La revue fiscale du patrimoine

LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE OPTIMISATION FISCALE DU PATRIMOINE PRIVÉ ET PROFESSIONNEL Hors-série numéro 1/2022 / ISSN : 2262-4147 STRATÉGIE PATRIMOINE FINANCE

Ce geste d’amour peut changer sa vie, votre générosité aussi Damien, 7 ans, et ses deux petites sœurs ont été séparés de leurs parents pour des raisons familiales graves. La Fondation ACTION ENFANCE les a accueillis, tous les trois, dans la même maison d’un Village d’Enfants afin qu’ils grandissent ensemble, accompagnés par une éducatrice familiale, dans la durée et la stabilité. Plus de 850 frères et sœurs s’acheminent ainsi, jour après jour, vers leur autonomie dans nos Villages d’Enfants et d’Adolescents. Léguer à la Fondation ACTION ENFANCE, c’est permettre d’accueillir et de protéger encore plus d’enfants en danger en France. Véronique Imbault répond à vos questions sur les donations, legs et assurances-vie 01 53 89 12 44 I veronique.imbault@actionenfance.org ACTION ENFANCE I Fondation reconnue d’utilité publique I 28, rue de Lisbonne 75008 Paris www.actionenfance.org Pour des raisons de confidentialité, nous avons changé le nom et la photo de l’enfant présenté dans cette annonce. © Fotolia

ÉDITORIAL VIVUS* (* Vulnérabilité, immatériel, volatilité, utilité, stratégie. Du latin Vivus : en vie, qui possède la vie, personne qui est en vie) Olivier Debat, professeur de droit privé, co-directeur scientifique de la Revue fiscale du patrimoine REVUE FISCALEDUPATRIMOINE Président-Directeur Général, Directeur de la publication : Eric Bonnet-Maes Directrice éditoriale : Anne-LaurenceMoneger Anne-laurence.moneger@lexisnexis.fr Directrice de la rédaction : VéroniqueMarie Veronique.marie@lexisnexis.fr Rédacteur en chef : Claire Richert Tél. : 01.45.58.93.95 claire.richert@lexisnexis.fr Ont participé à ceHors-Série : ConstanceHibon Catherine Larée Sabine Rovani Anaïs Schouflikir-Gabriel Chargée d’édition : Claire Absil claire.absil@lexisnexis.fr Conseiller : Jean-François Pillebout Direction scientifique : Olivier Debat, professeur agrégé à l’université Toulouse 1 Capitole Comité scientifique : Patrice Bonduelle, notaire à Paris Laurent Benoudiz, expert-comptable, commissaire aux comptes, président de l’ordre des experts-comptables, Paris-Île-de-France, membre du comité scientifique de la Revue fiscale du patrimoine Olivier Debat, agrégé des facultés de droit, professeur à l’université Toulouse 1 Capitole Pascal Julien Saint-Amand, notaire à Paris Eric Pornin, avocat, consultant auprès duCRIDONde Paris Olivier de Saint Chaffray, avocat associé Jean-Jacques Lubin, fiscaliste au CRIDON de Paris Crédit photos : ©AdobeStock - whyframeshot (Photo - première de couv) Responsable clientèle publicité : Caroline Spire caroline.spire@lexisnexis.fr 01 45 58 94 69 Correspondance : Claire Richert (Revue fiscale du patrimoine) 141, rue de Javel 75747 Paris Cedex 15 Relations clients : Tél. : 01.71.72.47.70 www.lexisnexis.fr LexisNexis SA SA au capital de 1.584.800 euros 552 029 431RCS Paris Principal associé : Reed Elsevier France SA Siège social : 141, rue de Javel, 75747 Paris Cedex 15 Mise en page Vif - Argent Evoluprint Parc Industriel Euronord 10, rue du Parc - 31150Bruguières N° Imprimeur : 5998 N° éditeur : 5816 Dépôt légal : à parution Commission paritaire : n° 0624 T 81789 ISSN : 2262-4147 Origine du papier : Allemagne Taux de fibres recyclées : 6% Certification : 100% Impact sur l’eau : PTOT = 0,01 kg / tonne Hors-série gratuit 5 Le présent numéro hors-série opère une sélection de thématiques actuelles lorsqu’il s’agit de gérer stratégiquement le couple patrimoine-finances, à commencer par la prise en compte de la fragilité des personnes mais aussi parfois des biens. C’est dire que les préoccupations immatérielles occupent une place tout aussi importante et souvent même supérieure à celle attribuée à l’aspect tangible pouvant caractériser les êtres et les choses, et que l’innovation tout à la fois technologique et juridique apparaît comme une donnée centrale pour envisager des choix utiles et stratégiques. La vulnérabilité des personnes peut conduire à des orientations patrimoniales visant à anticiper sa propre possible faiblesse ou celle du bénéficiaire de la transmission. Ainsi, en matière d’assurance-vie, l’acceptation du vivant par le bénéficiaire peut être pensée en prévision de la vulnérabilité du souscripteur, avec des précautions à prendre pour éviter la requalification en donation (C. Farge, M.-L. Henry, J. Dijoux), tandis que différentes techniques (création d’un patrimoine fiduciaire, démembrement…) peuvent permettre de contrôler la consommation des capitaux décès reçus par le bénéficiaire vulnérable (C. Farge, S. Comparot). La vulnérabilité des choses est également une source légitime de préoccupation, spécialement s’agissant des œuvres d’art numériques. Leur pérennité est une question primordiale en termes de valeur et de transmission, ce qui conduit à envisager le recours à la technologie blockchain et en particulier aux « NFT artistiques » (NFT pour non-fungible tokens ou jetons non fongibles) (G. Goffaux Callebaut, F. Burneau). La prise en compte de l’innovation se déploie au-delà de la seule technologie puisque la loi également innove, et même quelquefois fortement, comme le révèle la récente réforme du statut de l’entrepreneur individuel. Cela amène à s’interroger sur l’opportunité pour l’entreprise individuelle d’être soumise à l'impôt sur les sociétés (L. Bénoudiz). Quant à la valeur de la chose transmise, la volatilité caractérisant les biens immatériels se retrouve s’agissant de l’entreprise, ne serait-ce qu’à travers ses liquidités. Il faut prendre garde ici au piège tendu de la trésorerie excédentaire, le moment venu d’appliquer le dispositif Dutreil (J.