STRATÉGIE FISCALE 26 l’imposition totale s’établit à 25,88 % : (100 × 15 %) + (100 – 15) × 12,8 % = 25,88 %. Au-delà de 38 120 €, le bénéfice imposable serait soumis à un IS de 25 %, l’imposition totale serait de 34,6 % : (100 × 25 %) + (100 – 25) × 12,8 % = 34,6 %. Ainsi, l’entrepreneur imposable dans la tranche marginale de 30 % aurait intérêt à conserver un bénéfice de 38 120 € versé en dividendes plutôt qu’en salaires tandis que celui imposable dans une tranche à 41 % aurait intérêt à prélever l’intégralité du bénéfice, dès la tranche taxable à 41 % atteinte, sous forme de dividendes imposable à 15 % ou à 25 %. 11. - La cerise sur le gâteau ! - L’entrepreneur individuel qui opte pour l’IS verra sa rémunération, déductible de l’IS, basculer de la catégorie des BIC, BNC ou BA vers la catégorie des rémunérations des gérants majoritaires dites article 62 du CGI qui impose celles-ci dans la catégorie des traitements et salaires. Elles pourront donc bénéficier, dans la limite de 128 290 € en 2021, d’un abattement forfaitaire de 10 % ou pour frais réels. Ainsi, et sans même optimiser sa rémunération, entre salaire et dividendes, l’entrepreneur qui opte pour l’IS bénéficiera mécaniquement d’une ristourne d’impôt sur le revenu de 10 %... 12. - Un dispositif anti-abus ? - Pour un entrepreneur individuel réalisant des bénéfices importants, supérieurs à la tranche marginale de 45 %, le gain en impôt apparaît comme substantiel puisqu’il permet de plafonner l’imposition marginale à 34,6 % au lieu de 45 % en basculant la rémunération qui atteint la tranche marginale de 45 % en dividendes. C’est donc plus de 10 points d’écarts d’imposition possible. On peut s’interroger sur la pérennité d’un tel avantage dans le temps. En effet, un dispositif limitant le bénéfice de la taxation forfaitaire de 12,8 % à 10 % du montant du capital social, remplacé pour l’EI par le bénéfice net, avait été envisagé par le Sénat lors de l’introduction de la flat-tax en 2017. La commission des finances avait écarté l’amendement sénatorial10 au motif que l’année 2018 devait être l’année blanche et que le risque de voir un contribuable basculer sa rémunération non imposable au titre de l’année blanche vers des dividendes imposables semblait assez faible. La crise des gilets jaunes puis celle du covid ont eu raison de la mise en place d’un dispositif anti-abus lors des années suivantes... mais pour combien de temps encore ? 13. - Mais pas en social. - Sur le plan social, la clause anti-abus a été introduite dès l’origine avec la limite de la taxation aux prélèvements sociaux de 17,20 % à hauteur de 10 % du bénéfice, ce qui rend l’arbitrage très limité en matière sociale. Il faut par contre intégrer que si une optimisation sur le plan fiscal est sans conséquences sur les droits acquis (retraite, prévoyance...), il n’en est pas de même en matière sociale et ce qui est perçu parfois comme une « économie » n’est en général qu’un arbitrage : « je préfère une rémunération immédiate soumise à prélèvement social de 17,2 % sans aucun droit acquis plutôt qu’une taxation aux charges sociales à 50 % environ dans la limite d’un plafond, 35 % dans la limite de quatre plafonds et 20 % au-delà me permettant d’acquérir des droits futurs ». 14. - Le taux et l’assiette. - L’option à l’IS de l’entrepreneur individuel est sans impact en matière d’assiette d’imposition pour l’artisan, l’agriculteur ou le commerçant dont le bénéfice est déterminé selon les règles des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou des bénéfices agricoles (BA) qu’il soit imposable à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, puisque les dispositions relatives à l’assiette de l’IS, comme certaines applicables aux BA, 10 Amendement I-625 du Sénat au PLF 2018 : www.senat.fr/enseance/2017-2018/107/Amdt_I-625.html prévoyant que « pour les salariés dirigeants et cadres possédant plus de 10 % des droits de vote d’une société, le bénéfice du prélèvement forfaitaire serait plafonné à la fraction du rendement en capital considéré comme « normal », c’est-à-dire dans la limite de 10 % du capital investi. Cette option, retenue par la Suède, s’inspire d’une disposition qui existe déjà en droit fiscal français avec le traitement des titres non cotés logés dans un plan d’épargne en actions (PEA) : les produits et plus-values ne bénéficient de l’exonération d’impôt sur le revenu que dans la limite de 10 % du montant des placements. Dans le cas particulier des travailleurs indépendants, le bénéfice du prélèvement