La revue fiscale du patrimoine

STRATÉGIE SOCIÉTAIRE 46 la politique anticorruption2, qui reprenaient les recommandations de ce rapport. Un pas supplémentaire vers la consécration de nouveaux droits de la défense a par la suite été franchi par le dépôt, le 19 octobre 2021, d’une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption3. Cette proposition de loi prévoit de manière très complète : • la notification de l’audition dans un délai raisonnable ; • l’information de la personne concernée de la durée maximale de l’audition, de son caractère non-coercitif, du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire, du droit à un avocat et à un interprète ; • la rédaction d’un procès-verbal d’audition ; • la possibilité de formuler des observations écrites ; •  la possibilité de demander à consulter les éléments du dossier la concernant directement ; et, • l’information des personnes soupçonnées de la clôture de l’enquête. La proposition de loi - qui n’est pas encore inscrite à l’ordre du jour du Parlement - constitue une avancée considérable pour les droits de la défense des personnes physiques visées par des enquêtes internes, bien qu’elle ne transforme naturellement pas l’enquête interne en véritable enquête contradictoire. Il est ainsi à noter que la personne physique suspectée demeure toujours tenue à « bonne distance » du d’enquête effectué par la personne morale qui servira souvent de socle aux discussions relatives au recours à une éventuelle CJIP. Si une telle situation semble s’apparenter à celle que subit tout prévenu à l’issue d’une enquête préliminaire à travers l’absence d’accès à la procédure, deux différences majeures existent : • Tout d’abord, l’autorité judiciaire est supposée être impartiale alors que la personne morale poursuit de manière parfaitement logique la satisfaction de son seul intérêt, qui peut bien sûr potentiellement s’opposer à celui de la personne physique. • Par ailleurs, aux termes de l’article 77-2 du Code de procédure pénale, toute personne contre laquelle il existe des soupçons a la possibilité, de plus en plus fréquente, de livrer son analyse complète à la fin de l’enquête préliminaire, ce qui n’existe pas en matière d’enquête interne. Au regard de ces difficultés, ne faudrait-il pas permettre à une personne physique suspectée dans le cadre d’une enquête interne de pouvoir réagir aux conclusions de celles-ci ou, à tout le moins, lors des discussions au sujet du recours à une éventuelle CJIP, de présenter ses observations ? La jurisprudence récente en matière de corruption apporte également certaines nouveautés au sujet de la responsabilité pénale des personnes physiques, utiles non seulement dans le cadre de la défense d’un salarié, mais également en cas d’accompagnement dans une enquête interne, dans la mesure où elles permettent de mieux estimer la réalité du risque pénal auquel cette personne est effectivement exposée en France et, partant, d’ajuster sa stratégie. 2  V. AN, rapp. inf. n° 4325, 7 juill. 2021, sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 ». 3  V. AN, prop. de loi n° 4586, 19 oct. 2021, visant à renforcer la lutte contre la corruption. 4  Cass. crim, 16 juin 2021, n° 20-83.098 : JurisData n° 2020-020658 ; Rev. int. Compliance 2021, comm. 220, E. Russo. 5  CA Paris, pôle 5, ch. 13, 15 mai 2020, n° 18/03310 : JurisData n° 2020-023107. 6  CA Paris, pôle 5, ch. 13, 7 janv. 2015, n° 12/08695. 7  Cass. crim., 14 mars 2018, n° 16-82.117 : JurisData n° 2018-003623 : Rev. int. Compliance 2018, comm. 69, A. Mignon Colombet. 2. Enseignements à tirer des évolutions jurisprudentielles et légales A. - L’importance du pouvoir décisionnel et de l’autonomie de la personne physique dans la mise en place d’une politique de groupe De manière assez nette, un traitement spécial est réservé par la jurisprudence aux salariés ne disposant pas de mandat au sein de la société, même lorsque ceux-ci sont des cadres supérieurs. Ainsi, notamment, dans un arrêt du 16 juin 20214, la Cour de cassation a suivi le raisonnement de la cour d’appel de Paris qui avait relaxé deux salariés de la société Alcatel-Lucent du chef de complicité de corruption d’agent public étranger, constatant l’existence d’une organisation complexe mise en place par la société, qui constituait l’expression d’une politique du groupe. La cour d’appel avait relevé, en particulier, qu’une telle organisation avait abouti à une dilution volontaire des responsabilités dans le recours à des consultants à l’étranger, ce dont témoignait, selon elle, l’« attitude purement passive dans l’exercice de leurs missions » des prévenus salariés5. De manière similaire, quelques années plus tôt, par une décision du 7 janvier 20156, la cour d’appel de Paris avait confirmé la relaxe de deux cadres de la société Sagem, considérant que les prévenus ne disposaient pas d’une autonomie suffisante pour engager la société et agissaient pour le profit exclusif de l’entreprise. L’autonomie d’un ingénieur commercial poursuivi avait, en particulier, été qualifiée par les juges de première instance d’autonomie de fait, donc très relative. S’agissant des salariés, la jurisprudence attache donc, depuis quelques temps, une attention toute particulière à l’exigence de caractérisation de l’élément intentionnel des faits en matière de corruption. Il est rappelé que la situation des dirigeants ayant volontairement participé à un tel schéma, demeure, elle, différente, comme cela est illustré par l’arrêt du 14 mars 20187, rendu dans l’affaire dite « Pétrole contre Nourriture », dans lequel la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’un directeur trading shipping du chef de complicité de corruption d’agent public étranger en soulignant son pouvoir décisionnel effectif et la possibilité qu’il avait, en particulier, de s’opposer à l’acquisition du pétrole irakien dès lors qu’il siégeait à la fois au Comex (qui arrêtait la stratégie du groupe et auquel étaient soumis, pour décision, tous les investissements importants) et au conseil d’administration de la société. Dans cette décision, la Cour allait cependant bien plus loin en reprochant au dirigeant de s’être abstenu de mettre en place un système de contrôle interne susceptible de détecter ce type de comportement dès lors qu’il avait connaissance de l’existence des surcharges et de leurs bénéficiaires dès son arrivée. B. - Une responsabilité de la personne morale pour les faits des salariés en matière de corruption ? La proposition de loi du député Raphaël Gauvain prévoit en son article 8 de créer un principe selon lequel « Les personnes morales sont également responsables pénalement lorsque le défaut de surveillance de leur part a conduit à la commission d’une ou plusieurs infractions par l’un de leurs salariés ».

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