1173 ÉTUDE IMMOBILIER Page 44 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 36 - 6 SEPTEMBRE 2024 plexité des procédures, la pluralité des acteurs et l’opiniâtreté des plaideurs ont favorisé, après la mise en œuvre des lois de décentralisation, ce que d’aucuns ont qualifié « d’explosion » du nombre des recours, notamment contre les autorisations d’urbanisme. En 1995, le professeur Jean-Paul Gilli estimait que la plupart des permis de construire relatifs à des opérations importantes étaient frappés de recours, aboutissant une fois sur deux à une annulation1. À la suite de ces constats, le législateur s’est engagé dans une série de réformes qui se sont étalées sur environ 30 ans, aidé par un juge de plus en plus pragmatique. Les progrès réalisés ne sauraient cependant dissimuler que le volume du contentieux de l’urbanisme demeure important et que les conséquences économiques et sociales des délais à l’issue desquels sont rendues les décisions juridictionnelles sont, bien souvent, graves et irréparables. 2 - Quoi qu’il en soit, les réformes du contentieux des autorisations d’urbanisme ont entraîné plusieurs conséquences importantes : elles ont sécurisé les pétitionnaires en encadrant les délais de recours et d’instance ainsi que la recevabilité des recours, elles ont permis de régulariser les autorisations en cours d’instance, et elles ont été en mesure de sanctionner les recours frauduleux. Toutefois, les notaires ne se sont pas saisis de ces évolutions considérables sauf d’un point de vue formel. Ils ont en effet intégré dans leurs clauses la notification des recours ou l’attestation du greffe. En revanche, les conditions suspensives de permis de construire définitifs n’ont guère changé depuis 30 ans. Elles ne connaissent pas ou peu la cristallisation ou la régularisation des permis de construire. Quel dommage et quelle occasion manquée pour les notaires ! 1. L’attachement des acteurs de l’immobilier au permis de construire devenu définitif 3 - Institué par la loi du 15 juin 1943, le permis de construire est connu de tous les Français au point d’être devenu un monument du droit. Étant avant tout une autorisation administrative, le permis de construire est exposé aux recours pour excès de pouvoir et nourrit un contentieux à la mesure de l’attrait-répulsion qu’il suscite. Dans l’esprit des Français et des acteurs de l’immobilier, le permis de construire n’existe véritablement que lorsqu’il est définitif : c’est-à-dire quand il n’est plus susceptible ni de retrait, ni de recours des tiers, ni de déféré préfectoral. Et ceci, à rebours du droit : en effet, le recours contre un permis de construire n’a aucun effet suspensif. Dès lors que l’autorisation est exécutoire, rien n’interdit légalement le démarrage des travaux. Dans l’absolu, le permis tacite est exécutoire à sa naissance, le permis exprès sitôt transmis en préfecture et notifié au pétitionnaire. Mais, en pratique, le chantier 1 J.-P. Gilli, Contentieux du permis de construire : la légalité sous réserve : AJDA 1995, p. 355. ne débutera au mieux qu’à l’expiration des délais de recours et de retrait, au pire lorsque le juge aura confirmé l’autorisation ; en un mot, une fois le permis devenu définitif. Cette prudence tient au risque d’annulation de l’autorisation, avec comme conséquences possibles la suspension des travaux en cours, le versement de dommages-intérêts ou encore la démolition de la construction avec des enjeux financiers considérables. En conséquence de quoi, les promesses de vente sous condition suspensive de permis de construire définitifs sont devenues la règle dès lors que le projet de l’acquéreur comprend des travaux d’une certaine importance. À côté de cela, davantage que l’obtention d’une décision juridictionnelle, l’objectif de nombreux requérants contre un permis de construire est de différer le démarrage des travaux avec l’espoir que, le temps passant, le projet soit abandonné. 4 - Sécurisation des bénéficiaires d’autorisation d’urbanisme par les pouvoirs publics. – Sensibles à ce blocage, les pouvoirs publics se sont mobilisés. Ils ont poursuivi un objectif de sécurisation juridique des bénéficiaires d’autorisation d’urbanisme tout en respectant le principe fondamental du droit au recours. Le contentieux de la légalité des autorisations d’urbanisme se caractérise ainsi par son particularisme par rapport au contentieux administratif de la légalité. Quels mécanismes peuvent dissuader d’exercer un recours dit abusif contre une autorisation d’urbanisme ? Quels mécanismes permettraient de mieux maîtriser les recours introduits à l’encontre des autorisations d’urbanisme ? Le recours malgré tout exercé, quelles techniques permettent de maîtriser le temps judiciaire ? Face à des vices de fond ou de procédure, de quels pouvoirs dispose le juge pour éviter l’annulation du permis ? Et, une fois le permis annulé, la démolition est-elle inéluctable ? C’est à toutes ces questions que le législateur, en lien avec la doctrine, apporte des réponses depuis 30 ans. 5 - Les différentes réformes. – Le mouvement a été initié par la loi du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction, dite loi Bosson, en partie inspirée du rapport du Conseil d’État de 1992, « L’urbanisme : pour un droit plus efficace », qui a notamment obligé à notifier les recours à la collectivité et au bénéficiaire, avec à court terme un réel effet d’apaisement. L’ouvrage a été remis sur le métier près de 10 ans plus tard à la suite du rapport Pelletier, « Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d’urbanisme », déposé le 25 janvier 2005. Ce rapport a trouvé sa traduction juridique dans la loi portant engagement national pour le logement (dite loi ENL) du 13 juillet 2006 et le décret du 5 janvier 2007. Poursuivant l’effort, Cécile Duflot, ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, a créé, par lettre du 11 février 2013, un groupe de travail présidé par Daniel Labetoulle, « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre ». Les propositions du groupe de travail ont été pour l’essentiel reprises dans l’ordon-
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