-J. Lubin). Il est certain par ailleurs que l’image de l’entreprise présente un caractère particulièrement volatile à l’ère de l’internet et des réseaux sociaux, face au risque « réputationnel », et qu’il convient d’essayer de la préserver. D’où la réflexion qui peut être menée sur la réputation fiscale pour essayer de ne pas s’en tenir à la seule valorisation d’un impact négatif mais aussi d’envisager l’impact positif objectif que peut apporter une stratégie volontariste dans ce domaine (R. Coin). Dans le prolongement, l’entreprise est incitée à adopter différentes lignes d’orientation stratégiques répondant aux attentes contemporaines, avec comme souci multiple de correspondre à la réalité de la substance économique, un meilleur partage des profits de l’activité économique et le respect de valeurs éthiques (V. récemment, Vers une autorégulation de l’éthique des activités économiques, entre incitations et contraintes, O. Debat (dir.), LexisNexis, 2022). A ce titre, il est permis d’envisager le partage des plus-values de cession de titres avec les salariés (B. Teyssié). De même, il faut considérer avec attention l’évolution possible de la responsabilité pénale des personnes morales vers une responsabilité du fait d’autrui en matière de corruption, eu égard aux actions des dirigeants et salariés, en tenant compte de l’essor de la justice négociée (B. Grundler, D. Hever). Egalement, la réduction du risque d’écoblanchiment notamment conduit à devoir mettre en place un suivi des engagements climatiques des sociétés financières et non financières (J.-M. Moulin). Au niveau international, la question cruciale de la substance économique des sociétés se traduit par une proposition de directive du 22 décembre 2021 (ATAD 3) contre l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales, laquelle viendrait définir des critères cumulatifs objectifs permettant d’identifier les entités à risque et les priver du bénéfice des avantages fiscaux tirés de certains instruments internationaux et européens (conventions fiscales internationales entre États membres, directive mères-fille…) (P. d’Azemar de Fabrègues, N. Nezondet). Quant à l’investissement étranger en France, après un mouvement de décloisonnement initié dans les années 1960, existe, dans une certaine mesure, un retour au contrôle. Ce renforcement se traduit par une extension progressive du domaine des activités soumises au contrôle et la Direction générale du Trésor a lancé une consultation publique dans le but d’élaborer des lignes directrices du contrôle des investissements étrangers en France (C. Barrillon, X. Lemaréchal). Enfin, il est permis de constater la volonté européenne que les entreprises intègrent une attitude de vigilance dans l’ensemble de leur stratégie d’entreprise, au besoin au moyen de solutions novatrices (code de conduite, mise en place de procédures de médiation et prise en charge de l’indemnisation des victimes de dommages causés par l’insuffisance des mesures de vigilance…). Cette volonté européenne se traduit par une proposition de directive européenne relative au devoir de vigilance des entreprises du 23 février 2022 (B. Parance).

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sommaire ÉDITORIAL VIVUS par Olivier DEBAT page 3 STRATÉGIE PATRIMONIALE L’acceptation du vivant, outil de protection d’un majeur vulnérable Étude par Claire FARGE, Marie-Lorraine HENRY et Jessica DIJOUX page 7 Assurance-vie : contrôler la consommation des capitaux décès reçus par le bénéficiaire majeur vulnérable Étude par Claire FARGE et Sébastien COMPAROT Page 13 La transmission des œuvres d’art numériques Étude par Géraldine GOFFAUX CALLEBAUT et François BURNEAU Page 17 STRATÉGIE FISCALE L’entreprise individuelle à l'impôt sur les sociétés : une opportunité ? Étude par Laurent BENOUDIZ Page 21 Dispositif Dutreil : le piège tendu de la trésorerie excédentaire Commentaire par Jean-Jacques LUBIN Page 24 Réputation fiscale : tentative empirique de valorisation objective d’une donnée subjective Étude par Raphaël COIN Page 27 STRATÉGIE SOCIÉTAIRE Le partage des plus-values de cession de titres avec les salariés Étude par Bernard TEYSSIÉ Page 36 Responsabilité pénale des dirigeants et salariés en matière de corruption Évolutions récentes et à venir Étude par Benjamin GRUNDLER et Dorothée HEVER Page 41 Le suivi des engagements climatiques des sociétés financières et non financières Commentaire par Jean-Marc MOULIN Page 44 STRATÉGIE INTERNATIONALE ATAD 3 : proposition de directive du 22 décembre 2021 contre l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales Étude par Pierre d'AZEMAR de FABRÈGUES et Nicolas NEZONDET Page 48 Améliorer le droit des investissements étrangers en 2022 Libres propos par Clément BARRILLON et Xavier LEMARÉCHAL Page 53 L’ambition européenne d’un devoir de vigilance, une belle avancée ! Commentaire de la proposition de directive européenne relative au devoir de vigilance des entreprises du 23 février 2022 Étude par Béatrice PARANCE Page 55

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9 STRATÉGIE PATRIMONIALE L’article L. 132-9 duCode des assurances prévoit la possible acceptation du contrat d’assurance-vie par le bénéficiaire des capitaux décès alors que le souscripteur est encore vivant. En présence d’un souscripteur susceptible d’être victime d’abus de faiblesse ou de sa propre prodigalité, une telle acceptation permet de mettre en place un contrôle de la consommation de l’épargne investie dans le contrat. Sous réserve de quelques précautions à respecter dans son utilisation, elle est un véritable outil d’ingénierie patrimoniale qui gagne à être mieux connu et sans doute davantage utilisé, d’autant plus que la situation qu’elle génère est totalement maîtrisée par les compagnies d’assurances. 1. - Il arrive que certaines personnes, qui redoutent d’être, aujourd’hui ou dans un plus ou moins proche avenir, incapables de gérer raisonnablement leur patrimoine, soient en demande de protection « contre elles-mêmes ». L’assurance-vie de type placement permet de mettre en place une telle protection. Encore faut-il, pour le comprendre, ne pas se méprendre sur l’interprétation qu’il convient de donner à une récente jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle doit simplement être entendue comme encourageant le rédacteur d’acte à faire preuve d’une grande précaution dans le choix des formules employées. Ndlr : Étude publiée in JCP N 2022, n°24, 1176. 