STRATÉGIE FISCALE 36 engagées par les grands groupes pour justifier leur contribution à l’économie43. Ces dépenses sont une forme de prime d’assurance, donnant une idée de la valorisation du risque assuré ou de la perception du risque assuré. Si la réputation n’avait pas de valeur financière aucun investissement ne serait fait de manière coordonnée et massive y compris par des acteurs traditionnellement éloignés de ces préoccupations tels que par exemple les GAFAs. 52. - En dehors de cette théorie assurantielle, il existe d’autres éléments qui permettent de fonder une valorisation de la réputation fiscale. 4. Éléments de valorisation objective : analyse constructive A. - Tentative de prise en compte de l’élément déclaratif ou médiatique 53. - L’élément public déjà évoqué dans une approche assurantielle est essentiel pour comprendre la problématique. Il est renforcé par les régimes déclaratifs qui s’étendent de plus en plus. Le secret de la chose fiscale n’est plus assuré. Il est donc désormais objectivement obligatoire de s’interroger sur les effets sur le marché de la perception vis-à-vis de la stratégie fiscale. 54. - Avec la généralisation de règles de Fin 48 aux États-Unis (logique désormais étendue aux IFRS) et leur application sans prendre en compte la probabilité d’être contrôlé, le système fiscal américain a mis en place un élément de partage de la réputation fiscale fondé sur des caractéristiques plus objectives et partagées. Il permet aussi de « mesurer » sa réputation fiscale en indiquant avoir la connaissance de ses agissements. 55. - L’objectif n’est pas de mettre un terme à la gestion des coûts fiscaux de manière stricte, mais de retirer l’élément d’incertitude liée à la probabilité d’être contrôlé qui affecte le calcul de la valeur d’un effet négatif potentiel sur la réputation fiscale. C’est d’autant plus sain qu’il était en réalité impossible de prévoir l’occurrence des contrôles avec certitude et que l’évolution technologique rendrait une telle prévision encore plus incertaine. En effet, si la probabilité de ne pas être audité était prise en compte elle viendrait augmenter la valeur de l’optimisation (ou plutôt ne la réduirait pas), encourageant celle-ci de manière objective. L’évolution récente de la norme fiscale tendrait alors à modérer les optimisations agressives en diminuant leur valeur nette. 56. - On notera toutefois qu’une conclusion objective est parfois limitée par des observations empiriques qui laisseraient penser que les médias auraient tendance à survaloriser la réputation fiscale des agents peut-être aussi pour survaloriser leur rôle plus politique que technique44. Si cette survalorisation était les prémices d’un sur-intérêt du public, le valoriser du côté de l’entreprise aurait aussi un sens. 57. - Les événements récents nous semblent démontrer que la répercussion médiatique entraîne parfois des réactions des États surmédiatisées en comparaison avec l’effet financier avéré ou de la simple analyse financière objective que cette réputation négative peut avoir45. Dans certains cas, des 43 I. Couet, Impôts : ce que paient les grands groupes tricolores en France : Les Échos. Le sondage de l’Afep auprès de ses membres révèle que les grands groupes ont contribué à hauteur de 19 % de l’ensemble des prélèvements acquittés par les entreprises en 2020. Une proportion supérieure à leur poids dans l’économie française. 44 D. Kocieniewski, G.E.’s Strategies Let It Avoid Taxes Altogether 975: The New York times, March 24, 2011. - University of North Dakota UND Scholarly Commons Management Faculty Publications 9-2016, K. Campbell, Starbucks : Social Responsiblity and Tax Avoidance, University of North Dakota, katherine.campbell@UND.edu Duane Helleloid University of North Dak. 45 M. Ferrer, J. Baruch, M. Vaudano et A. Michel, OpenLux : entre les multinationales et le Luxembourg, l’histoire d’amour continue : Le Monde, 12 févr. 2021. - Le cas du contrôle de Google en France qui aurait été engagé à la suite d’un article de BLomberg de 2010 « Drucker (2011) reports that “two people with knowledge of the probe” said “the French inquiry was prompted by the October 2010 Bloomberg article on [Google’s] tax-cutting strategy”». 