STRATÉGIE FISCALE 24 Si le régime favorable de la limitation de la responsabilité des entrepreneurs individuels s’appliquera de plein droit, la possibilité ouverte aux trois millions d’entreprises individuelles d’opter pour l’impôt sur les sociétés va nécessairement créer des interrogations. Quels avantages en retirer et quels inconvénients anticiper ? 1. - L’unicité du patrimoine. - Le 15 mai 2022, soit 3 mois après la publication au Journal officiel de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 et du décret n°2022-799 du 12 mai 2022, le principe de l’unicité du patrimoine sera révolu. Tout entrepreneur individuel serait désormais titulaire, en application de la loi et sans qu’aucun acte de volonté ou aucune formalité soit nécessaire, de deux patrimoines1. 2. - Une longue évolution. - Cette évolution est l’aboutissement de la volonté du législateur de ne pas laisser sans protection l’entrepreneur. Comme le rappelle le rapport parlementaire Frassa2: « Le souci de protéger les investisseurs contre les aléas de la vie économique et leurs conséquences potentiellement ruineuses a conduit, dès l’Ancien Régime et plus encore à partir du XIXe siècle, à la création de sociétés commerciales à responsabilité limitée ». Cette distinction du patrimoine personnel et du patrimoine professionnel trouvait à s’appliquer par la création d’une personne morale, distincte de la personne physique. Si la personne morale devait réunir au moins deux associés, il a fallu attendre la loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 pour autoriser la création d’une société unipersonnelle : l’EURL. On se rapprochait de la distinction entre patrimoine professionnel et patrimoine personnel mais toujours par le truchement d’une personne morale. « La loi du 15 juin 2010 a ouvert, au profit des travailleurs indépendants, une première brèche dans le principe d’unicité du patrimoine en créant le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). »3 3. - La fin des EIRL. - La complexité des formalités administratives et comptables requises, réelles ou supposées, n’a pas permis à l’EIRL de s’imposer : seules 97 000 sur les 3 millions d’entreprises individuelles ont fait le choix d’une EIRL. « Afin de ne plus laisser sans protection la majeure partie des travailleurs indépendants, l’article 1er du projet de loi innove en prévoyant que tout entrepreneur individuel soit désormais titulaire de plein droit de deux patrimoines, l’un personnel, l’autre professionnel, sans qu’aucune déclaration Ndlr : Étude publiée in RFP 2022, étude 13 et actualisée par l'auteur. 1 Le principe de séparation des patrimoines s’applique en tout état de cause aux créances professionnelles nées après l’entrée en vigueur de la loi. 2 Chr.-A. Frassa, rapp. n° 54 (2021-2022), fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 oct. 2021 au Sénat, spéc. p. 10. 3 Chr.-A. Frassa, rapp. n° 54 (2021-2022), fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 oct. 2021 au Sénat, spéc. p. 12. 4 Chr.-A. Frassa, rapp. n° 54 (2021-2022), fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 oct. 2021 au Sénat, spéc. p. 13. 5 Chr.-A. Frassa, rapp. n° 54 (2021-2022), fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 oct. 2021 au Sénat, spéc. p. 22. d’affectation ne soit nécessaire »4. Il n’est, depuis le 15 février 2022, plus nécessaire ni même possible de créer une EIRL. 4. - Le patrimoine utile. - La distinction entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel ne sera ni comptable ni basée sur les biens nécessaires à l’exploitation mais sur une notion d’utilité. Le nouvel article L. 526-22 du Code de commerce précise que « Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel. [...] Les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel. » La notion d’utilité apparaît bien plus large que la notion de biens nécessaires ; un actif peut être utile sans pour autant être nécessaire. Le rapporteur Frassa indique s’être « longuement interrogé sur le critère choisi pour assurer la démarcation entre les deux patrimoines de l’entrepreneur individuel, à savoir l’utilité des biens et obligations à son activité ou ses activités professionnelles indépendantes. Non que ce critère soit inadapté : il s’agit bien de viser les biens utiles et effectivement utilisés dans le cadre professionnel. Mais il laisse une importante marge d’appréciation et risque donc d’engendrer de nombreux contentieux »5. 5. - Le patrimoine « comptable ». - Aucune référence au bilan et aux comptes de l’entrepreneur n’a été retenue ; il est en effet loisible à l’entrepreneur d’inscrire en comptabilité des actifs ni nécessaires ni utiles à son exploitation (un bien immobilier donné en location à un tiers, une trésorerie excédentaire...) tout comme il peut ne pas inscrire des biens utiles à son exploitation : un véhicule d’usage mixte, un bien immobilier propre tel que sa résidence principale dont une partie, le fameux garage par exemple, sert à entreposer des marchandises ou de l’outillage quand ce n’est pas une pièce qui sert de bureau. 6. - Une protection renforcée. - Au-delà des cas particuliers et des difficultés qui ne manqueront pas de survenir pour définir précisément l’utile de l’inutile en matière professionnelle, il convient de relever que de manière plutôt contreintuitive, le patrimoine d’un entrepreneur sera désormais mieux protégé dans le cadre d’une entreprise individuelle que dans le cadre d’une EURL ou d’une SARL lorsque le gérant ou le collège de gérance est majoritaire. En effet, l’article L. 526-22 prévoit expressément que « les dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable envers les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales sont nées à l’occasion de son exercice professionnel ». À L'entreprise individuelle à l'impôt sur les sociétés : une opportunité ? Laurent Benoudiz, expert-comptable et commissaire aux comptes, associé chez Bewiz, membre du comité scientifique de la Revue fiscale du patrimoine © Droits réservés
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