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1160 CHRONIQUE RURAL Page 60 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 36 - 8 SEPTEMBRE 2023 été notifiée trop tard mais trop tôt à l’acquéreur évincé ? À dire vrai, la sévérité précitée s’explique principalement par le fait qu’il importe que l’acquéreur ou l’adjudicataire évincés soient avisés rapidement de la décision de la SAFER afin de prendre position sur une éventuelle contestation. On rappellera que si cette notification ne fait pas courir le délai de recours à l’encontre de la décision, lequel a pour point de départ l’affichage en mairie de la décision (V. C. rur., art. L. 143-13. – Cass. 3e civ., 25 sept. 2002 : Bull. civ. III, n° 185. – Cass. 3e civ., 6 juin 2019, n° 1724.254 : JurisData n° 2019-010606. – Cass. 3e civ., 19 nov. 2020, n° 19-21.469 : JurisData n° 2020-019122), pour ne pas porter atteinte au droit à un recours effectif, le cours de ce délai est subordonné à sa notification individuelle (Cass. 3e civ., 30 oct. 2013, n° 12-19.870 : JurisData n° 2013-024045 ; Bull. civ. III, n° 139 dans le cas de la contestation d’une décision de rétrocession. – Cass. 3e civ., 23 mai 2019, n° 17-31.664, s’agissant d’une décision de préemption). 51 - Dès lors, pour considérer que la notification était bien régulière et non susceptible d’emporter la nullité de la préemption, la Cour de cassation constate non seulement que l’article R. 143-6 du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige, n’imposait pas que la notification soit effectuée postérieurement à celle faite à la personne chargée de dresser l’acte d’aliénation, mais souligne également que la notification à l’acquéreur évincé a principalement pour objet de lui délivrer une information personnelle garantissant ainsi l’effectivité de son droit de recours. 52 - Le deuxième argument était tiré d’un défaut de pouvoir de la personne qui a signé le courrier indiquant que la SAFER exerçait son droit de préemption. – Selon le même article R. 143-6 du Code rural et de la pêche maritime, la décision de préemption est signée par le président de son conseil d’administration ou par toute personne régulièrement habilitée à cet effet. En l’espèce, la délégation de pouvoir datait du 7 avril 2004, et la décision de préemption du 28 février 2011, alors même que la SAFER s’était vu octroyer, par décret du 5 juillet 2003, un droit de préemption pour une durée de 5 ans Certes, la SAFER a été réhabilitée, pour une nouvelle période quinquennale, par décret du 30 juin 2008, et elle a donc pu exercer son droit de préemption, sans discontinuité, mais dans la mesure où la délégation de pouvoir était fondée sur la période de 5 ans couverte par le décret de 2003, la décision de préemption prise postérieurement ne devait-elle pas être invalidée ? On pouvait légitimement hésiter : nemo plus juris… Nul ne pouvant transmettre plus de droits qu’il n’en a luimême, le président du CA d’une SAFER peut-il déléguer un pouvoir dont il ne dispose plus ? (V. Cass. 3e civ., 8 févr. 1972, n° 70-13.495 : Bull. civ. III, n° 91, où une décision de préemption prise par le délégataire a été annulée parce que les pouvoirs conférés par le conseil d’administration d’une SAFER à son président directeur général avec faculté de délégation ne pouvaient comprendre l’exercice du droit de préemption qui n’a été octroyé à la société que par un texte postérieur à cette délégation de pouvoir). 53 - La Cour de cassation ne se laisse pas convaincre : s’appuyant sur le droit commun du mandat (C. civ., art. 2003) et sur l’article L. 225-56 du Code de commerce qui détermine les pouvoirs du directeur général d’une société, elle valide, sur ce point, la décision de préemption. En l’espèce, la délégation de pouvoir du 7 avril 2004 n’était pas limitée dans le temps et ne se référait pas au décret du 3 juillet 2003, mais, plus généralement, au décret attributif en vigueur. Ce type de discussions ne devrait pas plus trouver, à l’avenir, de raison d’être puisque depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, les décrets attributifs sont pris pour une durée illimitée (C. rur., art. L. 143-7). On rappellera que sous l’empire du droit antérieur, la SAFER ne disposait de son droit de préemption que pour le temps de son décret qui par définition était d’une durée limitée. À l’expiration de celui-ci et faute de renouvellement immédiat, le droit de préemption ne pouvait plus être exercé pendant cette période de « vacance » (sur la prorogation des droits de préemption et des autorisations à bénéficier de l’offre amiable avant adjudication volontaire en attendant que les SAFER, qui ne sont pas d’ores et déjà régionalisées, puissent l’être : V. Ord. n° 2016-316, 17 mars 2016 : JO 18 mars 2016 ; Defrénois Flash 31 mars 2016, n° 12, p. 10). 54 - Le troisième moyen reprochait à la SAFER de ne pas avoir agi dans un but conforme à ses missions. – En effet, elle a rétrocédé les biens préemptés à une communauté d’agglomération et en laissant à cette dernière la charge de remplir à sa place les objectifs qui lui sont assignés par le législateur, notamment en louant des terres à des agriculteurs. Mais un tel argument ne pouvait prospérer. Selon l’article R. 142-1 du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige, si les biens sont attribués par les SAFER aux candidats, personnes physiques ou morales, compte tenu notamment de l’intérêt économique, social ou environnemental de l’opération, les SAFER peuvent céder ces biens à des personnes qui s’engagent à les louer, à des preneurs, répondant à ces critères et ayant reçu l’agrément de la société, à condition que l’opération permette l’installation d’agriculteurs ou le maintien de ceux-ci sur leur exploitation ou l’amélioration des exploitations elles-mêmes. Tel était manifestement le cas, en l’espèce, puisque la cour d’appel avait constaté que la SAFER avait permis, conformément à ce qu’elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs prévus aux 1° et 2° de l’article L. 143-2 du Code rural et de la pêche maritime. La Cour de cassation confirme donc la validité d’une préemption suivie d’une rétrocession à une collectivité publique en vue de la location des terres par bail rural à des agriculteurs agréés par la SAFER. Cette forme de « portage institutionnel du foncier », avec intermédiation de la SAFER, appelé sans doute à un grand avenir (V. S. de Los Angeles et Ph. De Segonsac, Le rôle de la SAFER dans le portage du foncier : RD rur. 2018, étude 18), n’est, du reste, pas inconnu en jurisprudence (V. Cass. 3e civ., 13 oct. 2010, n° 09-16.528 et 09-15.956 : JurisData n° 2010-018535. – Cass. 3e civ., 23 mars 2011, n° 09-71.970 et 10-30.076 : JurisData n° 2011-004358 ; Bull. civ. III, n° 50). HUBERT BOSSE-PLATIÈRE

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