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87 donataire qui l’accepte » (nous soulignons) 13 . Portant sur meuble, la donation est un contrat réel qui suppose une « traditio », c’est-à-dire une dépossession 14 ou, en cas de bien meuble incorporel comme des actions, une inscription en compte. Avant la dépossession, une promesse de don n’a aucune valeur juri- dique 15 . Pour certains, « pour pouvoir qualifier l’attribution gratuite d’actions de libéralité, il faudrait caractériser l’intention libérale (animus donandi) de la société, ce qui semble exclu, d’autant que cela pourrait sembler contraire à l’intérêt social » 16 . Cependant, c’est faire une mauvaise interprétation de l’intention libérale. Imposer une condition suspensive à l’attribution d’une donation n’est pas contraire à l’exigence d’une intention libérale. Une telle intention ne contredit l’existence de l’intérêt social, à savoir l’objectif de fidé- lisation des bénéficiaires ; de même, la poursuite de l’intérêt social n’exclut pas l’intention libérale car la qualification de contrat à titre gratuit repose uni- quement sur l’absence de contrepartie (sous peine d’ajouter une condition à la loi), comme l’a parfaitement démontré récemment un auteur dans sa thèse sur « La notion de libéralité » 17 . D’abord, de jurisprudence constante, « toute donation implique nécessairement que le disposant se dépouille de la chose sans rien recevoir en échange, ou, du moins, sans recevoir un équivalent qui fasse disparaître la gratuité essentielle du contrat » 18 . Il est parfois avancé, pour contrecarrer la notion de libéralité, que l’attribution gratuite d’actions est qualifiée de rémunération au sens de la sécurité sociale ou d’avantage pour l’application de l’égalité de traitement. C’est cependant se méprendre sur la portée de la qualification de rémunération en l’occurrence, car celle-ci est fonctionnelle. Cette qualification se déduit, non pas de la contrepartie du contrat de travail (ce qui renvoie au salaire) ou du mandat, mais de l’ap- partenance à l’entreprise. L’attribution gratuite d’actions n’est pas du salaire, mais c’est une rémunération. Il n’y a aucun équivalent en la matière qui doit être offert par les salariés ou les mandataires sociaux. Ensuite, s’agissant de « l’intention de gratifier » 19 , l’article 1107, alinéa 2, du Code civil définit le contrat à titre gratuit « lorsque l’une de parties procure à l’autre un avantage sans attendre [...] de contrepartie » ; le disposant a conscience qu’il n’a pas à recevoir un avantage quelconque en retour, même s’il l’espère. La conception retenue est objective et non subjective 20 . Il importe peu que le disposant ait un intérêt personnel (moral ou économique) à l’accomplissement de la libéra- lité 21 ; les mobiles du disposant sont indifférents. C’est la raison pour laquelle les juges n’écartent pas la qualification de gratifications pour le versement de primes exceptionnelles dans des relations de travail 22 . 5. - Il s’ensuit à notre avis (notre proposition serait-elle jugée choquante ou, à tout le moins, iconoclaste), que pendant la période d’acquisition : (i) l’éventuel bénéficiaire ne possède aucun des droits qui sont attachés aux actions qui seront attribuées, qu’il s’agisse des droits dits « politiques », notamment des 13. Sur la nécessité d’un acte translatif définitif, F. Hartman, La notion de libéralité, préf. A.-M. Leroyer, t. 115 : IRJS Éditions, 2020, p. 18 et s., n° 22 et s., p. 130 et s., n° 113 et s. 14. Cass. 1re civ., 11 juill. 1960 : D. 1960, jurispr. p. 702, note P. Voirin. 15. Cass. req., 23 juin 1947 : D. 1947, jurispr. p. 63. 16. F. Martin Laprade, C. Deniaud, Attribution gratuite d’actions : JCl. Banque - Crédit - Bourse, fasc. 1866, § 138. 17. F. Hartman, La notion de libéralité, préc., spéc. p. 163 et s., n° 144 et s. 18. Cass. req., 24 janv. 1928 : DP 1928, I, p. 157, rapp. Célice. 19. Cass. 1re civ., 18 janv. 2012, n° 09-72.542 : JurisData n° 2012-000376 ; D. 2012, p. 2476, obs. D. Nicod ; JCl. Notarial Formulaire, Synthèse 510. 