1  Si le majeur-souscripteur est placé sous un régime de protection, l’article L. 132-4-1 du Code des assurances qualifie le rachat d’acte de disposition devant être accompli : • en cas de tutelle, par le tuteur, sur autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ; • en cas de curatelle, par le majeur assisté de son curateur. En cas d’habilitation familiale avec représentation, si l’habilitation est générale ou si elle porte sur les contrats d’assurance-vie souscrits par le majeur, la personne habilitée peut exercer seule les rachats. En cas d’habilitation familiale avec assistance, ce sont les mêmes règles qu’en matière de curatelle qui s’appliquent et, donc, l’assistance de la personne habilitée est requise pour l’exercice du rachat. Enfin, si un mandat de protection future a été mis en œuvre, le mandataire a le pouvoir d’exercer un rachat à condition que cela ait été expressément prévu par le mandat et, en principe, ce pouvoir est concurrent à celui du mandant puisque le mandat n’entame pas la capacité du mandataire. 2  Sur l’effet fiscal au regard de l’IFI d’une acceptation, V. Rép. min. n° 18648 : JOAN 16 févr. 2010, p. 1691, Dolez M. – Cass. com., 12 déc. 2018, n° 17-20.913 : JurisData n° 2018-022841 ; JCP N 2019, n° 2, act. 139 ; Memento Lefebvre [Patrimoine] 21-22, n° 28596. 3  V. Memento Lefebvre [Patrimoine] 21-22, n° 28380. 4  L. n° 2007-1775, 17 déc. 2007, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d’assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés : JO 18 déc. 2007, texte n° 3 ; JCP N 2007, n° 51-52, act. 836. 5  Il convient donc, quand on parle du contrat accepté « dum vit » (i.e. : du vivant du souscripteur), de distinguer selon que l’acceptation a eu lieu avant ou à partir du 18 décembre 2007, y compris sur les contrats souscrits avant cette date. 1. La possible mise en place d’un contrôle de la consommation de l’épargne investie dans un contrat d’assurance-vie 2. - Cas des majeurs protégés. - La consommation du patrimoine placé en assurance-vie passe par l’exercice de la faculté de rachat prévue par l’article L. 132-21 du Code des assurances. Contrôler la consommation de l’épargne investie en assurance-vie suppose donc la mise en place d’un contrôle de l’exercice par le souscripteur de sa faculté de rachat. Lorsque le majeur vulnérable est placé sous un régime de protection, c’est son organe de protection qui exerce un tel contrôle1. 3. - Article L. 132-9 du Code des assurances. - Si le majeur à protéger « contre lui-même » n’est pas placé sous un régime de protection, le droit de l’assurancevie offre un outil de contrôle par un tiers de confiance de l’exercice de sa faculté de rachat par le souscripteur : l’acceptation du contrat par le bénéficiaire alors que le souscripteur assuré est encore vivant. Prévue et régie par l’article L. 132-9 du Code des assurances, cette acceptation « dum vit » s’avère être un formidable outil d’ingénierie patrimoniale2, encore très sous-exploité3. Issu d’une réforme opérée en 20074, l’article L. 132-9 du Code des assurances innove par rapport au droit antérieur, essentiellement jurisprudentiel, aussi bien au regard des conditions de forme à respecter qu’au regard des effets d’une telle acceptation5. L’acceptation du vivant, outil de protection d’un majeur vulnérable Jessica Dijoux, cabinet d'avocats FIDAL, juriste au département Patrimoine Val de Loire Océan Marie-Lorraine Henry, avocate associée, cabinet d'avocats FIDAL, docteur en droit, diplômée notaire Claire Farge, docteur en droit, avocate, cabinet d'avocats FIDAL, co-présidente de la commission Ingénierie patrimoniale de l'ACE-Avocats ensemble © Droits réservés © Droits réservés © Droits réservés

10 STRATÉGIE PATRIMONIALE 4. - Ainsi, consentie avant le 18 décembre 2007, l’acceptation « dum vit » n’était soumise à aucune forme particulière et pouvait même être tacite. En revanche, les acceptations d’après cette date sont soumises à de strictes conditions de forme puisqu’elles doivent nécessairement être exprimées par écrit. Ce dernier peut prendre la forme d’un avenant au contrat ou d’un acte autonome et être sous seing privé ou authentique. Précisément, l’article L. 132-9, II du Code des assurances dispose que : « Tant que l’assuré et le stipulant sont en vie, l’acceptation est faite par un avenant signé de l’entreprise d’assurance, du stipulant et du bénéficiaire. Elle peut également être faite par un acte authentique ou sous seing privé, signé du stipulant et du bénéficiaire, et n’a alors d’effet à l’égard de l’entreprise d’assurance que lorsqu’elle lui est notifiée par écrit». » L’acceptation ne peut donc plus être découverte par surprise par le souscripteur : elle suppose son accord et l’information de la compagnie d’assurance. Autrement dit, dans l’esprit du législateur de 2007, l’acceptation doit relever d’une stratégie élaborée d’un commun accord par le souscripteur et par le bénéficiaire. 5. - Quant aux effets de l’acceptation « dum vit », le nouveau dispositif est radicalement différent. Une acceptation réalisée avant le 18 décembre 2007 ne bloque pas le droit de rachat du souscripteur, sauf manifestation expresse de ce dernier. C’est ce qui résulte d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en chambre mixte le 22 février 20086 : « lorsque le droit de rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d’assurance-vie mixte, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation n’est pas fondé à s’opposer à la demande de rachat du contrat en l’absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit. ». 6. - En revanche, l’article L. 132-9, I, alinéa 1er du Code des assurances énonce aujourd’hui que « Pendant la durée du contrat, après acceptation du bénéficiaire, le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ». Le bénéficiaire acceptant est donc devenu un véritable contrôleur de la consommation de son épargne par le souscripteur. 