La revue fiscale du patrimoine

STRATÉGIE SOCIÉTAIRE 50 suivre leurs engagements climatiques. Si des fournisseurs traditionnels de données financières figurent dans la liste de ces organismes tiers (par exemple, Bloomberg, MSCI, ISS), il est plus remarquable d’y retrouver des ONG, dont Urgewald, déjà connue des spécialistes du domaine pour établir annuellement une Coal Exit List (CEL) qui faisait référence et qui a décliné sa méthodologie à l’ensemble des producteurs d’énergies fossiles afin d’établir une Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) révélée à l’occasion de la COP 26 de Glasgow, qui s’est tenue à l’automne dernier. C’est à ce jour la liste la plus exhaustive couvrant ce secteur (887 entreprises représentant environ 95 % de la production de pétrole et de gaz) et mise à la disposition de la communauté financière ; il est remarquable de constater que des régulateurs financiers nationaux renvoient à celle-ci et regrettent que les opérateurs du marché bancaire et financier ne s’y réfèrent encore que trop peu (ACPR/AMF, Deuxième rapport commun ACPR/AMF – Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, déc. 2021, p. 6). Les deux enseignements principaux de ce rapport commun aux superviseurs financiers français sont évidents : intensifier la décarbonation des portefeuilles d’actifs des acteurs financiers français et renforcer la coordination afin que cette communauté adopte enfin des définitions et des périmètres communs qui puissent permettre à la fois d’évaluer les expositions respectives de ces acteurs les uns par rapport aux autres et de mesurer dans le temps leur sortie véritable du secteur des énergies fossiles. Il est indéniable que la qualité, la robustesse, la précision et l’exhaustivité des informations en provenance des émetteurs clients des institutions financières ou dans lesquelles ces dernières investissent devraient, à moyen terme, contribuer substantiellement à faciliter le travail de reporting des opérateurs financiers. À cet égard, la lecture du « Panorama financier et extra-financier du reporting carbone des entreprises » élaboré par l’AMF (AMF, Panorama financier et extra-financier du reporting carbone des entreprises, déc. 2021) constitue un complémentaire incontournable. S’inscrivant dans la continuité des quatre rapports déjà consacrés par l’AMF à la Responsabilité sociale et environnementale des entreprises depuis 2010, ce nouvel opus établit classiquement, à partir d’un échantillon d’entreprises sélectionnées en raison de leur sensibilité au réchauffement climatique, un état des lieux du reporting extra-financier des entreprises, pointe certaines lacunes dans celui-ci au regard du cadre réglementaire existant et promeut un certain nombre de bonnes pratiques qui devront se généraliser, surtout au regard de l’adoption prochaine du nouveau cadre européen de reporting en termes de durabilité des activités économiques. Précisément, le rapport se concentre sur trois sujets : les indicateurs quantitatifs liés au climat et, en particulier, les informations fournies par les entreprises dans leur déclaration de performance extrafinancière sur leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) ; les informations communiquées par les entreprises en ce qui concerne leurs engagements de neutralité carbone, pour celles qui en ont pris ; enfin, les incidences comptables et les informations en lien avec le climat présentées dans les états financiers des entreprises. Il ressort de cette étude quelques messages clés à destination de l’ensemble des émetteurs de la place financière de Paris : •  la qualité du reporting implique que les émetteurs contraints de collecter, produire et diffuser des informations en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) le fassent sur la base de périmètres clairs et parfaitement identifiés (par exemple, les GES ne comprennent pas que les émissions de CO2, quelques filiales ne sont pas le groupe, les protocoles utilisés doivent être identifiés – GHG protocol, norme ISO – les scopes d’émissions [scopes 1, 2 ou 3] doivent être bien identifiés et renseignés, de même que les secteurs d’activités concernés et les zones géographiques...) ; •  lorsqu’une société procède à des exclusions (par exemple, les émissions de GES du scope 3), celles-ci doivent être justifiées et ne pas conduire à remettre en cause la pertinence des informations