La revue fiscale du patrimoine

STRATÉGIE FISCALE 34 30. - Force est de constater que les valorisations des géants du digital ne semblent pas avoir été affectées par ces questions. On devra toutefois s’interroger si la volonté récente de ces mêmes acteurs de trouver des accords en matière fiscale n’est pas guidée par une identification d’une évolution sur ce sujet. 31. - L’évolution récente pourrait laisser penser que ces acteurs évoluent vers une prise en compte plus importante de leur réputation fiscale. Il se pourrait en réalité que l’avantage offert par la mise en place d’optimisations agressives généralisées s’oppose, notamment en Europe, au droit de la concurrence et plus uniquement au droit fiscal classique. 32. - Ce ne serait pas que la réputation fiscale a désormais, pour ces acteurs, de la valeur. Ce serait que la valorisation croissante relative de la réputation fiscale est moins importante qu’au départ lorsque l’agressivité fiscale a permis la prise de contrôle de marchés naissant en éliminant des concurrents qui n’avaient pas les mêmes conditions fiscales favorables. On peut imaginer que désormais les coûts liés au risque réputationnel ont une importance plus grande qu’au départ (en particulier peut-être parce que certains GAFAs étaient globalement déficitaires fiscalement au départ). Au contraire, arrivés à une certaine maturité, l’augmentation de la fiscalité pour tous constitue un élément concurrentiel stratégique que les acteurs établis peuvent, dans certaines limites, digérer sans difficulté, empêchant la naissance de concurrents profitables pour qui les coûts fiscaux liés à la réputation seraient trop élevés. Cette interprétation se heurte à la mentalité disruptive du secteur du digital qui s’arrange souvent des coûts supportés par les concurrents plus traditionnels, utilisant au contraire cet évitement comme un avantage concurrentiel pour faire disparaître les acteurs traditionnels. On peut alors imaginer que deux catégories d’agents vont apparaître au sein de ce secteur : les agents établis qui considèrent que la réputation fiscale est un investissement (l’avancée technologique suffirait à permettre leur croissance) et les agents nouveaux qui auraient une volonté de non-valorisation de cette réputation à moyen terme au regard de l’enjeu à court terme concurrentiel lié à l’optimisation fiscale. L’évolution des acteurs serait alors fondée sur une transformation de l’enjeu réputationnel moyen terme en un enjeu court terme. 31  J. Gallemore, E. Maydew, J. Thornock, the reputational costs of tax avoidance, The Reputational Costs of Tax Avoidance Contemporary Accounting Research, vol. 31, n° 4, 2014 45 pages. Last revised : 28 sept. 2017. 32  T. Wang, Product Market Competition and Efficiency of Corporate Tax Management, Department of Accounting University of Texas at Austin 2018 Canadian Academic Accounting Association (CAAA) Annual Conference : https://ssrn.com/abstract=3102046. 33  M. Hanlon, J. Slemrod, What does tax aggressiveness signal ? Evidence from stock price reactions to news about tax shelter involvement, Journal of Public Economics 93, 2009, p. 126-141. 34  Thomas R. Kubick, Daniel P. Lynch, Michael A. Mayberry, Thomas C. Omer, Product Market Power and Tax Avoidance : Market Leaders, Mimicking Strategies, and Stock Returns, University of Nebraska - Lincoln The accounting review, vol. 90, n° 2 DOI : 10.2308/accr-50883 2015 p. 675-702. B. - Les fondements incertains d’une approche de nonvaleur 33. - Certaines études semblent démontrer que les questions de réputation fiscale n’exercent aucune influence sur la valorisation de ce risque lors de la mise en place d’une stratégie fiscale. Pire encore, cette conclusion serait fondée sur l’observation des risques encourus par les dirigeants ou même les commissaires aux comptes. Pour arriver à cette conclusion ont été analysés des échantillons d’entreprises. Selon certaines études, il ne semble pas y avoir de démonstration que les questions de réputation fiscale exercent une influence sur le risque personnel pour des dirigeants ou pour des commissaires aux comptes d’être révoqués31. Ces données semblent indiquer que les marchés ont en général une réaction immédiate de court terme vis-à-vis des entreprises dont la réputation fiscale est publiquement attaquée, mais que ces effets disparaissent avec le temps. De même, il n’y aurait pas d’évidence d’effet sur la réputation dans les médias à moyen terme. 34. - De manière générale, les analyses semblent démontrer que plutôt que le risque de réputation fiscale, ce serait la concurrence et la capacité sur son marché à trouver des relais de croissance qui influencerait le niveau de risque fiscal pris par les acteurs32. 35. - Par ailleurs, comme nous l’avons noté, l’effet pourrait varier en fonction des secteurs. Il est cependant difficile d’établir un lien en fonction des secteurs, la distribution semblant plus affectée, ce qui pourrait démontrer le risque d’une action des consommateurs lors d’annonces affectant la réputation fiscale33. 36. - Il faut cependant rester prudent car certaines études semblent démontrer que d’autres facteurs, comme la capacité à imposer un prix sur le marché34, influencent plus la stratégie fiscale et le niveau de risque que les risques réputationnels. 37. - Ce que démontrent ces analyses c’est que la réputation fiscale n’est pas en soit un élément essentiel systématique qui influence le choix de la stratégie fiscale. Nous pensons qu’en réalité il est un élément qui existe systématiquement de manière conjointe aux autres effets ou contraintes identifiés. C. - L’influence des données non directement financières 38. - Un observateur candide pourrait s’interroger sur la raison de l’importance de la communication sur ces sujets si l’effet sur la réputation elle-même reste difficile à démontrer de manière isolée. 39. - La première réponse est de rappeler que le montant dépensé en communication sur ce sujet n’est pas, selon nous, un élément financier objectif suffisant de valorisation de la réputation fiscale. Il peut s’agir en réalité en partie d’une communication institutionnelle. Le risque de « tax washing » à l’instar de la RSE existe. Dans ce domaine, la seule communication obligatoire instituée par certains états déclaratifs est d’une utilité relative quant à la valorisation de la réputation fiscale, la plupart de ces déclarations ne faisant que rappeler le respect des obligations légales en renforçant la contrainte de respect de l’esprit de la loi, ce que de nombreuses mesures anti-abus contiennent déjà.

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