10 STRATÉGIE PATRIMONIALE 4. - Ainsi, consentie avant le 18 décembre 2007, l’acceptation « dum vit » n’était soumise à aucune forme particulière et pouvait même être tacite. En revanche, les acceptations d’après cette date sont soumises à de strictes conditions de forme puisqu’elles doivent nécessairement être exprimées par écrit. Ce dernier peut prendre la forme d’un avenant au contrat ou d’un acte autonome et être sous seing privé ou authentique. Précisément, l’article L. 132-9, II du Code des assurances dispose que : « Tant que l’assuré et le stipulant sont en vie, l’acceptation est faite par un avenant signé de l’entreprise d’assurance, du stipulant et du bénéficiaire. Elle peut également être faite par un acte authentique ou sous seing privé, signé du stipulant et du bénéficiaire, et n’a alors d’effet à l’égard de l’entreprise d’assurance que lorsqu’elle lui est notifiée par écrit». » L’acceptation ne peut donc plus être découverte par surprise par le souscripteur : elle suppose son accord et l’information de la compagnie d’assurance. Autrement dit, dans l’esprit du législateur de 2007, l’acceptation doit relever d’une stratégie élaborée d’un commun accord par le souscripteur et par le bénéficiaire. 5. - Quant aux effets de l’acceptation « dum vit », le nouveau dispositif est radicalement différent. Une acceptation réalisée avant le 18 décembre 2007 ne bloque pas le droit de rachat du souscripteur, sauf manifestation expresse de ce dernier. C’est ce qui résulte d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en chambre mixte le 22 février 20086 : « lorsque le droit de rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d’assurance-vie mixte, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation n’est pas fondé à s’opposer à la demande de rachat du contrat en l’absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit. ». 6. - En revanche, l’article L. 132-9, I, alinéa 1er du Code des assurances énonce aujourd’hui que « Pendant la durée du contrat, après acceptation du bénéficiaire, le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ». Le bénéficiaire acceptant est donc devenu un véritable contrôleur de la consommation de son épargne par le souscripteur. 2. Rejet de la thèse de la qualification systématique de donation 7. - Arrêt du 20 novembre 2019. - À la suite d’un arrêt rendu le 20 novembre 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation7, la question se pose de savoir si cette différence des effets de l’acceptation « dum vit », selon qu’elle a été donnée avant ou après le 18 décembre 2007, produit une différence de qualification du contrat d’assurance-vie accepté. En effet, dans cet arrêt relatif à la qualification d’un contrat accepté avant le 18 décembre 2007, la Cour de cassation, partant du constat que le souscripteur n’avait pas renoncé expressément à l’exercice de son droit de rachat, écarte la demande de requalification du contrat en donation indirecte. 8. - Thèse de la requalification systématique. - À partir du moment où, pour les acceptations réalisées à compter du 18 décembre 2007, l’article L. 9-132 du Code des assurances prévoit que l’acceptation « dum vit » prive le souscripteur de l’exercice discrétionnaire de sa faculté de rachat, certains praticiens font dire à cet arrêt qu’une acceptation « dum vit » réalisée à partir du 18 décembre 2017 a pour effet d’entraîner systématiquement la requalification du contrat d'assurance6 Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, n° 06-11.934 : JurisData n° 2008-042918 ; JCP N 2008, n° 11, act. 284. 7 Cass. 1re civ., 20 nov. 2019, n° 16-15.867 : JurisData n° 2019-020561 ; JCP N 2020, n° 7-8, 1054, note C. Hélaine. 8 Et notamment les règles de pouvoir en présence d’un souscripteur marié sous le régime de la communauté : V. Cass. 1re civ., 20 nov. 2019, n° 16-15.867 : JurisData n° 2019-020561 ; JCP N 2020, n° 7-8, 1054, note C. Hélaine. 9 Ajoutons, ainsi qu’il a pu être observé (V. Cass. 1re civ., 20 nov. 2019, n° 16-15.867, FS+P+B+I : JurisData n° 2019-020561 ; Resp. civ. et assur. 