Actes pratiques et strategie patrimoniale

2 Les patrimoines de l’entrepreneur individuel Christine Lebel, maître de conférences HDR en droit privé, codirectrice du Master Droit des Affaires, responsable de l’Axe Activités économiques et professionnelles du CRJFC, université de Bourgogne Franche-Comté, CRJFC, F-25000, Besançon, France La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 relative à l’activité professionnelle indépendante a mis en place un nouveau statut juridique unique pour l’entrepreneur individuel qui entrera en vigueur au plus tard le 15 mai 20221. Jusqu’alors, l’entrepreneur individuel pouvait choisir de créer un patrimoine d’affectation professionnel EIRL ou de ne pas le faire. Le plan indépendant du ministre délégué aux petites et moyennes entreprises de septembre 2021, et tout spécialement son axe I, avait pour objectif de créer un statut unique et protecteur pour l’entrepreneur individuel et faciliter le passage en société. Cette proposition était formulée ainsi : « Le plan en faveur des indépendants instaure ainsi un statut unique pour l’entrepreneur individuel. La mise en place de ce statut unique impliquera la suppression du statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) ». Elle est elle-même inspirée d’une proposition qui avait été faite il y a une petite dizaine d’années, fin 2013, dans le cadre d’une mission menée par le député Laurent Grandguillaume sur les entreprises et les entrepreneurs individuels dont les propositions en la matière n’ont pas abouti notamment en raison d’obstacles fiscaux2. Après une dizaine d’années d’entrée en application de l’EIRL, et malgré la simplification de son cadre juridique par la loi Pacte, les trois quarts des créateurs d’entreprises sans structure sociétaire ont fait le choix de ne pas créer de patrimoine d’affectation EIRL3. En outre, il apparaît que les créateurs d’entreprises individuelles sont de plus en plus jeunes (41 % ont moins de 30 ans) et, souvent insuffisamment accompagnés sur le plan juridique dans leur projet entrepreneurial, réalisent trop tard que leur patrimoine personnel n’est pas protégé. Concrètement, en raison de l’unicité du patrimoine, les créanciers professionnels peuvent saisir les biens qui ne font pas parties de la « partie non professionnelle » de leur patrimoine. Cette situation est particulièrement vraie en cas d’ouverture d’une liquidation judiciaire. Actuellement, et en l’absence de tout dispositif de protection patrimoniale mis en place au début de l’activité professionnelle indépendante, seule la résidence principale ne peut être saisie par les créanciers professionnels (C. com., art. L. 526-1, I). Le législateur, en application du droit au rebond du débiteur malchanceux et honnête, a souhaité rompre avec la spirale infernale de la défaillance, afin de donner une seconde change à l’entrepreneur individuel ou au dirigeant de société. Cette volonté, d’origine française depuis la loi du 25 janvier 19854, est devenue un objectif européen5 avec la directive (UE) 2019/ 1023 du 20 juin 20196 que l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 a transposé en droit français. L’entrepreneur individuel est défini légalement comme étant « toute personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes » (C. com., art. L. 526-22, al. 1er). Le nouveau dispositif juridique met en place une dissociation automatique du patrimoine de la personne physique. Jusqu’à son immatriculation (SIRET à défaut d’immatriculation à un registre de publicité légale, C. com., art. L. 526-23), celle-ci n’est titulaire que d’un seul et unique patrimoine. À compter de cette date, elle devient titulaire de deux patrimoines : ‰ un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire, utile (la notion d’utilité doit être prochainement précisée par décret à paraître) à l’activité ou aux activités professionnelles indépendantes qu’il réalise ; ‰un patrimoine personnel qui est composé des éléments non compris dans son patrimoine professionnel. Outre la question de la notion d’utilité qui reste à déterminer, l’article L. 526-26 du Code de commerce dispose que les nouvelles règles relatives aux patrimoines de l’entrepreneur individuel s’entendent « sans préjudice des pouvoirs reconnus aux époux pour administrer leurs biens communs et en disposer », ce qui ne manquera pas de soulever quelques difficultés en pratique. La mise en place de cette nouvelle conformation patrimoniale se fait automatiquement, de plein droit et sans aucune formalité ni publicité légale. L’entrepreneur individuel peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à la dérogation à la limitation du droit de gage des créanciers professionnels au patrimoine professionnel, par un engagement spécifique dont il doit préciser le terme, le montant, ce dernier ➔Suite page 2 1. L. n° 2022-172, 14 févr. 2022, art. 19, I, en faveur de l’activité professionnelle indépendante : JO 15 févr. 2022, texte n° 2 ; JCP N 2022, n° 7-8, act. 273. 2. P. Serlooten, La personnalisation de l’entreprise : réflexion à propos du rapport Grandguillaume : Bull. Joly Sociétés 2014, p. 126. 3. Sénat, projet de loi n° 869, 29 sept. 2021, exposé des motifs. 4. J. Vallansan et F. Petit, Droit au rebond : un pas de plus ! : Rev. proc. coll. 2021, dossier 11. 5. B. Freleteau, Fr. Macorig-Venieret et L. Sautonie-Laguionie, Le droit au rebond du débiteur après la directive du 20 juin 2019 : Quelles règles pour quelle réalité ? : JCP E 2020, 1078. 6. PE et Cons. UE, dir. (UE) 2019/1023, 20 juin 2019 : JOUE n° L 172, 26 juin 2019, p. 18. ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA 1 Idée nouvelle « Le législateur, en application du droit au rebond du débiteur malchanceux et honnête, a souhaité rompre avec la spirale infernale de la défaillance, afin de donner une seconde chance à l’entrepreneur individuel ou au dirigeant de société »

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