1160 CHRONIQUE RURAL Page 58 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 36 - 8 SEPTEMBRE 2023 situation courante. Une société d’exploitation conclut un bail rural avec deux sociétés civiles immobilières sur un domaine. Un bail rural à long terme est à ce titre régularisé entre les trois sociétés. Une des clauses du bail impose à la société d’exploitation, c’est-à-dire au preneur, de « restructurer le vignoble à ses frais exclusifs, pour arriver entre 2006 et 2011 à une superficie plantée de l’ordre de 240 ha en cépages adéquats » (V., sur le sujet, les résultats de l’enquête de terrain menée par la Chaire de droit rural et de l’environnement de l’université de Bourgogne, La vigne et le notaire, in Cahier spécial du Cridon-Lyon, juill. 2023). Des difficultés surviennent en cours d’exécution du bail et amènent les bailleurs à saisir le tribunal paritaire des baux ruraux compétent afin de solliciter la résiliation du bail, et notamment faire valoir une créance à l’encontre de leur locataire. Peu de temps après, la société preneuse à bail est placée en redressement puis en liquidation judiciaire. Le mandataire liquidateur procède alors à la résiliation du bail rural dont il s’agit. Le tribunal paritaire des baux ruraux condamne la société preneuse à bail au paiement d’une créance en constatant un manquement de celle-ci à ses obligations nées du bail. Un appel est interjeté et la cour d’appel cette fois-ci, après une expertise, fixe un nouveau montant de créance des sociétés bailleresses à l’endroit de la société d’exploitation preneuse à bail mais détermine également une créance pour amélioration revenant à cette dernière. Le mandataire liquidateur de la société d’exploitation se pourvoit en cassation. 37 - Décision de la Cour de cassation. – L’analyse des moyens de l’arrêt est intéressante en ce qu’elle permet tout d’abord de comprendre que la Haute Cour semble considérer les frais d’arrachage, défonçage et de replantation imposés au preneur par le bail, comme des améliorations régies par les articles L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime et ce alors même que le représentant du preneur sollicitait une indemnité sur un autre fondement (à savoir C. civ., art. 1719, 4°. – Et C. rur., art. L. 415-8). Ce dernier y voyait en effet plutôt une obligation du bailleur, prise en charge contractuellement par le preneur, générant au profit de ce dernier une indemnisation. En second lieu, et c’est l’apport essentiel de l’arrêt, cette décision nous renseigne sur la nature juridique du délai fixé par le dernier alinéa de l’article L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime. Sur ce second point, la troisième chambre civile de la Cour de cassation ne suit pas le raisonnement de la cour d’appel, mais relève que l’article L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime a instauré un délai de forclusion de 12 mois courant à compter de la fin du bail et insusceptible, sauf disposition spéciale, d’interruption ou de suspension. Dès lors, la demande du preneur en indemnisation étant tardive, c’est-à-dire étant intervenue plus de 12 mois après la fin du bail rural, ne saurait être accueillie. 38 - Distinction entre délai de prescription et délai de forclusion. – La solution pourra paraître sévère de prime abord, mais est parfaitement justifiée. Il est important à ce titre de distinguer délai de prescription et délai de forclusion, même si une telle distinction n’est pas toujours aisée. Rappelons d’abord que ces deux notions, prescription extinctive d’une part et forclusion d’autre part, sont comparables étant donné leur effet extinctif. Toutefois, elles ne sauraient se confondre et obéissent à des régimes juridiques différents. La prescription extinctive aurait une fonction probatoire, voire même de paix sociale, et traduirait un comportement quand la forclusion présenterait le caractère de sanction. La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a d’ailleurs maintenu la distinction entre ces deux figures juridiques. D’aucuns ont pu toutefois présenter la forclusion comme une prescription « plus sévère », en relevant une différence de degré mais non de nature (N. Balat, RTD civ. 2016, p. 751). À titre d’illustration, on relèvera que l’article 2220 du Code civil prend soin de préciser que « Les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre », c’est-à-dire les règles relatives à la prescription extinctive. 39 - La difficulté principale en ce domaine se fait jour quand la loi demeure silencieuse sur la nature du délai éteignant l’action : prescription ou forclusion. C’est alors au juge de se prononcer et à la doctrine de critiquer parfois les choix prétoriens (V. par ex. en matière de vices cachés l’arrêt : Cass. 3e civ., 5 janv. 2022, n° 20-22.670 : JurisData n° 2022-000060, optant pour un délai de forclusion au titre de l’article 1648 du Code civil et la critique de Mme Mille Delattre qui en découle : D. 2022, p. 548). 40 - S’agissant de l’article L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime, le doute n’est pas permis puisque la loi elle-même prend soin de préciser dans l’alinéa 5 de cet article que le délai de 12 mois ouvert au preneur pour agir est un délai de forclusion. La loi ne prévoyant pas de suspension dans le cas dont il s’agissait, le décompte des 12 mois avait commencé à courir dès la fin du bail, c’est-à-dire dès sa résiliation, sans interruption ni suspension depuis cet évènement. Le preneur était par conséquent forclos : Dura lex sed lex ! CONSEIL PRATIQUE ➜ Les praticiens retiendront donc l’importance de cette qualification de délai de forclusion et conseilleront utilement aux preneurs de faire valoir leurs droits en matière d’amélioration dans les meilleurs délais. BENJAMIN TRAVELY 2. SAFER A. - Missions et fonctionnement 41 - Validité du décret attribuant à une SAFER un droit de préemption l’ensemble des départements de son ressort et sans seuil de superficie minimale. – On le sait, les SAFER ne peuvent exercer, au vu du seul arrêté conjoint du ministre de l’Agriculture et du ministre des Finances les instituant, leur droit de préemption. Ce droit ne leur est donc pas automatiquement attribué. Il suppose un décret du Premier ministre (C. rur., art. R. 143-1) qualifié usuellement de décret d’habilitation, ou encore de décret attributif. C’est la SAFER qui saisit l’autorité administrative compétente de l’État d’une demande indiquant les zones dans lesquelles elle estime nécessaire de pouvoir exercer son droit de préemption, ainsi que les surfaces minimums de terrain. L’autorité recueille alors des avis (commissions départementales d’orientation de l’agriculture et des chambres d’agriculture) et consulte le public. Au vu de ces avis et de la synthèse des résultats de la consultation du public, les conditions d’exercice du droit de préemption sont alors fixées par décret. 42 - Cette décision du Conseil d’État du 17 février 2023 (CE, 17 févr. 2023, n° 467360 :
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