Legs et Donations 2023

B. - La solution majoritairement retenue 11 - En l’absence d’arrêt de la Cour de cassation tranchant directement la difficulté, la doctrine4 considère de façon majoritaire que la première solution, c’est-à-dire l’évaluation en pleine propriété, est préférable, pour plusieurs raisons : • d’abord, parce que, dans sa conception originelle, la donation-partage s’analyse en une pré-succession, un pré-partage successoral, qui doit allotir les enfants a mimima de leur réserve. Or, dans cette acception, il est assez logique de ne pas tenir compte de l’usufruit réservé par celui qui est censé être décédé ; • ensuite, parce que l’on peut se prévaloir d’une interprétation analogique d’une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation rendue sous l’empire de la loi du 7 février 1938, à une époque où les biens donnés par donation simple devaient être évalués, pour le rapport et la réunion fictive, au jour de la donation. En effet, à l’époque, et dans le souci d’assurer une meilleure égalité entre les héritiers, la Cour de cassation considérait qu’il fallait tenir compte, pour le rapport, de la pleine propriété du bien donné au jour de la donation, y compris en cas de réserve d’usufruit par le donateur5 ; • enfin, et de façon très pragmatique, parce que le seul arrêt d’une juridiction du fond rendu en matière de donation-partage avec réserve d’usufruit, est également en ce sens6. REMARQUE  Si la règle liquidative conduit donc à retenir des valeurs en pleinepropriété pour la réunion fictive, il n’en reste pas moins que, pour le donateur et ses enfants (comme pour l’administration fiscale), ce qui va compter, au jour de la donation-partage, c’est bien la réalité économique. Celui qui reçoit un bien en nue-propriété ne peut pas entendre qu’il reçoit la même chose que l’attributaire d’un bien identique en pleine propriété. Selon les hypothèses, cette discordance peut n’avoir aucun effet ou aller jusqu’à remettre en cause la donation-partage. 2. Les conséquences pratiques de la discordance entre les deux logiques d’évaluation A. - Illustration du problème 12 - On peut ici prendre l’exemple relativement classique d’une donation-partage voulue égalitaire, au profit de deux enfants, portant sur un seul bien dont le donateur entend se réserver l’usufruit. Dans ce cas, classiquement et conformément à la réalité économique, la soulte due par l’attributaire à son frère/sa sœur va être fixée en tenant compte de la valeur du bien en nue-propriété. On va donc bien retrouver la discordance sus-évoquée entre l’évaluation 4 V. P. Catala et G. Morin, La réforme des liquidations successorales : Defrénois, 3e éd., 1982, n° 123, p. 194, note 457. – A. Ponsard, Liquidation successorales, Rapport, Réduction : Partage n° 206, p. 279. – Sur l’ensemble de la question, V. D. Epailly (dir.), 70 questions de donation-partage : LexisNexis, Coll. Brochures du Cridon Sud-Ouest, p. 184 et s., n° 348 et s. 5 V. Cass. 1re civ., 5 févr. 1975 : JCP G 1976, II, 18249, note M. Dagot : « En vertu de l’article 860 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 juillet 1971, le bien donné en avancement d’hoirie doit être évalué à la date de la donation mais compte tenu des droits que l’héritier gratifié possède sur ce bien au jour où il doit en être fait rapport en moins prenant pour assurer l’égalité entre les héritiers ». – V. aussi, dans le même sens, Cass. 1re civ., 17 nov. 1971 : Defrénois 1972, art. 30044, note G. Morin. 6 V. CA Grenoble, 19 nov. 1987, n° 1175/85, est en ce sens : « […] Attendu que pour le calcul de la réserve il convient, aux termes de l’article 1078 susvisé de se placer au jour de la donation-partage, et non pas à une date ultérieure, telle l’ouverture de la succession, ou la date la plus rapprochée du partage, pour apprécier si la quotité disponible a été dépassée dans l’attribution faite à Baptiste, lequel, héritier réservataire pouvait cumuler sa part réservataire (15 %) et la quotité disponible (25 %), soit 40 % de l’actif net de la succession ; que lorsque la libéralité est limitée dans un premier temps à la nue-propriété, et s’étendra su décès du donateur dans un second temps, à la pleine propriété, le calcul de la réserve doit être effectué sur la valeur totale des biens, et non sur la seule valeur de la nue-propriété […] ». économique et l’évaluation aux fins liquidatives, qui selon les circonstances (valeur de l’usufruit, existence ou non d’autres biens appartenant au donateur), aura ou non des conséquences sur la stabilité de l’acte et d’éventuels rétablissements. Deux exemples permettent de l’illustrer. EXEMPLE 1  Deux enfants (A et B). La donation-partage porte sur un seul bien d’une valeur de 100 000 € avec un usufruit réservé sur la tête du donateur (évalué à 20 %, soit 20 000). Le bien est attribué à l’enfant A. Suivant une logique purement économique, le donateur donne 80 000 (valeur de la nue-propriété). Si l’enfant est attributaire du bien que l’on souhaite l’égalité, l’enfant B va recevoir une soulte de 40 000. Cela étant dans une logique liquidative, au décès, puisque l’on ne tient pas compte de l’usufruit, il faut considérer que l’enfant A a, en réalité, reçu 100 000 moins les 40 000 de soulte qu’il a acquittés, soit 60 000 €, tandis que l’enfant B n’a reçu que 40 000 €. S’il n’existe pas d’autres biens, et toute chose étant égale par ailleurs, la donation-partage sera considérée comme inégalitaire au plan liquidatif (60 000/40 000). Pour autant, elle ne sera pas remise en cause pour atteinte à la réserve, puisque chaque enfant a été rempli de ses droits (ici la réserve est égale à 1/3 de 100 000=33 333 €). 13 - Ainsi, dans ce premier exemple, il existe une discordance entre l’évaluation économique et l’évaluation liquidative, mais celle-ci n’entraîne aucun rétablissement : ni « complément de réserve », ni réduction, ni évidemment de rapport puisqu’une donation-partage n’est jamais rapportable. EXEMPLE 2  Prenons cette fois les mêmes données mais avec un usufruit plus fortement valorisé. La donation-partage consentie au profit de A et B porte sur un seul bien d’une valeur de 100 000 € avec un usufruit réservé sur la tête du donateur évalué cette fois à 40 % (soit 40 000). Le bien est attribué à l’enfant A. Suivant une logique économique, puisque la nue-propriété de ce bien vaut 60 000, l’enfant B va recevoir une soulte de 100 000 – 40 000/2 = 30 000. Mais liquidativement, au décès, puisque l’on ne tient pas compte de l’usufruit, il faut considérer que l’enfant A a, en réalité, reçu 100 000 – 30 000=70 000 €, tandis que l’enfant B n’a reçu que 30 000 €. S’il n’existe pas d’autres biens, et toute chose étant égale par ailleurs, la donation-partage pourra être remise en cause pour atteinte à la réserve de B (une nouvelle fois égale ici à 1/3 de 100 000 soit 33 333 €). - 28 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2023 ÉTUDE FAMILLE

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