La revue fiscale du patrimoine

STRATÉGIE INTERNATIONALE 62 ce qui se passe en aval de nos chaînes de valeur ». Pour autant, la notion présente encore un certain flou qui devra donner lieu à des précisions dans les lignes directrices, ce qui laisse regretter que la proposition n’ait pas adopté la terminologie des standards internationaux tels les principes de l’OCDE qui font référence aux relations d’affaires ou les principes des Nations Unies et la déclaration tripartite de l’OIT qui font référence aux relations commerciales. 16. - S’agissant ensuite du contenu précis des obligations de vigilance, c’est là encore une vision plus large que celle retenue par le droit français qui est promue. Abandonnant l’exigence française de l’atteinte grave, le texte prévoit que les entreprises cartographient les impacts négatifs, actuels ou potentiels, de leurs activités et de celles de leurs sous-traitants et fournisseurs, en matière de droits humains et de protection de l’environnement. Toutefois, l’article 2 relatif aux définitions renvoie pour la compréhension des violations aux droits humains et des atteintes à l’environnement au respect de certaines conventions internationales citées dans l’annexe de la proposition de directive. À l’instar de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, on peut s’interroger sur le sens de cette démarche qui consiste à viser seulement certains textes en procédant à des oublis importants, tels l’absence de référence à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales26. À cet égard, il conviendrait de trouver un juste équilibre entre la sécurité juridique attachée à une délimitation précise de ces enjeux par le renvoi aux conventions internationales et une certaine flexibilité offrant au texte l’aptitude à saisir de nouveaux enjeux lorsqu’ils se présenteront27. De plus, la proposition prévoit que les entreprises doivent associer les parties prenantes à l’exercice de cartographie (article 6, 4°). Si c’est une vision extensive des parties prenantes qui est retenue, comprenant toute personne, groupe ou communauté dont les droits peuvent être affectés par les produits, services ou opérations de l’entreprise, de ses filiales ou de ses relations d’affaires (article 3, n), la forme de l’association des parties prenantes demeure très floue, ce qui laissera aux entreprises une très grande liberté sur le sujet, qui toucherait presque à une forme de discrétion. 17. - Au-delà de la cartographie, les entreprises doivent instaurer des mesures de prévention et de réduction des atteintes, dont elles devront mesurer régulièrement l’efficacité et qu’elles devront rendre publiques. Ces mesures, proches de celles issues de la loi française, sont néanmoins plus détaillées : il s’agit de prévenir, ou atténuer lorsque la prévention est impossible, et mettre fin aux incidences négatives potentielles qui ont été ou auraient dû être identifiées. On retrouve là les piliers classiques de la compliance qui reposent sur six mécanismes, conformément au guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour la conduite responsable des entreprises : au-delà de l’intégration du devoir de vigilance dans les politiques de l’entreprise, cartographier les risques, prendre des mesures appropriées pour prévenir la réalisation des risques, apprécier l’efficacité des mesures, instaurer une procédure de réclamation et rendre publique la démarche. 18. - Un point particulier d’attention devra être porté à la façon dont les entreprises vont faire ruisseler leurs obligations de vigilance sur les entreprises avec lesquelles elles entretiennent des relations d’affaires. En effet, les sujets de compliance peuvent parfois être appréhendés dans une logique de pure conformité qui leur est pourtant, en réalité, presque antinomique. Alors même que l’esprit des normes est d’encourager un engagement sincère et responsable des entreprises, ces dernières peuvent avoir le souci de se 26  CNCDH, Déclaration pour une directive ambitieuse de l’Union européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits de l’homme et d’environnement dans les chaines de valeur mondiales, 24 mars 2022, n° 10. 27  Ainsi en est-il de l’enjeu de la déforestation importée qui n’est apparu qu’assez récemment. 28  M. Mekki, Contrat de devoir de vigilance, in dossier spécial Le big Bang des devoirs de vigilance ESG : les nouveaux enjeux RSE et de droits de l’homme : RLDA 2015/104, n° 5589. - Y. Queinnec et S. Mac Cionnaith, La clause RSE, levier incontournable de vigilance : RLDA 2018/139, n° 6499. - Y. Queinnec, Le contrat durable, pour une conciliation contractuelle effective des enjeux économiques, sociaux et environnementaux : AJCA 2020, p. 121. 29  CNCDH, Déclaration pour une directive ambitieuse de l’Union européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits de l’homme et d’environnement dans les chaines de valeur mondiales, 24 mars 2022, n° 16. prémunir de leur éventuelle responsabilité par un accomplissement presque mécanique des dispositifs, dans une logique tick the box comme disent les Anglo-Saxons ! À cet égard, des dispositions du projet relatives aux moyens par lesquels les entreprises peuvent mettre en place leurs démarches de vigilance chez leurs sous-traitants et fournisseurs font référence à l’outil contractuel. Cependant, le contrat, par lequel les entreprises soumises au devoir de vigilance exigeraient de leurs contractants qu’ils respectent de telles normes28, ne pourra en aucun cas se substituer à d’autres démarches et établir à lui seul le bon respect par l’entreprise de ses obligations de vigilance qui l’exonérerait de sa responsabilité. Attention à l’acceptation d’une simple conformité contractuelle qui serait tout à fait insuffisante, il ne s’agit nullement que les entreprises « sous-traitent » leurs obligations de vigilance aux entreprises de rang 129. 19. - Enfin, de manière très novatrice, la proposition de directive prévoit que les entreprises devront mettre en place des procédures de médiation et prendre en charge l’indemnisation des victimes dont les dommages auraient été causés par l’insuffisance des mesures de vigilance (article 9 de la proposition). Ces procédures de médiation seraient très largement ouvertes : syndicats de travailleurs, ONG actives dans l’un des territoires compris le long de la chaîne de valeur, toute personne affectée ou ayant le sentiment légitime d’être affectée par une incidence négative des activités de l’entreprise, de ses filiales ou des sous-traitants et fournisseurs. Cela représente un progrès significatif pour les potentielles victimes mais il conviendra d’être très attentif à ce que les instances de médiation soient impartiales et aient la possibilité de recourir à des rapports indépendants pour apprécier le comportement de l’entreprise. Le fait que les entreprises doivent inscrire cette faculté dans une procédure bien encadrée sera de ce point de vue un gage de réussite du procédé. En outre, il faudra être attentif à l’articulation de cet outil avec des mécanismes déjà présents, tel en particulier la procédure de saisine du Point de contact national (PCN) dans le cadre d’une violation des principes de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. 20. - Au-delà de cette obligation, la proposition de directive renforce avec vigueur le contrôle et les sanctions attachés aux obligations de vigilance. La proposition de directive s’autorise une forme d’application extraterritoriale à des sociétés qui ne sont pas immatriculées sur le territoire européen 3. Une volonté affirmée de rendre effectif le devoir de vigilance des entreprises par le renforcement du contrôle et des sanctions 21. - Il apparaît clairement que la proposition de directive porte une forte attention à l’effectivité des mesures exigées des entreprises par un renforcement du contrôle et des sanctions au regard de la loi française. A. - L’instauration d’une autorité de contrôle de la mise en œuvre des obligations par les entreprises 22. - Suivant le modèle allemand, la proposition de directive fait le choix d’instaurer une autorité nationale de contrôle du bon accomplissement des

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