2. Rejet de la thèse de la qualification systématique de donation 7. - Arrêt du 20 novembre 2019. - À la suite d’un arrêt rendu le 20 novembre 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation7, la question se pose de savoir si cette différence des effets de l’acceptation « dum vit », selon qu’elle a été donnée avant ou après le 18 décembre 2007, produit une différence de qualification du contrat d’assurance-vie accepté. En effet, dans cet arrêt relatif à la qualification d’un contrat accepté avant le 18 décembre 2007, la Cour de cassation, partant du constat que le souscripteur n’avait pas renoncé expressément à l’exercice de son droit de rachat, écarte la demande de requalification du contrat en donation indirecte. 8. - Thèse de la requalification systématique. - À partir du moment où, pour les acceptations réalisées à compter du 18 décembre 2007, l’article L. 9-132 du Code des assurances prévoit que l’acceptation « dum vit » prive le souscripteur de l’exercice discrétionnaire de sa faculté de rachat, certains praticiens font dire à cet arrêt qu’une acceptation « dum vit » réalisée à partir du 18 décembre 2017 a pour effet d’entraîner systématiquement la requalification du contrat d'assurance6  Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, n° 06-11.934 : JurisData n° 2008-042918 ; JCP N 2008, n° 11, act. 284. 7  Cass. 1re civ., 20 nov. 2019, n° 16-15.867 : JurisData n° 2019-020561 ; JCP N 2020, n° 7-8, 1054, note C. Hélaine. 8  Et notamment les règles de pouvoir en présence d’un souscripteur marié sous le régime de la communauté : V. Cass. 1re civ., 20 nov. 2019, n° 16-15.867 : JurisData n° 2019-020561 ; JCP N 2020, n° 7-8, 1054, note C. Hélaine. 9  Ajoutons, ainsi qu’il a pu être observé (V. Cass. 1re civ., 20 nov. 2019, n° 16-15.867, FS+P+B+I : JurisData n° 2019-020561 ; Resp. civ. et assur. 2020, comm. 51, note Ph. Pierre), que si cette qualification de donation doit être systématiquement retenue en présence d’une acceptation « dum vit », il faudrait également en déduire que toute autorisation faite par le bénéficiaire acceptant au profit du souscripteur d’opérer un rachat devra être requalifiée en donation en sens inverse de la part du bénéficiaire au profit du souscripteur ! (Philippe Pierre écarte néanmoins cette qualification si cette autorisation a été formulée dès l’acceptation ou procède d’une programmation antérieure de rachats par le souscripteur.). 10  Sur d’autres motifs, V. Memento Lefebvre [Patrimoine], n° 28381 et s. 11  En ce sens : Resp. civ. et assur. 2020, comm. 51 ; BJDA 2020, n° 67, M. Robineau. 12  LEDA janv. 2020, n° 1, p. 1, M. Leroy. 13  Cass. 2e civ., 3 nov. 2011, n° 10-25.364 : JurisData n° 2011-024086 ; RD bancaire et fin. 2012, comm. 20, note J. Djoudi. vie en donation indirecte des primes versées. L’adoption d’une telle thèse a les conséquences à la fois civiles et fiscales suivantes : • civilement, le bénéficiaire serait traité comme un donataire dans la succession du souscripteur assuré. Selon son lien de parenté avec ce dernier et le contexte familial, il serait tenu au rapport et/ou à la réduction ; cette donation serait régie par toutes les règles civiles applicables aux donations8 ; • fiscalement, la fiscalité propre de l’assurance-vie serait écartée au profit de l’application des droits de mutation à titre gratuit9. Une telle interprétation ne nous convainc pas. 9. - Réfutation de la thèse. - Revenons sur les deux éléments qui doivent être constatés pour déceler une libéralité dans une opération juridique : • un appauvrissement patrimonial sans contrepartie : c’est l’élément matériel de toute libéralité ; • avec la conscience et la volonté de s’appauvrir au profit d’autrui : c’est l’intention libérale. Il n’est nullement acquis que ces deux éléments soient systématiquement réunis en présence d’une acceptation « dum vit ». De même que ces deux éléments peuvent être réunis même en l’absence d’une acceptation « dum vit ». 10. - Absence de découverte d’une libéralité sur le seul fondement d’une acceptation « dum vit ». - L’acceptation « dum vit », produit d’un nécessaire accord de volonté entre le souscripteur et le bénéficiaire, peut très bien ne pas être motivée par une intention libérale de l’un envers l’autre mais par bien d’autres motifs, tels que notamment la volonté de mettre en place un contrôle par le bénéficiaire acceptant de la consommation de son épargne par le souscripteur prodigue10. Ainsi, une sœur contrôlera, grâce à son rôle de bénéficiaire acceptante, que les capitaux reçus dans la succession de ses parents par son frère prodigue et célibataire, souscripteur et assuré du contrat d’assurance-vie sur lesquels les fonds hérités ont été placés, ne soient trop rapidement consommés par ce dernier. Pourra, par exemple, être programmé un rachat trimestriel que n’altérera pas l’acceptation « dum vit » faite par la sœur dont l’accord ne sera nécessaire que pour autoriser les « grosses dépenses » envisagées par son frère. On ne voit pas bien, dans un tel schéma, où déceler l’intention libérale ? 11. - L’élément matériel de la libéralité n’est, lui aussi, nullement caractérisé par la seule acceptation « dum vit ». En effet, même sans la prévision de rachats programmés par le contrat, l’acceptation « dum vit » laisse entière la possibilité que le bénéficiaire acceptant donne son accord d’une manière ponctuelle ou générale, dans l’acte d’acceptation ou postérieurement, à des rachats effectués par le souscripteur11. Or, tant que le bénéficiaire peut autoriser le souscripteur à exercer sa faculté de rachat, il ne peut pas y avoir de dépouillement irrévocable. Il a ainsi pu être dit qu’« il ne peut y avoir dépouillement que si le souscripteur est privé d’un droit et non simplement de son exercice »12. La Cour de cassation a d’ailleurs jugé que, dans le cadre du régime antérieur à l’intervention du législateur du 17 décembre 2007, une clause subordonnant le rachat à l’accord du bénéficiaire acceptant ne permet pas d’établir la renonciation expresse de son auteur au droit de racheter13.

