1175 ÉTUDE FAMILLE Page 60 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 36 - 6 SEPTEMBRE 2024 plusieurs personnes habilitées en leur donnant à chacune des pouvoirs différents. Un juge a ainsi doté l’un des trois enfants d’une personne âgée d’un pouvoir général de représentation pour conclure seul tous les actes d’administration tout en habilitant les deux autres à passer ensemble les actes de disposition19. La variété des choix envisageables est très intéressante pour le justiciable à la recherche d’une solution idoine. 10 - Quel conseil pour quelle situation ? – Le notaire doit, afin de délivrer un conseil pertinent, évaluer les besoins de la personne vulnérable en l’entendant en premier lieu, car il ne faut pas oublier que la personne protégée est placée au centre de la mesure depuis la loi du 5 mars 200720. Il s’agira d’abord d’identifier si la protection ne doit concerner qu’un ou plusieurs actes ou si elle doit être générale21 ; dans le second cas, d’évaluer si elle doit s’étendre à la protection personnelle comme patrimoniale ou si elle ne doit concerner que l’un ou l’autre de ces domaines. Si la protection du patrimoine est seule envisagée, il nous paraît bien inutile de conseiller l’habilitation assistance dont la plus-value paraît faible par rapport à une curatelle. Au contraire, l’habilitation représentation peut être d’un intérêt notable pour une personne âgée avec enfant unique, par exemple, dont le patrimoine n’est pas trop élevé. Il faut, en tout état de cause, une famille resserrée, bienveillante et aimante. En matière extra-patrimoniale, l’habilitation assistance retrouve, il nous semble, tout son intérêt. Utilisée spécialement, elle peut ainsi permettre de faire une donation ou d’en accepter une22. Utilisée généralement, elle peut permettre de compléter utilement la protection conjugale qu’offrent les régimes matrimoniaux. CONSEIL PRATIQUE ➜ Si l’habilitation vise à protéger la personne vulnérable en matière de santé, il faut impérativement privilégier l’habilitation représentation, le Code de la santé publique ne connaissant quasiment que le représentant à la personne23. En matière patrimoniale, si l’habilitation familiale représentation présente un gain de simplicité indéniable par rapport à la tutelle, il n’en va pas de même de l’habilitation familiale assistance. Aussi le notaire n’aura guère d’intérêt à conseiller la seconde contrairement à la première. 19 TI Lorient, 26 août 2016, n° 16/A/00 cité par G. Raoul-Cormeil, L’habilitation familiale : entre tradition et modernité : LPA sept. 2017, n° LPA129K6. 20 L. n° 2007-308, 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs : JO 7 mars 2007, texte n° 12. 21 Sur ce point, une bonne connaissance de la pratique des juges des tutelles environnants est précieuse, certains préférant ouvrir systématiquement des habilitations générales dans un but d’anticipation alors que d’autres pratiquent sans problème l’habilitation spéciale. 22 V. D. Montoux, Habilitation familiale en vue d’une donation entre vifs, formules : JCP N 2020, n° 11, 1068. 23 En plus de n’être que rarement visée, la personne chargée d’assister le majeur protégé peut être évincée de l’information médicale puisque ce dernier peut, de manière générale, apposer un veto pour que son curateur ou son habilité à l’assister dispose des informations médicales le concernant (CSP, art. L. 1111-2 III). 11 - L’habilitation familiale mérite d’être bien connue dans chacune de ses composantes et ce, d’autant que, mal utilisée, elle peut présenter des risques non négligeables. B. - Les risques de l’habilitation familiale 12 - Importance de la concorde familiale : les risques d’abus. – L’absence de dissensions au sein de la famille nous paraît être un élément premier à vérifier : non seulement l’absence actuelle mais également l’absence prévisible de discordes. Ainsi, par exemple, si l’habilitation familiale ne peut être systématiquement déconseillée en présence d’un époux et d’enfants nés d’une précédente union, le contentieux montre toutefois combien cette configuration familiale peut être source de désaccords. L’habilitation familiale peut s’avérer ainsi constituer une mesure de protection familiale peu pérenne dans une telle hypothèse24. En tout état de cause, il importe de prêter attention au ressenti de la personne vulnérable et de l’entendre seule, sans aucun proche à ses côtés. C’est là le seul moyen de parvenir à détecter de possibles proches malveillants. Le consensus familial est le point d’entrée de l’habilitation familiale : sans consensus, cette mesure perd de son sens et risque fortement de se retourner contre le majeur protégé. Il a suffisamment été souligné par la doctrine combien le surcroît de confiance accordé à la famille peut aboutir à des abus25. L’absence de remise des comptes et de contrôle de ceux-ci ne fait qu’accentuer ce risque. La seule possibilité, en cas d’abus, est celle offerte par l’article 49410 du Code civil à savoir une saisine du juge pour dysfonctionnement. Toutefois, celui-ci ne pourra alors que modifier l’étendue de l’habilitation ou y mettre un terme et non changer la personne habilitée sauf à ouvrir une curatelle ou une tutelle en ses lieux et place. Reste que cette possibilité n’intervient qu’a posteriori et peut donc laisser une situation délétère s’enliser. REMARQUE ➜ Le danger induit par l’absence de contrôle systématique doit toutefois être relativisé en ce sens que l’article 4941 opère un renvoi aux règles du droit commun du mandat. Or, parmi celles-ci, l’article 1993 du Code civil impose à tout mandataire l’obligation de rendre compte de sa gestion. Aussi la personne habilitée devra-t-elle rendre compte, au moins à la fin de sa mission26, à la personne protégée. 13 - Les problèmes ou dangers de l’habilitation spéciale. – L’habilitation familiale spéciale, qui n’a vraiment de sens qu’en représentation, devra être conseillée avec parcimonie et ce, pour plu24 V. à titre d’exemple : CA Paris, pôle 3, ch. 7, 1er mars 2022, n° 21/07563 : JurisData n° 2022-002854 ; Dr. famille 2022, comm. 94, obs. I. Maria. 25 V. not. J. Combret et N. Baillon-Wirtz, L’habilitation familiale : une innovation à parfaire : JCP N 2015, n° 51-52, 1248. 26 En cours de mission, le rendu des comptes suppose une co-habilitation. V. n° 17.
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