46 Commentaires d’E. Joly, Veolia économise un demi-milliard d’euros grâce à une planification fiscale agressive, 27 oct. 2017. 47 The Netherlands News Shell plans UK relocation, sparking Dutch outrage, published on Nov. 15, 2021. 48 S. Chen, K. Schuchard, B. Stomberg, Media Coverage of Corporate Taxes, The Accounting Review, 2019, 94 (5) : 83-116. Media Coverage of Corporate Taxes, 61 pages posted : 5 Nov. 2015, last revised : 12 Jul. 2018. 49 www.frenchsif.org/isr-esg/. structures sans effets fiscaux notoires sont soumises à débat médiatisé. Ainsi, par exemple, le cas de Véolia avait été débattu et relayé par les partis écologiques au niveau européen alors que la situation de Véolia était la conséquence de la mise en place d’une intégration fiscale, système absolument pas agressif et utilisé dans de nombreux pays par d’innombrables entreprises46. Ce type de risque ne nous semble pas devoir être valorisé dans la décision de mise en place d’une intégration fiscale. 58. - Il existe toutefois des exemples pour lesquels il semble que les médias ont eu pour effet que les optimisations envisagées n’ont pas été mises en place. Ainsi, la société Walgreen a décidé de ne pas procéder à une migration (« inversion ») établissant que les avantages fiscaux de 4Mi étaient inférieurs aux coûts réputationnels. On disposerait alors d’un élément objectif de valorisation. Notons que cette valeur est celle pour une entreprise donnée en fonction de son propre jugement. Au contraire, par exemple, l’opération de migration de la société Shell des Pays-Bas vers le Royaume-Uni décidée récemment n’a pas donné lieu à ce type d’attaque réputationnelle mais plutôt à des attaques contre le gouvernement néerlandais incapable de retenir cette entreprise historique. La différence de réaction est probablement liée à la culture de l’État victime de la stratégie fiscale47. L’effet des médias semble parfois plus reconnu par les dirigeants qu’empiriquement48. Ce qui est factuellement démontré, c’est l’augmentation de la réaction médiatique à ces questions et l’anticipation rationnelle que cela ne va pas diminuer dans un avenir proche, surtout au moment de la sortie de crise et la confrontation à la situation budgétaire. 59. - Les entreprises ont compris cette évolution. Cette anticipation a ainsi conduit au développement d’organismes soutenus par des groupes pour établir des normes objectives de mesure afin d’éviter les valorisations incontrôlées en réaction à une pression médiatique. On notera à cet égard l’exemple du B team organisation internationale de dirigeants engagés qui a lancé des Responsible tax Principles mais qui ne comprend qu’un nombre très limité de participants. On ajoutera aussi le GRI (Global reporting initiative) apparu fin 2019 pour proposer des normes de reporting fiscal qui pourraient être utiles aux investisseurs. Un autre exemple est celui du forum pour l’investissement responsable (FIR)49. Il s’agit pour le moment d’une stratégie assez similaire à celle de la RSE ou de codes de conduite qui se heurte donc aux mêmes questionnements, en particulier en ce qui concerne la prise en compte de la spécificité de la matière fiscale. B. - Approche proactive de la valorisation de la réputation fiscale positive 60. - En dehors des analyses mentionnées ci-avant qui nous paraissent démontrer l’importance du concept sans offrir de règles de valorisation mécaniques, ne doit pas être niée la prise en compte de la réputation fiscale qui s’insère dans une logique stratégique encouragée par les États et corrélativement leurs administrations fiscales. 61. - Pour ces États, la restriction des ressources, la nécessité de répondre aux exigences médiatiques dont ils sont parfois les victimes et la volonté d’envoyer un message clair ont entraîné une généralisation de la segmentation
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