11 On ne peut donc que rejeter l’analyse qui consiste à qualifier systématiquement le contrat d’assurance-vie accepté de donation indirecte entre le souscripteur et le bénéficiaire. 12. - Requalification possible en l’absence d’acceptation « dum vit ». - Pour la Cour de cassation14, la requalification du contrat d’assurance-vie en donation indirecte est acquise dès lors que « les circonstances dans lesquelles le bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable »15. Parmi ces circonstances favorables à la requalification ne figure pas nécessairement l’acceptation « dum vit ». En revanche, on y trouve celle de la certitude de l’impossibilité de tout rachat par le souscripteur dès la souscription en raison d’un décès certainement très imminent. Dans ce type de contentieux, celui qui soutient la requalification en donation doit rapporter la preuve que le souscripteur se savait condamné à très court terme dès la souscription du contrat ou le versement de la prime sur celui-ci. Lorsqu’un tel contexte existe, peu importe la non-acceptation « dum vit » de la clause bénéficiaire. C’est ce qui résulte clairement d’un arrêt rendu en 2010 par la Cour de cassation16 dans lequel la requalification a été admise alors même que les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie litigieux n’avaient pas été acceptées du vivant du souscripteur. Il serait dommage qu’une interprétation trop rapide de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 novembre 2019 détourne les praticiens de cet outil d’ingénierie patrimoniale qu’est l’acceptation « dum vit » du contrat d’assurancevie. CONSEIL PRATIQUE Toutefois, eu égard au contentieux pouvant exister sur le sujet de la qualification du contrat accepté du vivant, il est de bonne pratique que toute acceptation « dum vit » d’un contrat d’assurance-vie s’accompagne d’un acte, notarié ou sous signature privée enregistré, rédigé avec soin. Il devra expliciter le contexte de cette acceptation afin de pouvoir facilement repousser d’éventuelles tentatives de requalification de l’assurance-vie contractée en donation sur le fondement de l’acceptation consentie sur un contrat non encore dénoué. 14  Le rapport Cécile Pérès sur la réserve héréditaire propose que soient inscrits dans le Code civil des critères pour une telle requalification. 15  Cass. ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769 : JCP N 2008, n° 15, 1174, note R. Riche. 16  Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-70.927 : JurisData n° 2010-019725 ; RFP 2011, comm. 15. 13. - Dans tous les cas, l’utilisation de cet acte d’acceptation doit être mûrement réfléchie. Car la désignation du bénéficiaire, dès lors que ce dernier a accepté, est définitivement figée, sauf le cas du conjoint survivant et sauf, bien sûr, le cas de modification décidée d’un commun accord entre le souscripteur et le bénéficiaire. Aussi, dans l’hypothèse où le contrôleur de la consommation des fonds n’est pas celui que l’on veut comme bénéficiaire des capitaux décès, il faudra faire preuve d’une plus grande sophistication dans l’ingénierie patrimoniale. On pourra notamment désigner comme bénéficiaire une société civile dont le gérant sera le contrôleur de la consommation des capitaux et la ou les personne(s) physique(s) destinataire(s) des capitaux, l’(les) associé(s). L’ESSENTIEL A RETENIR •  L’acceptation du contrat d’assurance-vie par le bénéficiaire des capitauxdécès du vivant du souscripteur est un outil d’ingénierie patrimoniale aux multiples utilités. •  L’une d’entre elles est de permettre d’organiser une protection du souscripteur contre sa propre (éventuelle) vulnérabilité (tendance à la prodigalité, crainte de perte de ses facultés intellectuelles…). •  Dans un tel contexte et sous réserve de soigner la rédaction de l’acte d’acceptation, toute tentative de requalification en donation d’un contrat accepté doit être rejetée.

12 STRATÉGIE PATRIMONIALE Annexes ANNEXE 1 FORMULE D’ACTE D’ACCEPTATION « DUM VIT » PRÉALABLEMENT À CE QUI SUIT, Il SERA RAPPELÉ LE CONTEXTE SUIVANT Observations. - Décrire le contexte justifiant la mise en place d’un contrôle de l’exercice de sa faculté de rachat par le souscripteur (parent âgé craignant des abus de faiblesse ou sa propre compulsivité ; enfant atteint de prodigalité…), de manière à écarter toute suspicion d’intention libérale. Convention relative à l’acceptation du bénéfice de l’assurance-vie et à la faculté de rachat du souscripteur Entre : Monsieur……, époux de Madame……, demeurant…… Né le…… à….…. Marié à la Mairie de…… le…… sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts à défaut de contrat de mariage préalable. Ce régime matrimonial n’a pas fait l’objet de modification. De nationalité française. Résident au sens de la réglementation fiscale. Ci-après dénommé « le bénéficiaire » Et : Madame……, retraitée, demeurant…… à…… Née le…… à……. Divorcée de Monsieur……, suivant jugement rendu par le tribunal judiciaire de…… le…… et non remariée. Non liée par un pacte civil de solidarité. De nationalité française. Résidente au sens de la réglementation fiscale. Ci-après dénommée « le souscripteur » Ceci ayant été préalablement exposé, il a été convenu ce qui suit Article 1. – Objet Les présentes ont pour objet l’acceptation, par Monsieur……, du bénéfice du contrat d’assurance-vie souscrit par sa mère, Madame…… ; ainsi que les conditions dans lesquelles Monsieur…… autorise Madame…… à procéder à des rachats sur ledit contrat d’assurance-vie. Article 2. – L’acceptation du bénéfice de l’assurance-vie Par contrat en date du……, Madame…… a souscrit un contrat d’assurance n°…… auprès de…… (assureur), désignant Monsieur…… comme bénéficiaire. Par les présentes, Monsieur…… déclare accepter le bénéfice du contrat d’assurance-vie susvisé, Madame…… indiquant y consentir. La compagnie d’assurances recevra, concomitamment aux présentes, notification par lettre recommandée avec accusé de réception, de l’acceptation faite par Monsieur……, conformément à l’article L. 132-9 du Code des assurances. Les parties reconnaissent que l’acceptation n’aura d’effet auprès de la compagnie d’assurances qu’à compter de ladite notification. Article 3. – Faculté de rachat du souscripteur Il est ici précisé que Madame……, refusant de se dépouiller de façon immédiate et irrévocable, veut conserver sa faculté de rachat. En conséquence, conformément à l’article L. 132-9 du Code des assurances, Monsieur…… donne expressément son accord à Madame…… pour opérer des opérations de rachat dans les conditions déterminées ci-après : (À compléter) Fait à…… Le…… En deux exemplaires originaux, chaque partie reconnaissant avoir reçu le sien.

