sjn2336

1160 CHRONIQUE RURAL Page 54 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 36 - 8 SEPTEMBRE 2023 1. Bail rural A. - La diversité des baux ruraux 1 - La compatibilité du bail rural statutaire avec la domanialité publique. – L’arrêt rendu par le Conseil d’État le 7 juin (CE, 7 juin 2023, n° 447797 : Lebon T.), vient apporter d’utiles éclairages sur la compatibilité du bail rural statutaire avec la domanialité publique. Le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres avait acquis, par acte notarié, en 2005, d’un groupement foncier agricole, des parcelles situées sur le territoire de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer dont une fraction avait été donnée à bail rural, à compter du 1er avril 1995, verbalement, à un éleveur de chevaux. 2 - Quels sont les effets juridiques de l’incorporation dans le domaine public du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages de parcelles objets d’un bail soumis au statut du fermage ? Le preneur peut-il se maintenir dans les lieux ou est-il un occupant, sans droit, ni titre et partant, susceptible d’être poursuivi comme prévenu d’une contravention de grande voirie (C. envir., art. L. 322-10-4) ? En raison des grands principes qui gouvernent la domanialité publique, dont celui de la précarité de l’occupation privative (CGPPP, art. L. 2122-2), il est certain qu’un agriculteur ne peut se prévaloir de la législation sur les baux ruraux (CE, 15 nov. 1950, Durel : Lebon, p. 557). Mais quel est le régime applicable lorsque, au moment de l’incorporation, le bail rural est déjà en cours d’exécution ? Faut-il sacrifier la force de l’engagement contractuel et la sécurité juridique du contrat sur l’autel de la domanialité publique ? 3 - Le Conseil d’État s’efforce de trouver un équilibre entre ces deux impératifs et énonce : « Lorsque le conservatoire procède à l’intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d’un bail rural en cours de validité, ce bail constitue, jusqu’à son éventuelle dénonciation, un titre d’occupation de ce domaine qui fait obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé ou poursuivi au titre d’une contravention de grande voirie pour s’être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public. Ce contrat ne peut, en revanche, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu’il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique. » 4 - Une solution déjà énoncée. – La solution n’est pas en réalité nouvelle : elle avait déjà été énoncée à propos du bail commercial (CE, 21 déc. 2022, Cne Saint-Félicien. – Adde CE, 24 nov. 2014, n° 352402, Sté des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais : Lebon, p. 350, mais qui concernait le cas d’un bail commercial conclu sur le domaine public et donc illégal dès l’origine). 5 - Le bailleur de droit public peut à tout moment dénoncer le bail sans motif. – Si le preneur conserve donc un titre pour continuer à exploiter, il faut aussi déduire de cette dégénérescence du bail statuaire en une convention d’occupation précaire la possibilité pour le bailleur de droit public de dénoncer, à tout moment, le bail rural, et ce, sans motifs. La différence est ainsi patente avec le régime juridique des baux conclus sur le domaine privé de l’État, des collectivités, et autres établissements publics qui demeure, par principe, soumis au statut du fermage et qui prive également le fermier de ses principaux droits statutaires – perte du droit au renouvellement, du droit de préemption, et également du droit de se maintenir dans les lieux – mais seulement si le bailleur fait valoir un motif d’intérêt général (C. rur., art. L. 415-11). 6 - En outre, le fermier en place dispose d’un droit de priorité dans l’hypothèse où, après cette dénonciation, le Conservatoire souhaiterait faire exploiter les parcelles à des fins agricoles. En effet, ce dernier doit alors lui proposer de conclure une convention d’usage temporaire dont les droits et obligations de l’exploitant sont fixés en application d’une convention-cadre approuvée par le conseil d’administration (C. envir., art. L. 322-9, al. 4). 7 - Le plus topique est qu’en l’espèce, le 18 août 2020, le Conservatoire du littoral a notifié au fermier un congé portant refus de renouvellement du bail à effet au 31 mars 2022. Ce fermier a contesté le congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux en soulevant l’inconstitutionnalité de l’article L. 322-9 du Code de l’environnement qui contreviendrait au principe du statut d’ordre public du fermage, lui-même qualifié, par le plaignant, de principe fondamental reconnu par les lois de la République. Saisie une seconde fois de la question prioritaire de constitutionnalité par ce même tribunal (V. pour la première fois, Cass. 3e civ., 8 sept. 2022, QPC, n° 22-40.011 : JurisData n° 2022-014582), la Cour de cassation déclare celle-ci à nouveau irrecevable, notamment parce que celle-ci n’explicite pas ce que recouvrirait le « principe du statut d’ordre public du fermage agricole » (Cass. 3e civ., 22 juin 2023, n° 23-40.006, FS-B : JurisData n° 2023-010055). HUBERT BOSSE-PLATIÈRE B. - Formation du contrat (...) C. - Exécution du contrat 1° Pas-de-porte prohibé : l’action en répétition de l’indu contre le bailleur pour le compte de qui la somme a été perçue 8 - Illicéité de la pratique des pas-deporte. – Les pas-de-porte frauduleusement payés en contravention des dispositions du statut du fermage alimentent toujours la jurisprudence. Celle-ci a le mérite de la constance, martelant l’illicéité de la pratique qui met à la charge du locataire entrant le prix des fumures et arrières fumures épandues sur le fonds par le précédent exploitant, qu’il soit le propriétaire ou l’ancien fermier (Cass. 3e civ., 12 mai 2016, n° 15-14.474 : RD rur. 2016, comm. 220, note É. Lemonnier). 9 - Entremise d’une société. – L’utilisation de l’outil sociétaire complique encore davantage la situation tant on ne sait plus qui de l’agriculteur ou de sa structure a payé ou encaissé les sommes indûment transférées. Il y a quelque temps, la Cour de cassation jugeait que lorsque c’est une société qui a acquitté le pas-de-porte, en lieu et place du fermier, elle peut prétendre, comme tout solvens, au remboursement (Cass. 3e civ., 26 janv. 2017, n° 15-12.737 : JurisData n° 2017-000941 ; JCP N 2017, 1217, n° 2, obs. B. Grimonprez). Mais qu’en est-il d’une société qui a perçu les sommes pour le compte

RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=