Page 49 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 36 - 6 SEPTEMBRE 2024 - © LEXISNEXIS SA JURISPRUDENCE COMMENTÉE IMMOBILIER 1174 BAIL EMPHYTÉOTIQUE 1174 L’emphytéote et la garantie décennale Solution. – En l’absence de stipulation contraire, l’emphytéote se voit transférer, dès son entrée en jouissance, par l’effet du bail et pendant toute la durée de celui-ci, les actions en garantie décennale et en réparation du bailleur à raison des désordres affectant les ouvrages existants donnés à bail. Impact. – Lors de la conclusion d’un bail emphytéotique mais aussi d’autres baux constitutifs de droit réel, les conséquences liées à l’existence d’un ouvrage réalisé depuis moins de 10 ans, compris dans l’assiette du bail, doivent être précisées. Cass. 3e civ., 11 juill. 2024, n° 23-12.491 : JurisData n° 2024-010903 ; publié ; JCP N 2024, n° 35, act. 1016 Qui sont les titulaires de l’action en garantie décennale ? A priori, la réponse à cette question apparaît simple. Elle est fournie par l’article 1792 du Code civil qui précise qu’il s’agit du maître de l’ouvrage et de l’acquéreur de l’ouvrage. Toute personne ne présentant pas l’une de ces qualités ne peut invoquer utilement la garantie décennale. Cette simplicité n’est toutefois qu’apparente. Tout d’abord, parce que cette qualité peut changer de titulaire. Ainsi, celui qui était propriétaire perd cette qualité une fois qu’il a cédé son immeuble. Si un sinistre survient après la vente, c’est l’acquéreur qui peut exercer l’action. Lorsque le sinistre est antérieur à la vente et qu’il n’a pas encore donné lieu à réparation lors de celle-ci, se pose alors la question de savoir si c’est le vendeur ou l’acquéreur qui pourra exercer l’action en garantie décennale. Ensuite, la personne souhaitant exercer l’action en garantie décennale peut être dans une situation qui ne correspond pas tout à fait à celles visées par l’article 1792 du Code civil. Ainsi en va-t-il de l’usufruitier, habituellement présenté comme étant titulaire d’un droit démembré de propriété, sans avoir la qualité de propriétaire. Lorsqu’il fait réaliser des travaux, se pose alors la question de savoir s’il peut ou non exercer l’action en garantie décennale. Il en va de même pour le preneur. Ce dernier peut être titulaire d’un droit personnel ou d’un droit réel et faire réaliser des travaux entrant dans le champ d’application de la garantie décennale. Il peut également se trouver dans la situation où la chose qui lui est louée a fait l’objet de travaux entrant dans le champ de la garantie décennale. Est-il en ce dernier cas titulaire de cette action en garantie ? Faits et procédure. – Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation le 11 juillet 2024, c’est l’emphytéote, donc un preneur disposant d’un droit réel, qui entendait exercer les actions en garantie décennale et en réparation. Avant même d’avoir cette qualité, il avait fait installer, en 2010, sur un hangar appartenant à un tiers des panneaux photovoltaïques. À la suite de désordres survenus en 2017, il agit en responsabilité décennale contre l’installateur et son assurance. Au cours de l’instance, en 2020, il conclut un bail emphytéotique avec le propriétaire du hangar. En 2021, puis en 2022, les juges du fond prennent en compte la qualité d’emphytéote pour reconnaître à celui qui avait commandé l’installation des panneaux la possibilité d’exercer les actions en garantie décennale et en réparation. Pour l’assureur en responsabilité décennale de l’installateur, l’action de l’emphytéote devait être rejetée : • d’une part, parce qu’avant la conclusion du bail, l’ouvrage existait et que le sinistre était déjà survenu ; • d’autre part, parce qu’aucune clause du bail emphytéotique ne conférait à l’emphytéote la qualité de maître d’ouvrage, nécessaire pour exercer l’action en garantie décennale contre les constructeurs, s’agissant de désordres affectant le bien préexistant, et survenus préalablement à la conclusion du bail emphytéotique. Non convaincue par l’argumentation de l’assureur, la Cour de cassation rejette le pourvoi en posant le principe suivant lequel compte tenu de son objet, sauf stipulation contraire, l’emphytéose emporte, par elle-même, dès l’entrée en jouissance par l’effet du bail et pendant toute la durée de celui-ci, transfert du bailleur au preneur des actions en garantie décennale et en réparation à raison des désordres affectant les ouvrages donnés à bail. Pour que ce principe puisse recevoir application, deux conditions cumulatives doivent être réunies (1). Ce principe est par ailleurs assorti de limites (2). 1. La double condition du transfert à l’emphytéote des actions du bailleur en garantie décennale et en réparation Titularité de l’action en garantie décennale : principe. – Suivant l’article 1792 du Code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Il en résulte que la personne qui invoque le bénéfice de la garantie décennale doit avoir soit la qualité de maître de l’ouvrage, étant précisé que celle-ci suppose d’être propriétaire au moment de la réalisation de l’ouvrage, soit la qualité d’acquéreur et donc de propriétaire de l’ouvrage VIVIEN ZALEWSKI-SICARD, enseignant-chercheur, membre de l’IRDP
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