13 ANNEXE 2 L’acceptation « dum vit » du point de vue de la compagnie d’assurances Le regard de deux professionnels de l’ingénierie patrimoniale sur l’utilisation de l’acceptation du vivant comme outil de protection d’un majeur vulnérable. Pascal Lavielle, responsable du service Ingénierie Patrimoniale et Support Juridique, BNP Paribas Cardif France et Thomas Boucheron, service Ingénierie Patrimoniale, BNP Paribas Cardif France 1. Depuis la réforme opérée en 2007, avez-vous eu beaucoup de notifications d’actes d’acceptation signés par le souscripteur et par le bénéficiaire ? Cette pratique reste pour l’instant très marginale. Nous la rencontrons de manière très rare et la plupart du temps dans un souci effectivement de protection du souscripteur. 2. Quelles seraient vos recommandations quant à la forme de cette notification ? Dans notre process interne, nous avons pour pratique d’adresser dès réception de la notification une confirmation écrite au souscripteur et au bénéficiaire de la bonne réception de la notification. 3. À partir de quand la compagnie d’assurances reconnaît-elle le pouvoir de contrôle du bénéficiaire sur l’exercice de sa faculté de rachat par le souscripteur ? Il faut avoir en tête le délai de 30 jours à compter de la souscription au cours duquel l’acceptation est impossible aux termes de l’article L. 132-9 du Code des assurances. Une fois ce délai écoulé, dès réception de l’acte d’acceptation, le souscripteur ne peut plus exercer sans la contre-signature du bénéficiaire sa faculté de rachat, sauf rachat programmé visé dans l’acte de souscription. 4. Est-ce compliqué pour une compagnie d’assurances de gérer les contrats acceptés et, donc, l’exercice de la faculté de rachat sous le contrôle du bénéficiaire ? Non, il n’y a aucune difficulté particulière grâce à un système de contrôle qui fonctionne très bien. 5. Une compagnie d’assurances pourrait-elle refuser de prendre en compte un acte d’acceptation ? En présence d’un acte d’acceptation qui nous est notifié, nous ne pouvons que l’enregistrer, ce qui ne préjuge pas de la validité de l’acte au regard, par exemple, d’un abus de faiblesse. 6. À défaut de rachats programmés dans l’acte d’acceptation, comment se matérialise l’accord du bénéficiaire pour chaque rachat ? Une trace écrite de cet accord vous est sans doute nécessaire ? De quelle nature ? Il n’y a pas de forme particulière à respecter. En pratique, un courrier simple signé du souscripteur et du bénéficiaire suffit. 7. Si, à un certain moment, en fonction d’une évolution de la situation, souscripteur et bénéficiaire veulent révoquer l’acte d’acceptation pour revenir à une clause bénéficiaire non acceptée et, donc, un libre exercice par le souscripteur de sa faculté de rachat, comment faut-il le « notifier » à la compagnie d’assurances ? En l’absence de règle de forme particulière prescrite par la loi, on accepte une révocation dans les mêmes formes que l’acceptation. Le cas est rarissime. Propos recueillis par Claire Farge

14 STRATÉGIE PATRIMONIALE Les policiers et policières transmettent à leurs enfants les valeurs qui les animent : la solidarité, le courage, le respect. En veillant sur nous, certains paient un lourd tribut et laissent derrière eux des enfants à élever et une famille en deuil. Faire un testament ou souscrire une assurance-vie au bénéfice d’Orphéopolis, c’est transmettre ces valeurs aux orphelins de policiers pour qu’ils deviennent des adultes dont leur parent aurait été fier. VOUS POUVEZ LES TRANSMETTRE POUR LUI. EN FAISANT UN LEGS AUX ORPHELINS DE POLICIERS, SON PÈRE N’EST PLUS LÀ POUR LUI TRANSMETTRE SES VALEURS, LEGS • DONATION • ASSURANCE-VIE Pour recevoir notre brochure « Les héritiers de votre générosité », contactez Visconsine Anglade, Chargée des relations grands bienfaiteurs, au 01 49 74 22 28 ou par courriel à l’adresse vanglade@orpheopolis.fr © Fabrice Labit Orphéopolis • Orphelinat Mutualiste de la Police Nationale - assistance Reconnu d’utilité publique depuis 1925 Placé sous le haut patronage du Président de la République depuis 1947 3 000 orphelins accompagnés 3 structures d’accueil pour les orphelins www.orpheopolis.fr

15 Une préoccupation centrale du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie qui désigne comme bénéficiaire des capitaux-décès un majeur vulnérable est de mettre en place un contrôle de la consommation par ce dernier des fonds reçus au moment du dénouement du contrat. Les outils et l’ingénierie patrimoniale susceptibles d’être utilisés pour obtenir une telle sécurité sont variés et certains, notamment la fiducie gestion, encore trop peu connus. Il est indispensable, avant de retenir l’une ou l’autre des solutions dans un cas d’espèce donné, de s’assurer de sa bonne réception par la compagnie d’assurances avec laquelle l’opération doit être conclue. 1. - La transmission de patrimoine réalisée au décès comporte souvent une partie d’épargne investie dans un contrat d’assurance-vie. La personne désignée comme bénéficiaire reçoit alors les capitaux-décès qui représentent généralement le total des primes versées sur le contrat d’assurance-vie par le souscripteur, par hypothèse décédé, augmenté des intérêts acquis et diminué des frais de gestion. 2. - Le souscripteur peut être inquiet d’une consommation trop rapide et déraisonnable des capitaux-décès par le bénéficiaire qu’il a désigné. Si ce dernier est placé sous un régime de protection, l’organe de protection saura encadrer la gestion et la consommation des fonds reçus. Cependant, d’une part, le bénéficiaire peut n’être placé sous aucun régime de protection et, d’autre part, le souscripteur peut ne pas avoir confiance dans la protection mise en place. Il faut alors chercher une solution de contrôle de la gestion et de la consommation des capitaux-décès ailleurs que dans les règles gouvernant les régimes de protection des majeurs vulnérables. Ndlr : Étude publiée in JCP N 2022, n°24, 1177. 