Legs et Donations 2023

résiduelles » (C. civ., art. 1048 à 1061), et les autres, dans un chapitre VIII « Des libéralités-partages » (C. civ., art. 1075 à 1080) ; avec d’ailleurs une interruption significative dans la numérotation, qui marque un fossé textuel, sinon conceptuel, entre ces deux institutions. Elles paraissent d’autant plus avoir été pensées séparément qu’aucun renvoi législatif n’est opéré d’un chapitre à l’autre, comme si aucun rapprochement n’était envisageable. 3 - Pour autant, ce n’est pas parce que la loi ne reconnaît pas expressément la possibilité de grever le lot d’une libéralité-partage d’une charge substitutive qu’une telle combinaison ne peut valablement se concevoir. Puisque rien dans la loi du 23 juin 2006 n’y fait directement obstacle, pareille association est tentante pour qui voit bien qu’elle a le mérite de permettre un cumul des avantages, bien connus, d’une libéralité-partage – répartition anticipée (C. civ., art. 1075), gel des valeurs (C. civ., art. 1078), réincorporation (C. civ., art. 1078-1), saut générationnel (C. civ., art. 1075-1 et C. civ., art. 1078-4)5… – avec ceux, quoique plus confidentiels, d’une libéralité substitutive – double détente (C. civ., art. 1048 et 1057), modulation de la charge, fiscalité unique (CGI, art. 784 C)6… Évidemment, la donation-partage – simple ou transgénérationnelle – assortie d’une charge graduelle ou résiduelle n’est pas la figure libérale la plus communément rencontrée en pratique. Il faut reconnaître que le notariat ne s’est que peu emparé de cet instrument, comme il ne s’est d’ailleurs guère emparé des libéralités résiduelles et graduelles dans leur ensemble7, alors qu’il pratique très abondamment les libéralités-partages. Pour autant, c’est un outil d’une grande sophistication qui présente de sérieux atouts et qui témoigne, s’il était besoin, de la maîtrise d’une véritable « ingénierie notariale » chez ceux (encore trop rares) qui l’utilisent8. 4 - Mais à supposer qu’un tel appariement soit valable, il faut encore s’assurer qu’il est réellement efficace ; ce qui nécessite de parvenir à vaincre une difficulté d’ordre théorique. N’y a-t-il pas une incompatibilité intellectuelle à associer ces deux techniques ? La réponse dépend de l’analyse que l’on fait de la libéralité graduelle ou résiduelle9. Si on y voit, comme par le passé10, une « libéralité conditionnelle », consentie alternativement à deux gratifiés (sous condition résolutoire pour le premier et sous condition suspensive pour le second), la rétroactivité de l’opération conduit à effacer la première transmission en risquant de déstabiliser le partage anticipé et ainsi d’entraîner une disqualification de la libéralité-partage qui dégénèrerait alors en une libéralité ordinaire. C’est la raison pour laquelle, c’est aujourd’hui l’analyse d’une « libéralité substitutive », consentie successivement à deux gratifiés, qui mérite de s’imposer : les transmissions se succèdent sans que la première, bien que viagère, ne soit effacée par la seconde ; de sorte que le partage anticipé ne s’en trouve pas remis en cause. 5 Comp. Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-23.396 : JurisData n° 2012-024861 ; JCP G 2013, n° 8, 203, note F. Sauvage ; JCP N 2013, n° 11, 1056, J.-D. Azincourt. 6 V. not. Fr. Douet, Précis fiscal droit de la famille : LexisNexis, 2022, n° 2730 s. 7 M. Nicod, Une seconde chance pour les libéralités graduelles : Dr. famille 2020, repère 1. 8 C’est même au sein des libéralités-partages que les charges substitutives sont susceptibles de prendre tout leur sens et c’est peut-être là, qu’à l’avenir, elles pourraient se développer : L. Hude et Cl. Brenner, Les libéralités graduelles et résiduelles : du sommeil au réveil ? : JCP N 2016, n° 24, 1196, spéc. n° 39. 9 Pour un exposé des discussions, V. not. M. Nicod, in JCl. Civil code, Art. 1048 à 1056, fasc. 10, n° 17 s. 10 Cass. 1re civ., 17 nov. 1971, n° 70-11.907. 11 Les textes se réfèrent à l’idée de « charge » (C. civ., art. 1048 s.), jamais à celle de « condition ». 12 P. Murat, Le choix du support d’une clause graduelle ou résiduelle : JCP N 2012, n° 17, 1202, spéc. n° 13. 13 Ph. Malaurie et Cl. Brenner, Droit des successions et des libéralités : LGDJ, 9e éd., 2020, n° 823. 14 Bien que, depuis 2006, l’article 1079 ne dit plus qu’il « ne produit que les effets d’un partage », mais qu’« il produit » de tels effets : M. Grimaldi, Que sont les partages d’ascendants devenus ? : Defrénois 2014, p. 343. 5 - Si l’on souscrit à cette thèse, comme paraît le faire le droit positif11, il reste à se demander comment les règles des libéralités-partages et des libéralités substitutives, sans être incompatibles, peuvent s’articuler les unes avec les autres. Puisqu’elles n’ont pas été conçues pour cela, il apparaît clairement qu’elles ne sauraient se cumuler mais qu’il convient de tenter subtilement de les combiner. Greffer une charge graduelle ou résiduelle à un partage anticipé n’est pas anodin et conduit à la création d’un acte ambivalent qui emprunte à la fois les traits d’une libéralité-partage et ceux d’une libéralité substitutive. Dans ce mariage baroque, la libéralité-partage semble constituer une enveloppe que les spécificités de la substitution tendent à éprouver à divers échelons. Bien que cette forme hybride de libéralité repose sur la logique matricielle d’un partage anticipé (1), la présence d’une charge substitutive exerce sur l’ensemble une incidence perturbatrice (2) dont le praticien doit parfaitement mesurer les enjeux, tant au stade de sa conception que de sa liquidation. 1. La logique matricielle du partage anticipé 6 - Le déploiement d’une charge graduelle ou résiduelle, logée au sein d’une libéralité-partage, est conditionné au respect des règles applicables à l’acte qui la contient12. Il en résulte que le jeu d’une telle substitution peut s’en trouver limité, tant dans le choix de la forme de l’acte (A) que dans la désignation des bénéficiaires (B). A. - Le choix de la forme de l’acte 7 - Du point de vue formel, on sait la très grande souplesse des libéralités-partages : elles peuvent se faire sous forme de « donation-partage » ou de « testament-partage » (C. civ., art. 1075). Conceptuellement, ceci ouvre un grand nombre de combinaisons : donation-partage graduelle, donation-partage résiduelle, testament-partage graduel, testament-partage résiduel ; le tout, sans même évoquer les figures transgénérationnelles que peuvent prendre ces libéralités en réalisant des « sauts de générations ». Or, l’insertion d’une charge, fût-elle graduelle ou résiduelle, n’est véritablement pertinente qu’au sein d’une donation-partage en raison de la nature singulière de cet acte. 8 - La donation-partage est en effet un acte « 2 en 1 » : elle est à la fois dotée d’un effet dévolutif (donation) et d’un effet répartiteur (partage). En revanche, le testament-partage est un acte ambigu à bien des égards13, en particulier parce qu’il est susceptible de ne produire que les effets d’un partage (C. civ., art. 1079). Dès lors, il peut tout à fait être dépourvu d’effet dévolutif14, chaque fois qu’il réalise « un partage sans opérer de disposition - 37 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2023 ÉTUDE FAMILLE

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