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1158 ÉTUDE IMMOBILIER Page 42 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 36 - 8 SEPTEMBRE 2023 cipal, pour ne pas dire le seul, actif dont une famille dispose. Il est donc compréhensible que l’entrepreneur, celui qui prend le risque de s’installer et de créer de l’activité économique, soit freiné par l’inquiétude de voir son logement constituer le gage de ses éventuels créanciers. Les entreprises individuelles occupent, dans le paysage entrepreneurial français, une place largement majoritaire1. Historiquement, c’est à leur égard que se posait avec la plus grande acuité la question d’une protection spécifique du logement de l’entrepreneur. En effet, jusqu’à une date récente, l’entrepreneur individuel exposait aux risques de son activité l’ensemble de son patrimoine2. Néanmoins, au XXIe siècle, on constate l’avènement progressif d’une mise à l’abri des éléments d’actif non dédiés à l’activité qu’il exerce, et tout particulièrement de son logement. 2 - Un peu d’histoire. – À partir du XIXe siècle, l’unicité du patrimoine est présentée comme un dogme irréfragable. Pour cette raison, longtemps, la constitution d’un patrimoine professionnel autonome n’est passée que par la création d’une personne morale autonome, qui en était titulaire. Aussi, dans un premier temps, le législateur s’est contenté d’autoriser les entrepreneurs individuels à constituer des sociétés unipersonnelles. L’EURL et l’EARL, premières structures juridiques ne comportant qu’un seul associé, voient le jour avec la loi du 11 juillet 1985, devenant ainsi les sœurs aînées des SELARL et des SAS, elles aussi unipersonnelles. Leur efficacité a prouvé ses effets sur la protection de l’entrepreneur puisqu’elles sont titulaires d’un patrimoine propre. 3 - Les charmes de l’insaisissabilité. – À partir des années 2000, le législateur s’est mis à rechercher d’autres moyens d’isoler le patrimoine privé du patrimoine professionnel, et a cru les trouver en rénovant l’ancienne institution des biens insaisissables. Mettre à l’abri le logement de l’entrepreneur individuel a été sa première préoccupation, matérialisée par différents textes : • la loi pour l’initiative économique de 20033 ouvrant à l’entrepreneur individuel la possibilité de déclarer, par acte notarié soumis à publicité foncière, l’insaisissabilité de sa résidence principale ; • la loi de modernisation de l’économie de 20084 élargissant cette faculté à tous ses biens fonciers bâtis et non bâtis, dès lors qu’ils ne sont pas affectés à l’usage professionnel ; 1 En 2003, sur les 2,5 millions d’entreprises existant en France, pas moins de 1,4 million étaient exploitées sous forme d’entreprise individuelle. Le chiffre des créations n’a fait que croître, notamment depuis l’entrée en vigueur du statut de l’auto-entrepreneur le 1er janvier 2009. En juin 2021, le nombre total de créations d’entreprises a augmenté de 30,2 % notamment en raison du niveau particulièrement bas de créations pendant le premier confinement (Insee). 2 La 6e édition de l’Observatoire de l’emploi des entrepreneurs révèle qu’en 2021, 28 835 chefs d’entreprise ont perdu leur activité, soit une diminution de 13,1 % par rapport à 2020. 3 L. n° 2003-721, 1er août 2003 : JO 5 août 2003, texte n° 1. 4 L. n° 2008-776, 4 août 2008 : JO 5 août 2008, texte n° 1. • enfin, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de 20155 franchissant une étape ultime en rendant insaisissable de plein droit la résidence principale de l’entrepreneur individuel, sans déclaration. 4 - Déclin d’un grand principe. – Après plus de 20 ans de tâtonnements législatifs, la loi du 14 février 2022 crée, pour les seuls entrepreneurs individuels, une étanchéité de principe entre deux patrimoines désormais distincts : le patrimoine privé et le patrimoine professionnel. Le principe de l’unicité du patrimoine, dont la formulation est attribuée à Aubry et Rau, vient non pas de tirer sa révérence, mais a minima d’être sérieusement remis en cause. 5 - Délimitation du propos. – Il n’est pas dans le propos de cet article de se livrer à une étude exhaustive de la condition actuelle des entrepreneurs individuels et de leur patrimoine, mais plutôt de déterminer ici dans quelle mesure leur logement peut se trouver protégé ou, au contraire, exposé aux risques nés de leur activité. À cet effet seront envisagées successivement les conditions (1), puis les limites (2) de la protection du logement de l’entrepreneur individuel nouvellement acquise. 1. Les conditions de la protection du logement de l’entrepreneur individuel 6 - Le statut protecteur de l’entrepreneur individuel suppose la réunion de plusieurs conditions. Pour ce qui concerne son logement, ces nouvelles règles sont porteuses de certitudes bienvenues (A), mais laissent subsister quelques doutes (B). A. - Les certitudes apportées par le nouveau statut 7 - Le statut actuel de l’entrepreneur individuel repose sur trois certitudes : il ne protège l’entrepreneur que s’il est réellement individuel (1°), et le logement que s’il est réellement personnel (2°). En revanche, le mode de détention du logement est aujourd’hui indifférent (3°). 1° Un entrepreneur strictement individuel 8 - Notion d’entrepreneur individuel. – La définition de l’entrepreneur individuel est donnée à l’article L. 526-22 du Code de commerce. Il s’agit d’une personne physique exerçant en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. Dès lors, la protection organisée ne vise jamais le chef d’une entreprise exploitée sous forme sociétaire, censé être protégé par l’écran de la personnalité morale. Sont en revanche concernés tous les indépendants : 5 L. n° 2015-990, 6 août 2015 : JO 7 août 2015, texte n° 1.

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