La revue fiscale du patrimoine

49 des émissions de gaz à effet de serre (GES), l’alignement avec les objectifs de l’accord de Paris, le financement ou l’assurance d’activités vertes, la sortie des énergies fossiles (la perte de la biodiversité n’étant pas citée), il reste qu’il demeure « difficile de recenser, de comparer et d’évaluer ces engagements qui ont des portées différentes et peuvent être mis en œuvre de manière plus ou moins ambitieuse par les établissements » (ACPR-AMF, Deuxième rapport commun ACPR/AMF – Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, déc. 2021, p. 5). En outre, si nombre d’engagements fixent un horizon temporel à ces engagements (2030, 2040, 2050...), l’observation permet de dresser bien souvent un procès-verbal de carence en matière de calendrier contraignant et de fixation de points de progression des engagements sur l’échelle de temps retenue. Par ailleurs, si nombre d’acteurs financiers n’hésitent pas à participer à des initiatives collectives nationales et/ou internationales, il apparaît qu’il est rarement précisé comment ces engagements sont articulés avec les initiatives individuelles des mêmes acteurs, de sorte que pareilles adhésions ou participations ne suffisent pas à « éclairer le contenu réel et l’état d’avancement des actions menées au sein de chaque institution » (ACPR-AMF, Deuxième rapport commun ACPR/ AMF – Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, déc. 2021, p. 5). Ces remarques générales se retrouvent lorsque les autorités de contrôle du secteur bancaire, assurantiel et financier concentrent leur examen sur l’attitude des acteurs de la place à l’égard des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) : si certaines mises à jour des politiques « charbon » ne se traduisent en réalité par aucune modification de cellesci (ACPR-AMF, Deuxième rapport commun ACPR/AMF – Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, déc. 2021, p. 29), globalement, les institutions financières renforcent, lentement (sortie définitive en 2030 pour les pays de l’OCDE et 2040 pour le reste du monde), tout en durcissant les critères et/ou seuils d’exclusion (encore que ces seuils soient très variables d’une institution financière à l’autre, allant de 10 à 30 % du CA des entreprises concernées) ; en revanche, les stratégies et les calendriers sont rarement précisés, rendant tout effort de comparaison difficile. De même, en matière de pétrole et de gaz, les politiques adoptées par les acteurs financiers (peu les banques) manquent de précision et couvrent souvent des périmètres différents ; ainsi, par exemple, le terme « financement » fréquemment employé peut, selon les cas, couvrir l’ensemble des produits et des services bancaires ou des marchés de capitaux connexes, ou non ; dans le même ordre d’idées, la référence aux activités commerciales concernées par les politiques « charbon » peut viser, selon les établissements, soit les principaux segments de la chaîne de valeur « charbon » (extraction, centrales thermiques), soit, de façon plus ambitieuse, son ensemble (intégrant également son transport, son commerce ou sa transformation). Plus largement, et en dépit des préconisations formulées en 2020 par l’ACPR et l’AMF lorsqu’elles se sont livrées pour la première fois à cet exercice, il ressort de l’analyse qu’il n’y a pas encore de consensus quant aux termes et aux périmètres retenus par les acteurs, de sorte que derrière des messages apparemment identiques se cachent des réalités très différentes. À titre d’exemple, la notion de « développeurs » de nouveaux projets dans le domaine du charbon, dont il conviendrait de cesser le financement et/ou l’assurance, ne fait pas l’objet d’une définition homogène ; dans le même ordre d’idées, certaines banques excluent le financement de tout nouveau projet de centrale à charbon quand d’autres n’excluent le financement de ces mêmes centrales que si elles ne sont pas équipées de dispositifs de capture et de stockage du CO2 émis. Plus encore, alors même que les efforts des acteurs financiers quant à la réduction de leur exposition aux énergies fossiles se concentrent essentiellement sur les « énergies fossiles non conventionnelles » (jargon qui n’est pas sans rappeler celui que l’on retrouve dans le domaine de l’armement), la notion même d’« énergies fossiles non conventionnelles » n’est pas strictement définie et continue d’être discutée (« l’essentiel de la difficulté tient aujourd’hui aux profondes divergences méthodologiques qui existent entre les acteurs mais également à l’absence de définitions officielles consensuelles de certains concepts [ainsi, les énergies non conventionnelles] » : ACPR-AMF, Deuxième rapport commun ACPR/AMF – Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, déc. 2021, p. 6). Selon le comité scientifique de l’Observatoire de la finance durable (Observatoire de la finance durable, Recomm. du Comité scientifique et d’expertise portant sur les hydrocarbures non conventionnels et les stratégies d’alignement, 22 sept. 2021, p. 10), cité par le rapport commun des deux autorités, les énergies fossiles non conventionnelles comprennent le gaz de couche ou gaz de charbon (coal bed methane), le pétrole et gaz de réservoir compact (tight oil and gas), les schistes bitumineux et l’huile de schiste (oil shale/shale oil), le gaz et l’huile de schiste (shale gas), le pétrole issu de sables bitumineux (oil sand), le pétrole extra-lourd (extra heavy oil), les hydrates de méthane (gas hydrates) et, par extension, « le pétrole et gaz offshore ultra profonds ainsi que les ressources fossiles pétrolières et gazières dans l’Arctique » (zone pour laquelle TotalEnergies a bouclé un financement de près de 10 milliards d’euros pour une nouvelle zone de forage de gaz, financement auquel les pouvoirs publics n’ont pas apporté leur garantie export et auquel aucune banque commerciale française n’a pris part). Or, à l’égard de ces énergies « non conventionnelles », les attitudes des acteurs financiers sont extrêmement variables, allant de l’exclusion pure et simple à des exclusions partielles (par exemple, exclusion des seules énergies fossiles issues des sables bitumineux). Ce point, ajouté à l’observation faite que les institutions financières ne retiennent pas toutes la même segmentation de la chaîne de valeur de cette industrie (extraction, transport, stockage, transformation, distribution, consommation...) dans le périmètre de calcul de leur exposition, conduit les autorités à reconnaître que les données transmises sont fragiles et les biais nombreux. Dès lors, l’une des recommandations phare de ce deuxième rapport consiste logiquement en une invitation adressée aux institutions financières afin qu’elles intensifient leurs travaux en vue de prendre en compte « de façon plus robuste, plus transparente et plus homogène leurs expositions aux énergies fossiles », ainsi qu’à prendre en compte « l’intégralité de la chaîne de valeur ainsi que celle du périmètre d’affaires le plus large possible » (ACPR/AMF, Deuxième rapport commun ACPR/AMF – Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, déc. 2021, p. 6) pour mesurer aussi précisément et réellement que possible leur exposition au secteur des énergies fossiles. Ce terrain encore meuble se retrouve à l’analyse des engagements des institutions financières en matière de politique d’accompagnement des clients et d’engagement actionnarial : déficit de formalisation de ces politiques, rareté des politiques d’escalade (discussions, campagne, cession de titres...) que pourraient mettre en œuvre les acteurs face à une entreprise qui ne respecte pas ses engagements, déficience des formations des collaborateurs et des informations apportées aux clients. Plus fondamentalement, si les enjeux climatiques semblent émerger dans les politiques d’engagement actionnarial des sociétés de gestion, il apparaît que ceux-ci ne constituent pas (encore) un axe majeur des actions d’engagement et de vote des SGP ; cela pourrait cependant évoluer rapidement dès lors que certains organismes promeuvent l’institutionnalisation du « say on climate » (V. FIR, Un livre blanc pour des transitions justes – 22 propositions pour 2022, déc. 2021. – V. déjà, O. Laffitte et A. Masse [FIR et Terra Nova], Le « Say on Climate », une solution urgente et pragmatique, avr. 2021) et que des conseillers en droit de vote de premier plan l’ont intégré pour la première fois dans leur politique de vote pour les assemblées générales qui se tiendront en 2022 (V. Institutionnal Shareholder Services, ISS benchmark policy updates, déc. 2021, p. 6). Au total, il ressort de ce deuxième rapport commun aux autorités de surveillance des marchés financiers français que si la mobilisation de la Place de Paris en matière d’engagements climatiques est indubitable, il n’en demeure pas moins que les « niveaux d’ambition restent encore hétérogènes d’un acteur à l’autre » (ACPR/AMF, Deuxième rapport commun ACPR/AMF – Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place, déc. 2021, p. 6) et que la fiabilité et la comparabilité des données utilisées et publiées nécessiteront encore des efforts. À cet égard, l’on relèvera que les acteurs financiers ont recours à de nombreux organismes tiers, qu’il s’agisse de sociétés commerciales ou d’associations, pour obtenir des informations leur permettant de mettre en œuvre et de

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