livrées ; •  les objectifs de neutralité carbone à une certaine échéance de temps ne doivent pas servir de slogans mais être accompagnés, lorsqu’ils sont référencés, de calendriers et de données quantitatives précises quant aux réductions d’émission de GES ; •  les risques physiques liés au changement climatique doivent être systématiquement indiqués et quantifiés, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle ; •  la compensation carbone ne doit pas servir de recours facile pour satisfaire des objectifs de neutralité qui se dispenserait de fournir de véritables efforts en termes de réduction des émissions de GES ; il ne devrait être recouru au concept de compensation que pour les émissions résiduelles qu’un émetteur ne pourrait émettre en dépit de ses efforts et de la technologie existante ; •  trop peu d’informations liées aux impacts du changement climatique sur les émetteurs font l’objet d’une traduction dans les états financiers de ces derniers. Beaucoup reste donc à faire du côté des émetteurs en termes de reporting extra-financier, et principalement dans le domaine climatique alors même qu’ils sont à l’origine des informations qui vont ensuite être reprises par l’ensemble de la communauté financière à la fois à des fins économiques et réglementaires. Et pourtant le temps presse : au regard du climat, certes ; mais aussi, au regard de l’évolution de la réglementation. D’abord parce que depuis le 1er janvier 2022, en application de l’article 8 du règlement « Taxinomie », les sociétés non financières cotées d’une certaine taille (lorsque leur nombre moyen de salariés sur l’exercice excède 500, leur total de bilan est supérieur à 20 M € ou leur chiffre d’affaires est supérieur à 40 M €) doivent publier des indicateurs de durabilité (V. cette chron., RD bancaire et fin. 2021, comm. 86 et RD bancaire et fin. 2021, comm. 172, nos obs.). Ensuite, et comme nous l’avons déjà mentionné dans ces colonnes (RD bancaire et fin. 2021, comm. 172, nos obs.), la proposition de révision de la directive 2014/95/UE, dite « NFRD », pour qu’elle devienne la Corporate Sustainable Reporting Directive, qui intégrera largement les « lignes directrices relatives aux informations en rapport avec le climat » (Comm. UE, Lignes directrices sur l’information non financière : Supplément relatif aux informations en rapport avec le climat : Doc. COM (2019) C 209/01, 20 juin 2019. – V. cette chron., RD bancaire et fin. 2019, comm. 180, nos obs.) qui, elles-mêmes, intégraient les recommandations de la Taskforce on climate-related financial disclosures (TCFD), va aboutir en 2022. Dans le cadre de cette mutation, les entreprises assujetties devront mentionner au sein de leur rapport de gestion des éléments d’informations non financières pertinentes, loyales, exhaustives, dignes de confiance selon des normes de durabilité européenne qui seront prochainement adoptées par la Commission européenne en qualité d’acte délégué. L’EFRAG a été missionné pour élaborer ces standards. Le groupe de travail de l’EFRAG réuni pour penser ces normes en matière de lutte et d’adaptation au changement climatique a rendu public son document de travail (EFRAG, Climate standard prototype –Working paper). Présenté dans le cadre d’une assemblée plénière du « Project Task Force on preparatory work for the elaboration of possible EU non-financial reporting standards », ce document de travail donne déjà une idée assez précise du degré d’exigence qui va bientôt être requis des sociétés cotées en Europe et, demain, des principales sociétés non financières. Il est divisé en trois sections : •  la première est consacrée à la stratégie de l’émetteur (climat et stratégie d’affaires, impacts climatiques en termes de risque et de stratégie, gouvernance du changement climatique) ; •  la deuxième à la mise en œuvre de la stratégie climatique de l’entité (politiques et stratégies ; actions et ressources consacrées) et ; •  la troisième et dernière au calcul de la performance (consommation d’énergie exprimée en volume et intensité ; émission de GES sur les scopes 1, 2 et 3 en valeur absolue et en intensité ; activités durables du point de vue de la taxinomie ; exposition financière de l’entité au risque climatique et de transition ; opportunités à saisir par l’entité du point de vue du changement climatique).

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