La revue fiscale du patrimoine

1 - Il est manifeste que les clients confrontés à un contexte patrimonial international, en particulier intra-européen, bénéficient aujourd’hui d’outils propres à assurer une meilleure cohérence et une pérennité renforcée de leurs choix patrimoniaux dans le temps et l’espace. Peut-être plus que d’autres matières, le droit patrimonial a profité, au gré des règlements européens successifs, de l’entreprise d’unification des règles de droit international privé portée par l’Union européenne, notamment par l’uniformisation de certaines règles de conflits de loi. Plus encore, transparaît au travers de ces textes une volonté affirmée des États membres de créer des ponts solides entre les ordres juridiques internes, lesquels ont vocation à évoluer en synergie à partir de ces bases communes. 2 - En particulier pour la matière successorale, le dernier règlement européen2 vise une véritable unification des règles de conflit de loi européennes destinée à l’application d’une loi successorale unique. Malgré cette entreprise unificatrice, fréquentes encore sont les situations où les règles de plusieurs États interfèrent : c’est notamment le cas pour les personnes particulièrement mobiles et qui ont des avoirs disséminés. Même si la désignation d’une loi applicable unique devrait conduire à atténuer ces difficultés, parfois se posera la question de la « portabilité » des institutions juridiques d’un ordre interne vers l’autre. 3 - À l’heure où une partie du personnel politique, français comme étranger, se fait le héraut d’un retour, ou d’une consécration, d’une forme de souveraineté juridique, ce sujet de l’imbrication des législations reste prégnant, et sans doute pour longtemps encore. Peut-être cette volonté de réaffirmation du droit local n’est-elle pas éphémère, mais bien le symptôme d’une tendance durable déjà à l’œuvre, sur fond de concurrence entre systèmes juridiques : côté français, n’assiste-t-on pas, par exemple, à un retour en force de la réserve héréditaire3 ? À l’opposé pourtant, l’adoption de règles communes devrait conduire à un affaiblissement progressif de l’ordre public4... 4 - Au plan fiscal, on le sait, les problématiques de portabilité et de compatibilité des règles de droit interne se posent avec d’autant plus d’acuité que les conventions fiscales en matière de transmission à titre gratuit se font rares et que les conséquences de certaines solutions peuvent différer, y compris entre États frontaliers. 5 - La Belgique et la France, atlantes de l’Europe du droit, sont au centre de ces problématiques persistantes et mouvantes. Corrélativement, la proximité de leurs systèmes juridiques est de nature à faire naître des réponses satisfaisantes aux situations d’extranéité les plus complexes, lesquelles pourront – le cas échéant – servir de référence ou d’exemple pour le règlement d’autres situations internationales. 6 - Le présent article aura ainsi pour objet d’apporter notre humble part à cette réflexion collective et plus globale des professionnels du droit qui vise à assurer l’efficacité dans le temps et l’espace des transmissions entre vifs initiées par nos clients. 7 - Plus spécifiquement, cet article fera en premier lieu état de notre analyse à propos de quelques points d’attention civils concentrés sur des aspects de portabilité (1). Dans un second temps, ce sont les problématiques fiscales, principalement liées aux droits d’enregistrement, qui seront l’objet de nos développements (2). 1. Transmission entre vifs franco-belge : points d’attention civils 8 - Nous avons ciblé des problématiques de portabilité récurrentes dans le contexte franco-belge liées au démembrement de propriété (A), au droit de retour (B) et à la donationpartage (C). A. - Le démembrement de propriété en droit comparé 9 - Après un rappel sur la pratique du démembrement de propriété en droit comparé (1°), nous étudierons les difficultés d’appréhension d’institutions liées à ce mécanisme dans chacun des ordres juridiques (2° et 3°). 1° Propos liminaires : la pratique du démembrement 10 - En France comme en Belgique, l’usufruit est « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance » et peut résulter indifféremment de la loi ou de la volonté. 11 - Pourtant il est intéressant de constater qu’à partir de ce même noyau commun, les deux législations ont construit des mécanismes et des usages différents. Régulièrement, les auteurs et praticiens5 des deux pays mentionnent ces usages dissemblants, ainsi que les écueils et confusions à éviter. 12 - À titre d’exemple, citons la donation avec réserve d’usufruit : parce qu’elle permet d’anticiper la transmission d’un capital sans se déposséder des revenus et de l’essentiel du pouvoir, ce mode de transmission relève d’un classique en droit français. Or, la pratique belge n’a pas développé, du moins dans les mêmes proportions, ce type de libéralité. La raison tient, sans doute, aux conditions d’imposition de la transmission : si en droit français, l’impôt de donation est assis sur la seule valeur de la nue-propriété transmise, cette dernière considération est neutre en droit belge qui, en tout état de 1. Office belge de statistique, 26 mai 2020. 2. Règl. Succession n° 650/2012, 4 juill. 2012. 3. En ce sens, par ex., V. Successions-Partage – Entre trop et pas assez : le droit de prélèvement version 2021, étude par H. Fulchiron et S. Ferré-André : JCP G 2021, doctr. 1109. 4. En ce sens, par ex., V. en matière de divorce, P. Hammje, Le nouveau règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps : Rev. crit. DIP 2011, p. 291, spéc. n° 2. 5. Rencontres internationales Althémis – Pour un acte transnational : l’usufruit et la réversion d’usufruit Droits français, belge et anglais, étude par P. Julien Saint-Amand, B. Savoure, P. Sanseau et Y. Moreau-Cotten : RFP 2020, étude 20. 22 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 4, AVRIL 2022

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