20. F. Hartman, La notion de libéralité, préc., spéc. n° 189 et s. 21. Ainsi la stipulation d’une clause d’inaliénabilité est parfaitement compatible avec la qualification de libéralité. 22. Pour une étude complète, F. Hartman, La notion de libéralité, préc., spéc. n° 208 et 215. 23. V. Cass. com., 18 sept. 2019, n° 16-26.962 : JurisData n° 2019-016032 ; JCP E 2019, 1552, note J. Gallois ; JCl. Pénal des Affaires, Synthèse 110. 24. Cass. com., 16 juill. 1985 : Bull. civ. IV, n° 217. - TGI Paris, 26 oct. 1999 : Dr. sociétés 2002, n° 31, note D. Vidal. 25. Cass. com., 10 févr. 2009, n° 08-12.564 : JurisData n° 2009-046997 ; Bull. civ. IV, n° 20 ; JCP E 2009, 1319 ; JCl. Commercial, Synthèse 200. 26. CA Paris, 1er févr. 2002 : Dr. sociétés 2002, comm. 67, obs. D. Vidal. - V. Cass. soc., 28 oct. 1992, n° 89-45.500 : JurisData n° 1992-002339 ; Bull. civ. V, n° 521. 27. Cass. com., 18 sept. 2019, n° 16-26.962 : JurisData n° 2019-016032 ; JCP E 2019, 1552, note J. Gallois ; JCl. Pénal des Affaires, Synthèse 110. droits de vote, ou des droits financiers, notamment des droits à dividende, (ii) même sous la forme d’une perception différée au terme de la période d’ac- quisition. Les droits ne sont qu’éventuels. En aucun cas, le plan d’attribution d’actions gratuites n’a de valeur contractuelle. En conclusion, contrairement au consensus doctrinal apparent, le plan peut être librement supprimé ou modifié, de manière plus favorable ou non. Cette position peut, au demeurant, s’appuyer sur un argument téléologique tenant à la finalité des dispositifs d’attribution gratuite d’actions et l’esprit du droit des sociétés lorsque l’attri- bution bénéficie à des dirigeants sociaux. 2. Approche affairiste de la nature des attributions gratuites d’actions 6. - Pour la théorie institutionnelle. - Outre cet argument civiliste, un argu- ment « affairiste » confirme ce pouvoir de suppression ou de modification uni- latérale d’un plan d’attribution gratuite d’actions à l’endroit des bénéficiaires pendant la période d’acquisition. Les plans d’attribution gratuite d’actions font partie de la rémunération des dirigeants sociaux. Dans leur esprit, ces dispo- sitifs peuvent être rattachés à la théorie institutionnelle du mandat des diri- geants sociaux gouverné par un corps de règles autonomes poursuivant une finalité propre : la satisfaction de l’intérêt social 23 (quand bien même l’attribu- tion bénéficierait également à des salariés). Concernant la faculté de réviser ou de supprimer la rémunération des dirigeants sociaux, la Cour de cassation a adopté deux principes. Les juges déduisent des articles L. 225-47 et L. 225- 63 du Code de commerce que le conseil d’administration ou de surveillance peut librement, pour l’avenir, modifier ou supprimer une rémunération, même lorsqu’un engagement avait été pris à durée déterminée 24 . En revanche, pour le passé, la décision de l’organe social ne peut pas remettre en cause des rémunérations acquises ; il n’est pas permis de réduire ou de supprimer ré- troactivement des rémunérations déjà votées pour des exercices réalisés : « le conseil de surveillance ne peut réduire rétroactivement la rémunération des membres du directoire sans l’accord de ceux-ci » ; « il importe peu à cet égard que les sommes dues au titre de cette rémunération n’aient pas encore été payées » 25 . Seul l’accord du dirigeant social permet de réduire ou de supprimer rétroactivement une rémunération acquise. L’illustre la solution retenue en matière de pension de retraite 26 . L’essentiel du dispositif d’attribu- tion gratuite d’actions demeure entre les mains des organes d’administration qui fixent aussi les conditions et les critères d’attribution. Mutatis mutandis , en application de la théorie institutionnelle (spécialement la nature juridique du mandat social 27 ), pendant la période d’acquisition, la modification ou la suppression par le conseil d’administration ou le directoire est libre (sous la réserve naturelle de la théorie de l’abus de droit, le cas échéant, à l’aune de

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