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STRATÉGIED'ENTREPRISE 88 l’intérêt social). Après l’acquisition, cette faculté est écartée. Dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé (C. com., art. L. 22-10-59, III) , l’assemblée générale doit se prononcer, tous les ans, sur la politique de rémunération applicable au dirigeant mandataire social incluant les attributions gratuites d’actions (C. com., art. L. 22-10-8, II) , contenant notamment les périodes d’acquisition et de conservation des actions applicables après l’acquisition et la manière dont la rémunération en actions contribue aux objectifs de la politique de rémunération ainsi que les critères clairs, détaillés et variés, de nature financière et non financière, y compris, le cas échéant, relatifs à la responsabilité sociale et environnemen- tale de l’entreprise, qui conditionnent leur attribution et la manière dont ces critères contribuent aux objectifs de la politique de rémunération. De la même façon que le conseil d’administration ne peut aménager le plan d’actions que dans le respect des termes de l’autorisation de l’assemblée générale extraor- dinaire, la modification du plan, pour les seuls mandataires sociaux, devra s’effectuer conformément à la politique de rémunération approuvée par l’as- semblée. 3. Approche travailliste de la nature des attributions gratuites d’actions 7. - Autonomie du droit du travail ? - S’agissant des plans d’attribution gratuite d’actions au profit des salariés, l’autonomie du droit du travail peut soulever certaines difficultés. Il est acquis que, « si les différends pouvant s'élever dans les relations entre la société et le salarié devenu actionnaire, indépendamment des conditions d'acquisition de ses actions, sont de la compétence de la juridiction commerciale, l’octroi par l’employeur à un salarié d’une option donnant droit à une souscription d’actions et à l’attribution gra- tuite d’actions constitue un accessoire du contrat de travail dont la connais- sance relève du conseil de prud’hommes » 28 . Dans un arrêt du 7 février 2018, non publié au bulletin et peu clair, la Cour de cassation, au visa de l’article 1382 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, sur la responsabilité délictuelle, a jugé que « le salarié qui n’a pu, du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu avant le terme de la période d’acquisition, se voir attribuer de manière défi- nitive des actions gratuites, subit une perte de chance » 29 . Il est heureux que la Cour de cassation ait abandonné sa jurisprudence appliquant la respon- sabilité contractuelle par analogie (erratique) avec les stock-options 30 . Dans l’arrêt du 7 février 2018, elle censure une cour d’appel qui, pour condamner la société à payer aux salariés des dommages-intérêts pour privation indue du bénéfice des actions gratuites attribuées, a considéré « qu’en licenciant sans cause réelle et sérieuse les salariés avant [l’expiration de la période d’acquisition], l’employeur les avait privés du droit d’être propriétaires gra- tuitement des actions attribuées et les avait privés indûment de l’avantage financier contractuel que constituaient ces actions ; que cette privation avait causé aux salariés un préjudice, avéré et certain, qui devait être évalué, pour chacun d’eux, sur la base de la valeur de l’action » (nous soulignons). Or, la 28. Cass. soc., 27 févr. 2013, n° 11-27.319. 29. Cass. soc., 7 févr. 2018, n° 16-11.635 : JurisData n° 2018-001421. 30. V. Cass. soc., 6 mars 2012, n° 10-21.002 visant les anciens articles 1142 et 1147 du Code civil. 31. Mémento Sociétés commerciales 2020, préc., spéc. § 70230. cour d’appel, qui s’est abstenue de mesurer la réparation allouée à la chance perdue, a violé les principes de la responsabilité délictuelle. Il ressort de cette jurisprudence que le salarié pourrait se prévaloir d’un droit de créance ré- sultant de la violation d’une obligation extracontractuelle... Cependant quelle pourrait être la source d’une telle obligation extracontractuelle ? Rien n’est précisé. On pourrait envisager la qualification d’engagement unilatéral de l’employeur, source faisant partie du statut collectif non négocié. L’association de la délibération de l’assemblée générale extraordinaire et de celle du conseil d’administration ou du directoire emporterait ainsi engagement unilatéral de l’employeur d’attribuer des actions gratuites. En cas de licenciement injustifié, l’attribution étant impossible du fait d’une condition de présence, il en résul- terait une perte de chance. Cependant une telle analyse est contestable. Aux termes de l’article L. 225-197-1, I, dernier alinéa, du Code de commerce « Le conseil d’administration ou, le cas échéant, le directoire détermine l’identité des bénéficiaires des attributions d’actions mentionnées au premier alinéa ». La doctrine, spécialement l’Association nationale des sociétés par actions (ANSA), estime que, « compte tenu de la généralité des termes employés par l’article L. 225-197-1, I-dernier al., les pouvoirs du conseil d’administration (ou du directoire) nous paraissent très larges : dans les limites fixées par la loi et celles éventuellement fixées par l’assemblée (certaines catégories de salariés ou dirigeants), il choisit librement les attributaires des actions ; en outre, rien ne lui interdit à notre avis de procéder à des attributions inéga- litaires. En effet, contrairement à d’autres mécanismes, tels que le PEE, les textes n’imposent pas que le mécanisme d’attribution gratuite d’actions soit collectif » 31 . Il ne peut donc pas s’agir d’un engagement unilatéral de l’em- ployeur au profit du personnel ou d’une catégorie de salariés. Il n’est question que d’une pluralité de décisions individuelles. Au demeurant, une telle qualifi- cation n’aurait pas de sens car l’engagement étant à durée déterminée, il ne pourrait pas faire l’objet d’une dénonciation ou d’une modification unilatérale défavorable de la part de l’employeur (seule une modification in favorem étant toujours possible). L’arrêt du 7 février 2018, rendu au fondement de la respon- sabilité délictuelle, pourrait alors s’expliquer comme un moyen de condamner un comportement contradictoire d’un employeur. Nous estimons néanmoins qu’une telle solution jurisprudentielle n’est pas juridiquement rigoureuse. La responsabilité délictuelle ne pourrait se concevoir qu’en cas d’abus de droit dans la faculté de remettre en cause un plan d’attribution gratuite d’actions. 8. - On conçoit, aisément, que cette position puisse interpeller, voire choquer, car elle revient à considérer que les bénéficiaires n’ont pas de « droits acquis » avant la fin de la période d’acquisition. Mais l’équité n’est pas une source du droit. Aucune disposition spéciale du Code de commerce ne vient remettre en cause l’analyse de l’opération en une promesse de donation (avant l’attribu- tion définitive) et en une donation (après l’attribution définitive), comme pré- cédemment exposée. Tout au plus pourrait-on souhaiter une réforme posant expressément la nature contractuelle (sous réserve de restaurer la condition d’imprévision). Le débat est lancé ; nul doute qu’il suscitera des émotions et des réactions enrichissantes.

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