Actes pratiques et strategie patrimoniale

la Cour de justice de l’Union européenne ont jugé que l’Administration était fondée à remettre en cause le bénéfice de l’exonération sur les dividendes ou sur les intérêts et redevances. En application du principe général du droit de l’Union selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union, la CJUE a jugé que le bénéfice d’une exonération de retenue à la source prévue par une directive doit être refusé en présence d’une telle pratique (même si le droit interne ne prévoit aucune sanction). En 201925, la CJUE a précisé que la preuve d’une telle pratique nécessitait : ‰la réunion d’un ensemble de circonstances objectives établissant que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint ; ‰un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union, en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. La CJUE précise : « Peuvent constituer de tels indices, notamment, l’existence de sociétés relais n’ayant pas de justification économique ainsi que le caractère purement formel de la structure du groupe de sociétés, du montage financier et des prêts. » Sur le fondement du principe de répression des abus de droit, le Conseil d’État a admis que l’administration fiscale peut remettre en cause l’exonération de dividendes prévue par la directive mères-filles, dès lors qu’il est démontré qu’une société française a acquis des titres d’une société étrangère dépourvue de substance économique et que cette acquisition obéissait à un objectif exclusivement fiscal 26. Dans la majorité des cas, la substance économique des entités étrangères s’apprécie au regard d’éléments factuels, tels que l’existence de moyens matériels et humains propres. Des sociétés holdings, dont l’activité se limite à détenir des participations, peuvent être considérées comme dépourvues de substance économique. En 2015, le Conseil d’État a complété son analyse de la substance économique en y intégrant les objectifs ayant présidé à la structuration du montage considéré27. Au-delà de considérations matérielles, le Conseil d’État apprécie l’utilité économique de l’opération, telle que l’amélioration de la rentabilité de placements financiers ou la réalisation d’économies au sein du groupe. La proposition de directive formalise l’examen de l’analyse de la substance économique des entités à travers des indicateurs, alors que la jurisprudence précitée procède à une appréciation au cas par cas. En premier lieu, les moyens matériels et humains seraient pris en considération, lors de la détermination des entités soumises à l’obligation déclarative et lors du dépôt de la déclaration faisant présumer l’absence (ou non) de substance économique. En second lieu, les motivations économiques (ou fiscales) seraient prises en considération au stade du renversement de la présomption d’absence de substance suffisante. Cas manifestes d’entités écrans. – Bien que disposant de critères propres, il est permis de s’interroger si les critères définis par la proposition de directive viseront le même type d’entités que les dispositifs anti-abus nationaux. L’absence de substance économique fait partie des éléments d’appréciation de l’objectif exclusivement fiscal poursuivi par le contribuable (qui constitue le premier critère de l’abus de droit par fraude à la loi réprimé par l’article L. 64 du LPF28. Il est vraisemblable que les sociétés dénuées de toute substance économique appréhendées par les dispositifs anti-abus le soient également par la nouvelle notion de société écran. Les dispositions anti-abus et la nouvelle directive visent à l’obtention d’un résultat proche (la neutralisation des avantages fiscaux escomptés via une convention fiscale ou une directive), mais les deux dispositifs ont des fonctionnements distincts : ‰ les dispositifs anti-abus supposent la démonstration (parfois complexe) d’un but principalement ou exclusivement fiscal ; ‰alors que la proposition de directive permettra certainement de qualifier plus aisément une société dépourvue de substance économique à travers les indicateurs précités. En ce sens, la Commission européenne expose que « La directive établit notamment un test destiné à aider les États membres à détecter les cas manifestes d’entités écrans utilisées de manière abusive à des fins fiscales de manière coordonnée dans l’ensemble de l’UE ». Ainsi, en présence de sociétés écrans, les autorités fiscales auront possiblement davantage recours au mécanisme introduit par la nouvelle directive qui devrait faciliter leur qualification dans les cas les plus manifestes. Application concurrente du droit interne. – L’exposé des motifs de la proposition de directive énonce que : « Les règles nationales, y compris les règles transposant le droit de l’Union, continuent de s’appliquer pour identifier les entités écrans qui ne relèvent pas de la présente directive. L’application de ces règles nationales devrait également être facilitée par les mesures de la présente directive, étant donné que les États membres auront accès à de nouvelles informations concernant les entités écrans. » L’application concurrente des dispositifs anti-abus de droit interne et de la nouvelle directive pourrait conduire à des situations asymétriques : les autorités fiscales de l’État membre de résidence d’une entité considérée seront compétentes pour la qualifier (ou non) de société écran. En l’absence de qualification de société écran par l’État de résidence, l’État de la source ou l’État de l’actionnaire pourraient avoir des divergences d’interprétation. Ce faisant, l’État de la source ou l’État de l’actionnaire pourraient appliquer les règles anti-abus internes pour faire échec aux avantages fiscaux dont bénéficie cette entité. Des risques de double imposition pourraient alors naître de l’application concurrente de la nouvelle directive et des règles anti-abus de droit interne. Ces risques de double imposition et de conflits entre États membres ne sont pas envisagés par la proposition de directive. On peut regretter que des procédures de règlement des différends entre États membres, en cas de divergences d’appréciation, n’aient pas été prévues par la proposition de directive. Mots-Clés : Fiscal - Fiscalité internationale - ATAD 3 - Entités écran 25. CJUE, 26 févr. 2019, aff. jtes C-116/16 et C-117/16 : JurisData n° 2019-003095. – CJUE, 26 févr. 2019, aff. jtes C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16 : JurisData n° 2019-003096. 26. CE, 18 févr. 2004, n° 247729, SA Pléiade : JurisData n° 2004-080518 ; Dr. fisc. 2004, n° 47, comm. 849. – CE, 18 mai 2005, n° 267087, Sté Sagal : JurisData n° 2005-080715 ; Procédures 2005, comm. 245, note J.-L. Pierre. 27. CE, 11 mai 2015, n° 365564, SANatixis : Dr. fisc. 2015, n° 31-35, comm. 526, note N. de Boynes, concl. rapp. Publ. E. Bokdam-Tognetti. 28. Une application littérale de la loi contraire à l’intention du législateur constitue le second critère. ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA 47 Le point sur

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