1 V. sur ce pt Mémento Lefebvre [Patrimoine] 21-22, n° 28213. 2  Cass. 1re civ., 8 déc. 1987, n° 85-11.769 : JurisData n° 1987-002037. 3. - Compagnie d’assurances. - Une première solution consiste, pour le souscripteur, à se reposer sur la compagnie d’assurances et à prévoir une sortie du contrat d’assurance-vie en rente viagère plutôt qu’en capital. Ainsi, la compagnie conserve au décès du souscripteur la gestion des fonds, tout en en contrôlant la consommation par le bénéficiaire. Toutefois, cette stratégie n’est ni financièrement, ni fiscalement avantageuse1. Elle manque de souplesse dans l’ajustement des fonds débloqués au profit du majeur vulnérable aux besoins réels de ce dernier et prive définitivement les héritiers du bénéficiaire de la chance de récupérer le résidu des capitaux-décès non consommés par leur auteur. Elle n’est donc que très rarement mise en place. 4. - Tiers de confiance. - Une autre solution consiste à désigner un tiers de confiance pour gérer les capitaux-décès. Plusieurs schémas sont alors envisageables. 5. - Schéma 1. Stipulation de charges. - La solution apparemment la plus simple consiste à nommer dans la clause bénéficiaire un tiers de confiance chargé de gérer les capitaux-décès et d’en contrôler la consommation par le bénéficiaire. Le bénéficiaire ne peut recevoir les capitaux-décès que sous l’obligation d’en laisser la gestion au tiers ainsi désigné. Empruntant la technique de la charge, parfaitement conciliable avec le mécanisme de la stipulation pour autrui2 sur lequel repose la clause bénéficiaire, une telle désignation repose sur la mise en place d’un mandat. 6. - Se pose la question du contrôle de l’exécution de la charge. Ici, il faut avoir à l’esprit qu’il n’appartient pas aux compagnies d’assurances de contrôler la bonne exécution des charges inscrites dans une clause bénéficiaire. Il convient donc de mettre en place un système sur mesure et efficace. Ce qui est parfaitement réalisable grâce à la possibilité prévue par l’article L. 132-8 du Code des assurances d’une rédaction de la clause bénéficiaire en la forme testamentaire. En effet, le choix de la forme testamentaire permet d’instituer un « contrôleur de l’exécution de la charge » qui n’est autre qu’un exécuteur testamentaire doté notamment d’un Assurance-vie : contrôler la consommation des capitauxdécès reçus par le bénéficiaire majeur vulnérable Sébastien Comparot, avocat associé du cabinet d’avocats FIDAL Claire Farge, docteur en droit, avocate au sein du cabinet d’avocats FIDAL, co-présidente de la commission Ingénierie patrimoniale de l’ACE-Avocats ensemble © Droits réservés © Droits réservés

16 STRATÉGIE PATRIMONIALE pouvoir de contrôle du respect de la volonté du défunt. Le contrôleur de l’exécution a ainsi qualité pour agir en justice contre le bénéficiaire des capitaux-décès qui ne respecterait pas la charge stipulée dans la clause (C. civ., art. 1028). Il conviendra de veiller dans la rédaction de la clause testamentaire à éviter toute assimilation par un juge du fond non aguerri à la matière d’un tel choix de format testamentaire à la volonté du souscripteur d’intégrer les capitaux-décès dans sa succession3. 7. - Ce premier schéma reposant sur la technique du mandat a cependant l’inconvénient de ne pas résister à la mise sous tutelle du bénéficiaire (C. civ., art. 2003). CONSEIL PRATIQUE Aussi, plutôt que de désigner un tiers gestionnaire, le souscripteur peut prévoir minutieusement au sein de la clause bénéficiaire la façon dont il souhaite que le bénéficiaire emploie et consomme les fonds reçus. Peut notamment être prévu le règlement par la compagnie d’assurances des capitaux-décès par versement de ceux-ci sur un contrat de capitalisation qui devra être ouvert par le bénéficiaire auprès d’une compagnie déjà identifiée et dont les supports d’investissement sont pré-identifiés. Et le souscripteur peut préciser la façon dont il souhaite que ce contrat de capitalisation fonctionne : rachats programmés uniquement et interdiction de rachat total, par exemple. Le Congrès des notaires de 20204 a d’ailleurs proposé un modèle de clause reposant sur cette combinaison de charges et d’institution d’un contrôleur d’exécution. 8. - Schéma 2. Société civile avec ou sans démembrement de propriété. - L’organisation de la gestion des capitaux-décès via une société civile relevant de l’impôt sur le revenu permet de dissocier la propriété de la gestion des fonds perçus au dénouement du contrat d’assurance-vie. Le majeur bénéficiaire vulnérable est propriétaire des parts et a la qualité d’associé : il est donc bien bénéficiaire des distributions de dividendes. Mais les statuts donnent tous pouvoirs de gestion au tiers de confiance désigné comme gérant de la société. Et la décision de distribuer des dividendes est également mise entre les mains du tiers de confiance, par exemple par l’attribution d’une part sociale catégorielle ayant la majorité des droits de vote concernant l’affectation du résultat. Fiscalement, en fonction du nombre d’associés/bénéficiaires des capitaux-décès, il peut être plus pertinent de désigner comme bénéficiaires, non pas la société civile directement mais plutôt les personnes physiques vulnérables, à charge d’apporter les capitaux-décès au capital de la société civile, afin de s’assurer du maximum d’abattements sur les sommes reçues et, en cas de versement des primes après 70 ans, d’éviter une taxation à 60 %. 