Legs et Donations 2023

2 - Une partie de la difficulté du sujet réside ainsi dans la nécessité de bien identifier le moment de l’évaluation et sa cause, c’est-à-dire le quand et le pourquoi. C’est cette identification préalable qui va permettre de savoir ensuite comment évaluer, car les règles sont tributaires de l’objectif recherché. L’évaluation fiscale, par exemple, connaît des spécificités par rapport aux règles civiles, que l’on pense notamment au barème fiscal de l’usufruit (CGI, art. 669.) ou encore au principe de non-distraction des charges. Mais, même en restant civiliste, ce qui est notre cas, il existe des différences entre les règles d’évaluation en fonction du but qu’elles poursuivent, et il est notamment possible de distinguer ce que l’on appelle l’évaluation « économique » de l’évaluation « à des fins liquidatives ». 3 - En résumé, l’évaluation « économique » correspond à la valeur vénale des biens, ce qui peut poser des difficultés pratiques, mais rarement juridiques. Elle est utilisée au moment de la donation-partage, lorsque le donateur compose les lots avec l’aide de son notaire. 4 - L’évaluation « à des fins liquidative » est quant à elle utilisée pour savoir ce qui doit être pris en compte dans la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible. Cette évaluation est normalement réalisée au moment du décès du donateur, mais il n’est pas rare d’en faire une « projection » au jour de l’acte. Au contraire de l’évaluation économique, cette évaluation « à des fins liquidatives » obéit à des règles juridiques précises et impératives, qui participent de la protection de la réserve qui est ellemême d’ordre public : • elle conduit d’abord à s’interroger sur l’application ou non du célèbre article 1078 du Code civil2, qui invite à vérifier le respect des trois conditions qu’il pose : l’allotissement de tous les enfants, l’absence de réserve d’usufruit sur une somme d’argent, et l’absence de volonté contraire des parties ; • cette vérification opérée, si les conditions du texte sont remplies, les valeurs d’évaluation liquidatives seront « bloquées » au jour de l’acte. Si ce n’est pas le cas, il conviendra, comme c’est le cas pour une donation ordinaire, de rechercher la valeur des lots au jour du décès en tenant compte des subrogations éventuelles. On pourra alors être amené à rencontrer toute une somme de difficultés, tenant par exemple au correctif de « l’état du bien ». On pense ici, notamment, à la diversité des hypothèses relatives à la donation du terrain à bâtir : le terrain constructible devenu inconstructible, le terrain inconstructible devenu constructible, la construction par le donateur, ou par le donataire, etc. 5 - Alors bien sûr, il n’est pas question d’évoquer ici toutes les interrogations que ces règles peuvent susciter, qui nécessiteraient une étude d’une plus grande ampleur3. Il nous est apparu intéressant en revanche d’insister sur l’écart, voir l’opposition, qui peut parfois exister entre l’évaluation « économique » et l’évaluation « liquidative », et les difficultés qui peuvent en résulter. 2 C. civ., art. 1078 : « Nonobstant les règles applicables aux donations entre vifs, les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté, et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent ». 3 Sur le sujet, V. D. Epailly (dir.), 70 questions de donation-partage : LexisNexis, coll. Brochures du Cridon Sud-Ouest. 6 - Pour cela, nous avons choisi d’évoquer une hypothèse a priori très simple et relativement courante, d’une donation-partage avec réserve d’usufruit sur la tête du donateur, lorsque l’acte respecte les conditions de l’article 1078 du Code civil précité. La difficulté dans ce cas, est, très schématiquement, que « l’évaluation économique » va inviter naturellement à se baser sur la valeur des biens en nue-propriété au jour de l’acte pour constituer les lots, tandis que « l’évaluation liquidative », que l’on va utiliser pour établir la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, va plutôt conduire, si l’on suit la doctrine majoritaire, à retenir la valeur desdits lors, toujours au jour de l’acte mais cette fois en pleine propriété. REMARQUE  Il existe donc bien une discordance entre les deux évaluations, avec cette possible conséquence qu’une donation-partage « économiquement » égalitaire, puisse être inégalitaire lors de la liquidation, ou inversement. 7 - Pour approfondir un peu cette difficulté, on commencera par rappeler les justifications de la règle liquidative qui veut que l’on ne tienne pas compte de l’usufruit réservé par le donateur. Nous envisagerons ensuite les conséquences pratiques de la discordance entre les deux logiques d’évaluation. 1. La règle liquidative d’évaluation des lots de la donation-partage avec réserve d’usufruit A. - Les données du problème 8 - Il est connu qu’une donation ordinaire avec réserve d’usufruit doit être réunie fictivement pour la valeur du bien en pleine propriété au jour du décès (C. civ., art. 922). Cette règle s’explique facilement par le fait que l’usufruit réservé n’existe plus, par hypothèse, au jour de l’ouverture de la succession. 9 - La même règle s’applique en présence d’une donation-partage avec réserve d’usufruit, lorsque cet acte ne respecte pas les conditions de l’article 1078 du Code civil précité, et qu’il convient donc de se placer, une fois encore, au jour du décès du donateur usufruitier. 10 - Lorsque la donation-partage respecte lesdites conditions, les choses sont moins évidentes. Est-ce qu’il faut, par analogie avec les solutions précédentes, considérer que les lots de la donation-partage doivent être évalués au jour de l’acte mais sans tenir compte de la réserve d’usufruit, donc en pleine propriété ou est-ce qu’il est préférable de considérer que l’idée de « blocage des valeurs », doit conduire à ne tenir compte que d’un lot en nue-propriété ? - 27 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2023 ÉTUDE FAMILLE

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