forfaitaire unique serait plafonné à la part du revenu n’excédant pas 10 % du capital social et du compte courant d’associé. Là encore, une telle mesure n’a rien d’inédit et trouve une source d’inspiration dans les dispositions actuellement en vigueur en matière de cotisations sur les distributions de dividendes aux travailleurs indépendants : les distributions de dividendes des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés au profit des travailleurs indépendants sont soumises aux cotisations du régime social des indépendants (RSI) pour la part dépassant 10 % du capital social et du compte courant d’associé. » 11 Avocat honoraire, ancien associé de CMS Francis Lefebvre Avocats, président d’honneur de l’Association des avocats conseils d’entreprises, ancien président de l’Institut des avocats conseils fiscaux et membre du Cercle des fiscalistes, avis d’expert EFL 4/02/2022 Tribune – Les pièges de l’option du travailleur indépendant pour l’impôt sur les sociétés. renvoient à l’article 38 du CGI. Il n’en est pas de même pour un titulaire de bénéfices non commerciaux (BNC) donc l’assiette d’imposition, sauf option pour une imposition sur la base des créances et des dettes (comptabilité d’engagement), est déterminée en recettes/dépenses (comptabilité de trésorerie).Ainsi un avocat, un expert-comptable, un architecte devra déterminer son résultat en intégrant notamment dans ses revenus ses créances clients, augmentant ainsi, l’année de l’option, le montant de son résultat. En outre, les règles en matière d’impôt sur les sociétés imposent la tenue d’une comptabilité plus complexe – et donc plus coûteuse – que pour des BNC. 15. - Arrêt et transfert d’activité. - Si l’arrêt d’activité d’une entreprise individuelle n’engendre aucune fiscalité (les bénéfices ont déjà été taxés), la cessation d’activité d’une entreprise individuelle ayant opté pour l’IS entraînera la taxation des réserves et des bénéfices non distribués en revenus imposables à l’imposition forfaitaire et, au-delà de 10 % du bénéfice, aux charges sociales des TNS. Selon Jean-Yves Mercier11 « En l’état du dispositif qui vient d’être adopté, l’entrepreneur auteur de l’option devra supporter les charges qui grèvent la dissolution d’une société dans des circonstances aussi diverses que la cessation de son activité, fût-elle contrainte [comme en cas de décès], la cession de son entreprise ou son regroupement avec des intervenants extérieurs. ». Il reste donc, en effet, à attendre que le législateur puisse prévoir que « l’entrepreneur assujetti à l’impôt sur les sociétés soit reconnu fondé à apporter son entreprise individuelle à une société elle-même assujettie à cet impôt sans être considéré comme s’étant approprié les réserves de son entreprise ». 16. - Demain, tout entrepreneur individuel à l’IS ? - Meilleure protection du patrimoine qu’en SARL, option à l’IS permise sans les contraintes d’une société (statuts, tenue des AG...), plus faible taxation des revenus en matière sociale avec le régime TNS par rapport au régime assimilé salarié des SAS, les créations d’entreprises au lendemain du 15 mai seront-elles toutes en entreprise individuelle lorsque l’entrepreneur se lance seul ? L’avenir nous le dira mais le succès de la SAS qui représente aujourd’hui plus de 50 % des créations d’entreprises, hors auto-entrepreneurs, ne devrait pas disparaître du jour au lendemain. En effet, ce statut permet de combiner le maintien de l’allocation de retour à l’emploi (l’ARE, l’indemnité chômage) tout en créant une entreprise dès lors que le créateur ne perçoit aucune rémunération. La perception de dividendes éventuels ne remet pas en cause le maintien de l’ARE. En outre, zéro salaire implique zéro charge dans ce statut contrairement au statut TNS qui génère automatiquement un minimum de cotisations même en l’absence de revenus. Si la création d’entreprise, pour le maintien de l’ARE, se fait en SAS, le retour vers le statut d’entreprise individuelle semble bien plus compliqué, voire impossible en pratique, que le passage en SARL lorsque l’entrepreneur souhaite, une fois son activité lancée et/ou ses droits à l’ARE épuisés, percevoir une rémunération TNS et non un salaire bien plus coûteux. Enfin, l’absence de dispositif permettant de faire évoluer l’entreprise individuelle à l’IS vers une SARL ou une SAS à l’IS en franchise fiscale reste un frein réel à l’heure actuelle qui, selon toute logique, devrait être, nous l’espérons, prochainement levé.
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