Page 20 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 36 - 6 SEPTEMBRE 2024 1051 1 Vous publiez un ouvrage consacré au droit civil de droit local alsacien-mosellan en vous interrogeant sur l’opportunité de maintenir cet héritage. Pourquoi? J’ai souhaité combler un vide dans la bibliographie étudiant cette vaste matière et représentant plus de 1 000 pages d’articles que l’Institut de droit local a rassemblées dans un code (Code du droit local alsacienmosellan 2022, réédité en 2024, LexisNexis). Mon ouvrage intitulé Le droit civil local alsacien-mosellan : un héritage à préserver ? (LexisNexis, 2024) traite des fondements de ce droit, communs à toutes ses branches, mais aussi de son objet avec un éclairage spécial sur le droit civil et les professions judiciaires réglementées. 2 Et quelles sont donc les spécificités des notaires alsaciens-mosellans par rapport à leurs autres confrères? D’abord, ils sont recrutés différemment. En Alsace-Moselle, la patrimonialité des offices n’existe pas, le recrutement se fait sur concours et la nomination en qualité de titulaire d’un office passe sous le tamis d’une commission de présentation composée majoritairement par des hauts magistrats et présidée par le 1er président de la cour d’appel de Colmar ou de Metz. Bien sûr, la loi Croissance pose des difficultés d’application en Alsace-Moselle : ainsi les multi-offices, les holdings, les SPE sont autant de figures difficiles à adapter dans ces 3 départements de l’Est. Mais proposer deux systèmes de recrutement différents doit être vu plus comme une chance pour nos jeunes, qu’un inconvénient. Cela n’empêche pas le notariat français de se développer harmonieusement tout en préservant les spécificités des uns et des autres. Ensuite, aux notaires alsaciens mosellans sont reconnues des compétences particulières : ils dirigent les procédures locales de partage judiciaire, de saisie immobilière et de distribution judiciaire. Ils sont commissaires-priseurs judiciaires et chargés de toutes les ventes judiciaires immobilières. Ils requièrent les certificats d’hérédité et jouent un rôle fondamental pour assurer, aux côtés des juges du livre foncier, la fiabilité du livre foncier. On peut enfin constater que le droit local a toujours réservé aux notaires une place de choix. Ces textes privilégient en effet une collaboration étroite entre les magistrats et ces derniers, en les impliquant activement dans plusieurs procédures gracieuses. 3 Et ce droit qui perdure a-t-il un avenir, ne contrarie-t-il pas le principe d’égalité des citoyens devant la loi? C’est précisément à cette question que répond l’ouvrage. Comment ces dispositions dérogatoires s’accommodent-t-elles du principe constitutionnel d’égalité à la lumière notamment de la jurisprudence Somodia (Cons. const., 5 août 2011, n° 2011157 QPC : JurisData n° 2011-017946) ? Cette jurisprudence a souvent été mal comprise et ses conséquences, quant aux freins permettant au droit local d’évoluer, exagérées. Elle ne condamne pas le droit local à l’immobilisme. L’enjeu de cette question concerne en réalité le degré de divergence possible d’un droit local nouveau par rapport au droit général. Les notions de situations particulières et d’intérêt général peuvent justifier de telles évolutions. Encore faut-il admettre que l’Alsace et la Moselle sont dans des situations différentes par rapport aux autres territoires français. La présence en Alsace d’un fleuve international est une première spécificité géographique. La biculture née des alternances de nationalités en est une autre. C’est aussi dans ce territoire que les échanges transfrontaliers sont les plus nombreux. L’histoire de cette population est singulière, avec ses « Malgré-nous », des jeunes dans la fleur de l’âge contraints de se battre dans l’armée allemande sous peine de déportation de leur famille, morts pour certains d’entre eux dans le camp russe de Tambov ou sur le champ de bataille de Stalingrad (plus de 40 000 n’en sont pas revenus. Avec les blessés et les portés disparus, on en dénombre plus de 130 000). Il paraît donc difficile de prétendre que ce territoire n’a pas été marqué de façon indélébile par son histoire et qu’il n’en découle aucune situation particulière. Les notaires ne furent d’ailleurs pas épargnés puisque, entre 1870 et 1900, plus de 40 % des études notariales furent supprimées en Alsace-Moselle. Forts de ces constats, on devrait raisonnablement prédire un avenir radieux à ce droit local. Les notaires alsaciens-mosellans sont des pratiquants convaincus parce qu’ils l’appliquent quotidiennement. De nombreux domaines sont régis avec pragmatisme : la sécurité sociale complémentaire mieux gérée et plus généreuse, la chasse, la publicité foncière, le droit des cultes, certains aspects du droit des successions, l’enseignement religieux. C’est un droit qui aujourd’hui encore devrait être une source d’inspiration pour le législateur. Étudier ce droit donne l’opportunité de nous interroger aussi sur la pertinence contemporaine du pacte jacobin qui nous unit. Il est certainement temps de conclure avec l’État un véritable pacte girondin dans lequel le préfet n’apparaît plus comme une instance incontournable. Privilégier le sur-mesure plutôt que le prêtà-porter, c’est finalement ce que propose ce droit local alsacien-mosellan qui vient de souffler ses cent bougies. Propos recueillis par Marie Fabre et Mélissa Kashi 3 questions à: Olivier Vix « Privilégier le sur-mesure plutôt que le prêt-à-porter, c’est ce que propose ce droit local alsacien-mosellan centenaire » L’Est de la France célèbre cette année le centenaire des lois du 1er juin 1924 ayant introduit le droit local alsacien-mosellan, une occasion unique pour évoquer ce droit national d’application territoriale. 1051 DROIT LOCAL
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