Legs et Donations 2023

à titre gratuit »15. Ce faisant, on retient communément que la possibilité d’un testament-partage graduel ou résiduel doit être « radicalement écartée tant que ce partage anticipé de succession est privé d’effet dévolutif »16. 9 - Tel est sans doute ce qui explique, outre le fait que la pratique notariale s’est globalement désintéressée du testament-partage (notamment en raison de ses difficultés d’identification17), que ce soit surtout au sein des donations-partages – souvent transgénérationnelles – que s’est développée l’insertion d’une clause graduelle ou résiduelle18. Ainsi, la donation-partage graduelle ou résiduelle paraît être la seule véritable manifestation pertinente de cette hybridation et les rares notaires qui la pratiquent ne s’y sont pas trompés. On voit surtout combien les spécificités attachées à la nature des différentes libéralités-partages déterminent l’efficacité du mécanisme substitutif que l’on voudrait leur greffer. Cette logique matricielle des règles du partage anticipé influence également le choix des bénéficiaires de la substitution. B. - La désignation des bénéficiaires 10 - Alors que les partages d’ascendants étaient d’une configuration très limitée en ne s’épanouissant que dans une conception lignagère, le législateur de 2006 a eu à cœur d’élargir le champ des libéralités-partages qui, depuis cette date, peuvent se réaliser entre tous les « héritiers présomptifs » (C. civ., art. 1075) ou entre « des descendants de degrés différents » (C. civ., art. 1075-1), voire même entre « une ou plusieurs autres personnes » lorsqu’il s’agit de transmettre une entreprise individuelle ou des droits sociaux (C. civ., art. 1075-2). Or, malgré ce décloisonnement, les libéralités-partages conservent une forte dimension familiale qui contraste très nettement avec les libéralités substitutives qui, elles, se conçoivent aujourd’hui beaucoup plus largement puisqu’elles peuvent être consenties à toute personne physique ou morale19, fussent-elles étrangères à la famille. Mais cette souplesse s’efface sitôt qu’il s’agit de marier les deux mécanismes car la mention d’une charge substitutive ne permet évidemment pas de s’extraire du cadre étroit qu’impose l’acte hôte. Partant, le choix des bénéficiaires successifs s’en trouve nécessairement réduit. 11 - Bien qu’en principe les libéralités graduelles ou résiduelles peuvent être consenties à n’importe quelle personne, les gratifiés – du moins pour le premier d’entre eux, car cela est plus discutable pour le second20 – doivent obligatoirement être choisis parmi le collège des héritiers présomptifs ou celui des descendants de tout degré (sauf à ce qu’il s’agisse de les allotir d’une entreprise suivant les prévisions de l’article 1075-2 du Code civil). On a ici le sentiment que le caractère de libéralité-partage prend l’ascendant sur celui de libéralité substitutive. L’inclusion d’une charge graduelle 15 Selon les mots de Pierre Catala : La réforme des liquidations successorales : Defrénois, 3e éd., 1982, n° 138. 16 Fr. Sauvage, De la donation-partage graduelle ou résiduelle, in Mél. G. Champenois : LGDJ, 2012, p. 771, note 15. 17 Cass. 1re civ., 13 avr. 2022, n° 20-17.199 : JurisData n° 2022-005628 ; JCP N 2022, n° 17, act. 507. 18 G. Dumont et S. Lerond, La donation-partage transgénérationnelle graduelle/résiduelle : Dr. & patr. sept. 2009, p. 38. – S. Prigent, Donation-partage transgénérationnelle avec clause graduelle : Defrénois, 2010, p. 48. 19 Pourvu qu’elle ait la capacité de recevoir à titre gratuit : M. Nicod, in JCl. Civil Code, Art. 1048 à 1056, fasc. 10, n° 35 s. Plus hésitant quant à la possibilité de désigner une personne morale comme premier gratifié : M. Grimaldi, Les libéralités graduelles et les libéralités résiduelles : JCP N 2006, n° 51-52, 1387. 20 Si l’on privilégie l’analyse substitutive, il n’est peut-être pas inconcevable d’appeler un tiers en second gratifié ; le décès du premier gratifié n’entraîne pas ici un effacement rétroactif de son allotissement : en ce sens, v. not. L. Hude et Cl. Brenner, Les libéralités graduelles et résiduelles : du sommeil au réveil ? : JCP N 2016, n° 24, 1196, spéc. n° 42 ; D. Epailly, 70 questions de donation-partage : Cridon SudOuest, mai 2017, p. 355, n° 677 (question 55). 21 M. Nicod, Libéralités graduelles et résiduelles : quelques difficultés d’application : JCP N 2008, n° 29, 1249, spéc. n° 6. 22 Pour une illustration chiffrée : S. Prigent, Donation-partage transgénérationnelle avec clause graduelle : Defrénois, 2010, p. 48. ou résiduelle au sein d’une donation-partage conduit incidemment à limiter la liberté théoriquement offerte au disposant dans le choix des bénéficiaires, mais c’est là une concession qu’impose inévitablement une telle hybridation. Il faut bien sûr une certaine « comptabilité génétique » de ces deux objets juridiques, sans quoi le risque serait grand que l’on aboutisse à un échec de la greffe. En effet, si ces règles ne sont pas respectées, l’acte ne pourrait pas être qualifié de partage anticipé, et il devrait alors être analysé en une donation simple assortie d’une charge graduelle ou résiduelle. EXEMPLE.  Il n’est a priori pas possible de concevoir une donation-partage où l’un des enfants en situation de handicap verrait son lot grevé de la charge de le conserver et de le transmettre (ou de le transmettre uniquement) à l’association qui le prenait en charge21. Il n’est pas davantage concevable de réaliser pareille opération entre un fils et un partenaire de pacs ou un concubin, à charge pour ce dernier de transmettre son lot ou le reliquat de celui-ci au premier ou à un autre. 12 - Quoi que limité au cadre successoral, le déploiement d’une donation-partage graduelle ou résiduelle n’en est pas moins opportun dans nombre de configurations familiales où elle permet d’entrevoir d’intéressantes perspectives. Il est ainsi permis d’imaginer que dans une donation-partage, l’un des enfants copartagés (ou plusieurs d’entre eux) s’obligent, en l’absence de postérité, à transmettre les biens reçus, ou ce qu’il en reste, à un autre ou à plusieurs autres. Pareil schéma peut se révéler particulièrement pertinent dans l’hypothèse où l’un des copartagés est en situation de vulnérabilité (handicap, maladie…) et qu’il n’a pas eu de descendance. De même, on peut parfaitement envisager qu’à défaut d’enfant une personne procède à la distribution et à la répartition de ses biens entre ses frères et sœurs, avec charge résiduelle ou graduelle de transmettre les biens ou leur reliquat aux autres à leurs décès. Mais c’est surtout dans des logiques transgénérationnelles que le mécanisme se révèle attractif : un grand-parent peut songer à gratifier des enfants et/ou petits-enfants en imposant une substitution au profit d’autres22. 13 - Si la donation-partage apparaît être la matrice de cette opération d’hybridation, en ce qu’elle fixe le cadre de sa parfaite réalisation, l’adjonction d’une charge substitutive n’en est pas moins susceptible de perturber certaines prévisions. - 38 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2023 ÉTUDE FAMILLE

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