 - Fragilité. – Pour obtenir la révocation de la donation, rappelons 84qu’il faut justifier d’une inexécution avérée, et non pas seulement éventuelle85, mais qu’il n’est cependant pas requis qu’elle soit totale, une inexécution partielle suffisant à faire tomber la libéralité86, à condition toutefois qu’elle présente un caractère de gravité suffisante87. Une exécution tardive pourra également, selon les circonstances, équivaloir à une inexécution88. 51 - L’appréciation souveraine du juge. –Il importe de relever toutefois que le juge dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation, l’importance de la charge dans l’esprit du disposant et la gravité de l’inexécution relevant de son appréciation souveraine89. Or, le juge n’étant jamais tenu de prononcer la révocation, l’on constate que les tribunaux s’efforcent souvent de sauvegarder la libéralité. Il lui arrive même de ne prononcer que la révocation partielle de la donation dès lors que l’exécution de la charge telle qu’elle s’est présentée revêt malgré tout pour le donateur une utilité sérieuse90. Le juge peut aussi accorder au donataire un délai pour l’accomplissement de la charge91 ou, tout en écartant la révocation, condamner le donataire à réparer le préjudice causé au donateur 92. 52 - Une bonne rédaction de l’obligation : apporter et maintenir la fiducie. –La définition précise de l’obligation pesant sur le donataire-constituant est dès lors d’impérieuse nécessité : si la simple constitution d’une fiducie est requise de lui, la justification de la signature du contrat de fiducie-gestion permettra à elle seule de regarder l’obligation comme remplie. Si l’obligation consiste non seulement dans la constitution de la fiducie, mais aussi dans telle gestion déterminée assurée par le fiduciaire, l’examen de l’accomplissement de l’obligation par le donataireconstituant sera plus délicat. Mais serait-il possible de faire peser sur le donataire-constituant la responsabilité de l’exécution défectueuse par le fiduciaire de sa mission ? Cela paraît douteux, la seule fenêtre possible consistant pour le donateur à démontrer que le donataire-constituant n’aurait pas joué son rôle dans le contrôle de la gestion du fiduciaire, notamment enméconnaissant les pouvoirs qu’il tient de l’article 2027 du Code civil et qui lui permettent, si le fiduciaire manque à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés, de solliciter son remplacement en justice. Encore faut-il donc que l’acte de donation définisse clairement et précisément si la charge consiste dans la seule constitution d’une fiducie, dans l’exécution conforme du contrat de fiducie ou, même, dans le fait de mener la fiducie à bonne fin. 53 - Exemple. – Dans une donation graduelle, l’on pourrait ainsi envisager de prévoir que la charge n’est regardée comme accomplie une bonne fois pour toutes que lorsque les bénéficiaires ont été définitivement remplis de leurs droits conformément à l’objet de la fiducie. Ce serait dès lors au terme de la fiducie seulement que la vérification du respect de la charge imposée au donataire-constituant pourrait se faire. En cas d’échec, c’està-dire de non-réalisation de l’objet de la fiducie, la révocation de la donation pourrait alors intervenir. B. - L’insertion à l’acte de donation d’une clause résolutoire 54 - Force de la résolution. –Ainsi qu’il a été dit et qu’il résulte sans équivoque des dispositions précitées de l’article 956 du Code civil, la révocation n’a jamais lieu de plein droit. Si une action en justice constitue assurément la voie royale destinée à l’obtenir, les parties peuvent déroger à ce principe en prévoyant expressément à l’acte de donation une clause résolutoire. La validité de cette clause est clairement affirmée par la jurisprudence, malgré les termes pourtant catégoriques de l’article 956 du même code, et ce, par analogie avec les contrats à titre onéreux93. 55 - Révocation contractuellement de plein droit. –Ainsi, la révocation pourra résulter de la seule application d’une clause résolutoire insérée à l’acte de donation, clause en vertu de laquelle la révocation de la donation interviendra de plein droit par le seul fait de l’inexécution des conditions, l’accomplissement de la condition résolutoire opérant révocation de l’obligation et remettant les choses au même état que si l’obligation n’avait pas existé. Pour la Cour de cassation, il est loisible aux parties de déroger aux dispositions de l’article 956 du Code civil en stipulant, dans l’acte de donation, que la révocation aura lieu de plein droit par le seul fait de l’inexécution des conditions 94. En effet, tandis que l’article 956 du Code civil sanctionne judiciairement l’inexécution d’une charge au sens précis et rigoureux du terme, l’introduction dans l’acte d’une condition résolutoire expresse permet automatiquement, par la survenance d’un événement futur et incertain érigé en modalité de la donation, d’en constater la réalisation. Rien n’interdit évidemment de préférer faire de tel ou tel événement une condition résolutoire plutôt qu’une obligation sanctionnée par la résolution de la donation en cas d’inexécution, du moment qu’il n’en résulte aucune contravention à l’irrévocabilité spéciale de la donation. 56 - Expresse. –Encore faut-il que les parties expriment sans équivoque à l’acte que la résolution de plein droit de la donation interviendra sans recours au juge : « Attendu que le donateur peut stipuler dans l’acte de donation une révocation de plein droit en cas d’inexécution des conditions, mais qu’une telle clause dérogatoire au droit commun doit marquer clairement la volonté des parties de rendre inutile l’intervention du juge »95. 84. V. rapp. de Mme Julie Mouty-Tardieu, rapp. in Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-13.747 : JurisData n° 2013-020483 ; Bull. civ. I, n° 181 ; JCP N 2013, n° 41, act. 995. 85. Req. 22 oct. 1901 : DP 1902, 241. – Civ. 28 déc. 1921 : Gaz Pal 1922, 1, 233. 86. Req. 3 mai 1921 : DP 1921, 14. 87. Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 88-13.146 : JurisData n° 1990-003648 ; Bull. civ. I, n° 298. 88. V. note 67. 89. Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 88-13.146 : JurisData n° 1990-003648 ; Bull. civ. I, n° 298. 90. Req. 26 nov. 1912 : S. 1914, 207. 91. Cass. 1re civ., 13 oct. 1993, n° 91-17.899 : JurisData n° 1993-001803 ; Bull. civ. I, n° 277. 92. Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 88-13.146 : JurisData n° 1990-003648 ; Bull. civ. I, n° 298. 93. Cass. civ., 14 févr. 1956 : JCP 1956, 9343. 94. Cass. 1re civ., 20 juin 1960 : Bull. civ. I, n° 335. 95. Cass. 1re civ., 20 juin 1960 : Bull. civ. I, n° 335. 34 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier

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