La revue fiscale du patrimoine

STRATÉGIE FPAISTCRAIMLEONIALE 22 20. - L’une des promesses de la technologie blockchain est la constitution de ces certificats directement dans la chaîne de blocs, ce qui permet plus de sécurité. Autant la promesse n’est pas tenable pour les œuvres physiques (en juin 2018, un influenceur « tech », Terence Eden, s’est fait passer pour l’auteur de La Joconde, certificat Verisart à l’appui26), autant pour les œuvres intégralement digitales, le mécanisme a un intérêt évident en ce qu’il permettra de résoudre les questions parfois délicates d’authenticité. Mais on peut se demander si le NFT n’est pas lui-même à la fois l’œuvre et le certificat d’authenticité. En effet, ces jetons non fongibles permettent d’associer un certificat d’authenticité à tout objet virtuel, qu’il s’agisse d’une image, photographie, animation, vidéo, ou morceau de musique. Ce certificat est théoriquement inviolable et ne peut pas être dupliqué. Conçu grâce à la technologie de la blockchain, le non-fungible token permettrait également de garantir et de faciliter l’exécution du droit de suite (CPI, art. L. 122-8), ce droit qui permet de faire participer l’auteur ou ses ayants droit au produit d’une vente à laquelle participe un professionnel du marché de l’art. 21. - Il reste pour l’heure à noter une dernière difficulté : celle du comportement des collectionneurs. Il semble que deux familles de collectionneurs se distinguent pour ces œuvres : les collectionneurs de la première heure, encore attachés aux supports, et les nouveaux collectionneurs dont le patrimoine est teinté bitcoin et ether et qui sont tentés par ces œuvres entièrement numériques, tokenisées et acquises en cryptomonnaies. Pour ces dernières, les acheteurs n’acquièrent pas une œuvre, « ils achètent les droits de se vanter, et le fait de savoir que leur copie est “l’authentique” »27. Difficile, donc, dans ce cadre d’en prédire les tendances sur les valeurs. Au-delà de cette évaluation par le marché, l’évaluation par l’administration fiscale s’avère également essentielle. B. - L’évaluation par l’administration fiscale 22. - L’évaluation par l’administration fiscale est essentielle pour le calcul des droits de mutation. Dans ce cadre, l’évaluation des œuvres d’art se fait classiquement selon un système en tiroirs (CGI, art. 764 et 805) 28. La première question est de savoir si ces œuvres seront assurées, comment et pour quelle valeur. Cette valeur d’assurance sera prise en compte par l’administration fiscale pour fixer sa valeur dans la succession, mais pour l’heure, ces œuvres ne sont généralement pas assurées. 23. - S’il n’y a pas d’assurance, la question se pose de savoir si l’œuvre peut ou non être qualifiée de meuble meublant. En effet, les meubles peuvent être évalués, à l’occasion du règlement d’une succession, forfaitairement à 5 % en ce compris les œuvres d’art dès lors qu’elles ne forment pas une collection et qu’il s’agit uniquement d’objets de décoration (CGI, art. 764). L’administration fiscale peut écarter l’application de ce forfait, notamment si elle rapporte la preuve de l’acquisition des biens peu avant le décès pour un prix supérieur au forfait notamment. Pour certaines œuvres reliées à un support, on peut considérer parfois qu’elles constituent un élément de décoration, notamment pour les photographies numériques ou pour certaines œuvres sculpturales. Mais il sera difficile de convaincre l’administration fiscale que des œuvres totalement digitales comme les non-fungible tokens puissent être rangées dans la catégorie des meubles meublants. 26  https://medium.com/hry-publication/why-a-random-mona-lisa-provenance-will-not-matter-on-blockchain-efabb665703b (dernière consultation le 24 oct. 2021). 27  E. Griffith, Why an Animated Flying Cat With a Pop-Tart Body Sold for Almost $600,000 : New York Times, 22 févr. 2021. 28  V. également G. Goffaux Callebaut, Marché de l’art, successions et libéralités, in Droit et marché de l’art en Europe, G.-C. Giorgini et S. Perez (dir.) : Bruylant, juin 2015, p. 147. – O. Dantil, Les œuvres d’art numérique, plus imposées que les autres ! : https://achetezdelart.com/art-numerique/ (dernière consultation le 24 oct. 2021). CONSEIL PRATIQUE En matière de succession Il faudra donc recourir : – soit à une déclaration estimative des parties dans la déclaration de succession, le cas échéant appuyée par une expertise d’un homme de l’art ; – soit à l’intégration de l’œuvre d’art numérique et de sa valorisation dans l’inventaire des meubles meublants conduit par le notaire avec le concours d’un commissaire-priseur judiciaire ; – soit à l’intégration dans la déclaration de succession du prix d’acquisition de l’œuvre si celle-ci a été acquise peu avant le décès. Face à un actif dont l’évaluation est complexe, il est toujours possible de recourir à une mention expresse dans la déclaration fiscale prévue à l’article 1727 du CGI. On peut par exemple révéler l’existence de cet actif, mais réserver sa valeur lors d’une déclaration complémentaire. Les intérêts de retard sur les droits de mutation exigibles ne sont pas dus en application de cet article. En matière de donation De la même manière, il faudra annexer à l’acte de donation l’avis d’un expert qui pourra être un commissaire-priseur ou, à tout le moins, le conserver à son dossier numérique jusqu’au terme du délai de contrôle des valeurs, contrôle que l’administration fiscale peut opérer au cours des 3 années civiles qui suivent l’enregistrement de l’acte de donation. 24. - À n’en pas douter, ces actifs numériques surviendront dans les patrimoines rapidement ; sur ce point, les notaires ont encore de jolis défis à relever… L’ESSENTIEL A RETENIR • Grâce à l’explosion des ventes de non-fungible tokens (NFT), l’art numérique apparaît comme une composante du patrimoine de certains collectionneurs qui, à court ou moyen terme, posera la question de sa transmission. • Une première difficulté tient à la définition des œuvres d’art numériques qui sont diverses, tantôt totalement détachées d’un support, tantôt attachées à un support qui s’avère rapidement obsolète, ainsi qu’à la pérennité de ces biens. • Une seconde difficulté tient à la difficile évaluation de ces œuvres numériques, tant par un marché nouveau et encore instable que par une administration fiscale peu aguerrie à ce type de biens.

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