9. - Le schéma peut être encore plus sophistiqué si l’on introduit un démembrement de propriété sur les parts sociales issues, le cas échéant5, d’un démembrement des capitaux-décès reporté sur lesdites parts. Le démembrement de propriété peut permettre de différer la consommation du capital par le majeur vulnérable qui ne recevrait, dans un premier temps, que la nue-propriété des parts sociales6. L’usufruit serait, dans un premier temps, attribué de manière temporaire ou viagère à un autre bénéficiaire (par exemple, le conjoint du souscripteur). Le démembrement de propriété des parts peut également permettre d’empêcher la dilapidation des fonds par le majeur vulnérable simplement usufruitier. L’objectif 3  V. CA Aix-en-Provence, 6e ch., sect. D, 18 avr. 2018, n° 16/05537 : JurisData n° 2018-006183 ; JCP N 2019, n° 2, 1005, note Cl. Brenner. 4  V. 116e Congrès des notaires de France : Paris, Protéger, 2020, p. 49, n° 1112. 5  Le démembrement des parts pourrait aussi provenir d’une donation. 6  Une telle solution pour retarder l’entrée en jouissance des capitaux par le bénéficiaire des capitaux-décès semble plus facilement praticable que la mise en place d’une assurance à effet différé qui soulève des difficultés de mise en œuvre : V. Memento Lefebvre [Patrimoine] 21-22, n° 28459. 7  Cette altération devra, au décès du parent souscripteur, être établie au vu d’un certificat médical dressé par un médecin mentionné sur la liste du procureur de la République. 8  Le ministère de la Justice estime toutefois que « sous réserve de l’interprétation souveraine des juridictions, la notion de gestion autorise le recours aux actes de disposition de certains éléments du patrimoine lorsqu’ils s’insèrent dans une logique de conservation, d’administration ou de valorisation du patrimoine successoral » (Circ. n° JUSC0754177C, 29 mai 2007, p. 27). 9  Le mandataire posthume ne peut pas s’opposer à l’aliénation décidée par les héritiers des biens mentionnés dans le mandat, cette aliénation constituant une des causes d’extinction du mandat (Cass. 1re civ., 12 mai 2010, n° 09-10.556, FS-PBI : JurisData n° 2010-005870 ; JCP N 2010, n° 46, 1351, note J.-G. Mahinga). 10  Pour les actes de disposition à titre gratuit, une autorisation du juge des tutelles est nécessaire (C. civ., art. 490, al. 2). serait alors d’organiser la récupération à terme des fonds par un ou plusieurs autres bénéficiaires (frères et sœurs, neveux, ou enfants du majeur vulnérable) qui, au moment du dénouement du contrat d’assurance-vie, ne recevraient, eux, que la nue-propriété des capitaux-décès. 10. - Le report du démembrement des capitaux-décès sur les parts d’une société civile a le grand avantage de faciliter la gestion des fonds démembrés et la détermination de ce qui revient des placements effectués avec les capitaux démembrés à l’usufruitier, d’une part, et au nu-propriétaire d’autre part. 11. - Schéma 3. Mandat de protection future pour autrui. - Si le bénéficiaire est un enfant du souscripteur dont ce dernier a eu la charge matérielle et affective et que ledit enfant ne peut pas pourvoir seul à ses intérêts pour l’une des causes prévues à l’article 425 du Code civil7, alors le parent souscripteur – que l’on supposera être le dernier vivant des deux parents – peut désigner un (ou plusieurs) tiers de confiance comme mandataire(s) de protection future pour autrui. Le mandat de protection future pour autrui, nécessairement notarié, est prévu par l’article 477, alinéa 3 du Code civil. Investi par ledit mandat d’un pouvoir de représentation du majeur vulnérable, le tiers de confiance désigné comme mandataire pourra librement gérer les capitaux-décès ainsi que l’ensemble des actifs reçus, le cas échéant, en héritage par cet enfant. 12. - Le mandat de protection future pour autrui est ainsi un véritable outil de transmission de patrimoine en ce qu’il permet d’organiser une gestion des actifs transmis libérée des règles des régimes de protection judiciaire et confiée exclusivement à une ou plusieurs personnes librement choisies. CONSEIL PRATIQUE Comme dans la mise en place d’un mandat de protection future pour soi-même, il sera de bonne pratique de désigner un tiers protecteur issu du monde des affaires, dès lors que le mandataire aura été choisi pour ses seules qualités humaines et non ses compétences de gestionnaire patrimonial, pour aider ledit mandataire dans le bon emploi des actifs hérités ou reçus par assurance-vie par le majeur vulnérable. 13. - Ainsi apparaît la vraie nature du mandat de protection future pour autrui : un super mandat à effet posthume ! En effet, alors que le mandat à effet posthume est à durée nécessairement limitée (C. civ., art. 812-1-1, al. 2), le mandat de protection future permet de désigner un mandataire pour une durée indéterminée. En outre, la question se pose de savoir si le mandataire posthume a le pouvoir de disposer d’un bien successoral faisant l’objet du mandat, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 étant muette sur ce point8. La seule certitude est celle de la conservation d’un tel pouvoir de disposition par les héritiers (C. civ., art. 812-4, 5°) 9. En revanche, l’article 490 du Code civil précise que le mandat de protection future pour autrui confère au mandataire tout pouvoir de gestion, y compris le pouvoir de conclure des actes de disposition10. 14. - Schéma 4. Création d’un patrimoine fiduciaire. - Si, dans l’entourage du souscripteur, il n’existe pas de tiers de confiance ou si les conditions du mandat de protection future pour autrui ne sont pas réunies, il est possible de mettre en

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