2020, comm. 51, note Ph. Pierre), que si cette qualification de donation doit être systématiquement retenue en présence d’une acceptation « dum vit », il faudrait également en déduire que toute autorisation faite par le bénéficiaire acceptant au profit du souscripteur d’opérer un rachat devra être requalifiée en donation en sens inverse de la part du bénéficiaire au profit du souscripteur ! (Philippe Pierre écarte néanmoins cette qualification si cette autorisation a été formulée dès l’acceptation ou procède d’une programmation antérieure de rachats par le souscripteur.). 10 Sur d’autres motifs, V. Memento Lefebvre [Patrimoine], n° 28381 et s. 11 En ce sens : Resp. civ. et assur. 2020, comm. 51 ; BJDA 2020, n° 67, M. Robineau. 12 LEDA janv. 2020, n° 1, p. 1, M. Leroy. 13 Cass. 2e civ., 3 nov. 2011, n° 10-25.364 : JurisData n° 2011-024086 ; RD bancaire et fin. 2012, comm. 20, note J. Djoudi. vie en donation indirecte des primes versées. L’adoption d’une telle thèse a les conséquences à la fois civiles et fiscales suivantes : • civilement, le bénéficiaire serait traité comme un donataire dans la succession du souscripteur assuré. Selon son lien de parenté avec ce dernier et le contexte familial, il serait tenu au rapport et/ou à la réduction ; cette donation serait régie par toutes les règles civiles applicables aux donations8 ; • fiscalement, la fiscalité propre de l’assurance-vie serait écartée au profit de l’application des droits de mutation à titre gratuit9. Une telle interprétation ne nous convainc pas. 9. - Réfutation de la thèse. - Revenons sur les deux éléments qui doivent être constatés pour déceler une libéralité dans une opération juridique : • un appauvrissement patrimonial sans contrepartie : c’est l’élément matériel de toute libéralité ; • avec la conscience et la volonté de s’appauvrir au profit d’autrui : c’est l’intention libérale. Il n’est nullement acquis que ces deux éléments soient systématiquement réunis en présence d’une acceptation « dum vit ». De même que ces deux éléments peuvent être réunis même en l’absence d’une acceptation « dum vit ». 10. - Absence de découverte d’une libéralité sur le seul fondement d’une acceptation « dum vit ». - L’acceptation « dum vit », produit d’un nécessaire accord de volonté entre le souscripteur et le bénéficiaire, peut très bien ne pas être motivée par une intention libérale de l’un envers l’autre mais par bien d’autres motifs, tels que notamment la volonté de mettre en place un contrôle par le bénéficiaire acceptant de la consommation de son épargne par le souscripteur prodigue10. Ainsi, une sœur contrôlera, grâce à son rôle de bénéficiaire acceptante, que les capitaux reçus dans la succession de ses parents par son frère prodigue et célibataire, souscripteur et assuré du contrat d’assurance-vie sur lesquels les fonds hérités ont été placés, ne soient trop rapidement consommés par ce dernier. Pourra, par exemple, être programmé un rachat trimestriel que n’altérera pas l’acceptation « dum vit » faite par la sœur dont l’accord ne sera nécessaire que pour autoriser les « grosses dépenses » envisagées par son frère. On ne voit pas bien, dans un tel schéma, où déceler l’intention libérale ? 11. - L’élément matériel de la libéralité n’est, lui aussi, nullement caractérisé par la seule acceptation « dum vit ». En effet, même sans la prévision de rachats programmés par le contrat, l’acceptation « dum vit » laisse entière la possibilité que le bénéficiaire acceptant donne son accord d’une manière ponctuelle ou générale, dans l’acte d’acceptation ou postérieurement, à des rachats effectués par le souscripteur11. Or, tant que le bénéficiaire peut autoriser le souscripteur à exercer sa faculté de rachat, il ne peut pas y avoir de dépouillement irrévocable. Il a ainsi pu être dit qu’« il ne peut y avoir dépouillement que si le souscripteur est privé d’un droit et non simplement de son exercice »12. La Cour de cassation a d’ailleurs jugé que, dans le cadre du régime antérieur à l’intervention du législateur du 17 décembre 2007, une clause subordonnant le rachat à l’accord du bénéficiaire acceptant ne permet pas d’établir la renonciation expresse de son auteur au droit de racheter13.
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