19 L’actualité des ventes aux enchères en France et à l’étranger a mis en avant le développement des non-fungible tokens (NFT), artistiques ou non. Ces jetons composent désormais un certain nombre de patrimoines qui feront l’objet d’une transmission par des libéralités, donations ou legs, ou dans le cadre de successions ab intestat. Au-delà, les œuvres d’art numériques constituent des biens particuliers. La spécificité juridique et fiscale de ces nouveaux biens numériques soulève des questions liées à la détermination de l’objet à transmettre et de sa valeur. Cette étude entend proposer quelques pistes pour les praticiens confrontés à ces questions. 1. - La question de la transmission des œuvres d’art numériques est délicate à appréhender. Longtemps, l’art numérique peinait à se faire une place sur le marché de l’art. Les choses n’ont pas radicalement changé : la plupart des collectionneurs sont encore très attachés au support matériel des œuvres qu’ils collectionnent, et le marché reste aujourd’hui encore un marché de niche. Mais l’actualité de ces derniers mois semble attester d’un frémissement inédit. La réussite de certaines ventes est médiatisée, comme ce fut le cas il y a quelques mois avec la vente d’un gif tokenisé du Nyan Cat vendu aux enchères aux États-Unis pour 300 ethers1 ou celle de la vidéo de Beeple, intégralement digitale, sur le site de Christie’s2, qui a atteint une enchère record de 69 millions de dollars3. Le marché montrant des signes d’expansion, on peut imaginer que la transmission des œuvres numériques sera un défi bientôt posé aux notaires. 2. - Sur le fond, les enjeux de la transmission du patrimoine numérique sont essentiels. Les biens numériques se multiplient et leur appréhension juridique se heurte parfois à des difficultés de qualification. Une autre difficulté tient à la Ndlr : Étude publiée in JCP N 2022, n°6, 1087. 1 Soit près de 600 000 dollars. V. E. Griffith, Why an Animated Flying Cat With a Pop-Tart Body Sold for Almost $600,000 : New York Times, 22 févr. 2021. – Vol au-dessus des enchères pour le Nyan Cat, le plus célèbre des GIFs animés : Courrier international, 23 févr. 2021, www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-vol-au-dessus-des-encheres-pour-le-nyan-cat-le-plus-celebre-des-gifs (dernière consultation le 2 mars 2021). 2 M. Jacquet, Christie’s, première maison à vendre une œuvre d’art digitale : Numéro Un, 17 févr. 2021, www.numero.com/fr/art/maison-christies-vente-beeple-everydays-the-first-days-premiere-oeuvre-digitale (dernière consultation le 3 mars 2021). 3 V. S. Reyburn, JPG File Sells for $69 Million, as « NFT Mania » Gathers Pace : New York Times, 11 mars 2021, www.nytimes.com/2021/03/11/arts/design/nft-auction-christies-beeple.html (dernière consultation le 24 oct. 2021). 4 V. not. J. Chatelain, La notion d’œuvre d’art originale, in Le marché commun et le marché de l’art, 1982, p. 19. – J.-M. Pontier, La notion d’œuvre d’art : RDP 1990, p. 1403, n° 5. – N. Heinich, « C’est un oiseau ! » Bancusi vs États-Unis, ou quand la loi définit l’art : Dr. et société 1996, p. 649. – B. Edelman, L’adieu aux arts, 1926 : l’affaire Brancusi : Aubier Flammarion, 2001. – A. Raynouard, L’inutile définition de l’œuvre d’art, exemple de réalisme juridique : RLDC 2012, p. 98. – M. Cornu, La notion juridique d’œuvre d’art et le marché, in Dossier Le marché de l’art : Dr. & patr., déc. 2016, p. 56. – G. Goffaux Callebaut, Quelques réflexions autour de la définition des œuvres d’art, in Mél. J. Fromageau, Un patrimoine vivant, entre nature et culture : Mare & Martin, 2019, p. 369. 5 V. G. Goffaux Callebaut, Quelques réflexions autour de la définition des œuvres d’art, in Mél. J. Fromageau, Un patrimoine vivant, entre nature et culture : Mare & Martin, 2019, p. 369. 6 Parmi ces œuvres, on peut évoquer les animations informatiques de Manfred Mohr, les œuvres vidéo de Bill Viola ou de Pascal Haudressy, des simulations de paysages 3D de Joan Fontcuberta, des installations interactives de Raquel Kogan, du robot art de Patrick Tresset ou de Leonel Moura. définition de l’œuvre d’art, et de l’œuvre d’art numérique. L’œuvre d’art, d’abord, n’est pas définie par le droit positif4. Le Code civil ne les évoque pas, le Code de la propriété intellectuelle s’intéresse uniquement aux œuvres de l’esprit (qui est une notion plus large) et le CGI ne fait que donner des exemples d’œuvres d’art, notamment en matière de TVA à taux réduit. Ainsi, une liste d’œuvres d’art est issue de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et codifiée à l’article 98 A, II de l’annexe III au CGI. Il ne s’agit pas d’une véritable définition mais d’une énumération limitative qui doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. À ce titre, sont regardées comme des œuvres d’art les tableaux, collages, peintures et dessins, entièrement exécutés à la main par l’artiste, à l’exclusion des dessins d’architectes, d’ingénieurs et autres dessins industriels, commerciaux, topographiques ; les gravures, estampes, lithographies originales tirées en nombre limité, exécutées à la main par l’artiste ; les productions de l’art statuaire et de la sculpture ; les tapisseries et textiles muraux faits à la main ; les exemplaires uniques de céramique entièrement exécutés par l’artiste et signés par lui ; les émaux sur cuivre entièrement exécutés à la main ou encore les photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de 30 exemplaires. De ces éléments, on peut déduire que l’œuvre d’art n’est pas qu’une œuvre de l’esprit, même si elle partage avec elle un certain nombre de qualités, et notamment qu’elle est une création originale. On peut ajouter que l’œuvre d’art se distingue de l’œuvre de l’esprit par sa rareté (réelle ou artificielle), son mérite et, de façon générale, l’importance du support de l’œuvre. Cette dernière affirmation est remise en cause par des formes contemporaines d’art, telles que l’art conceptuel5 ou certaines formes d’art numérique. 3. - À cet égard, il faut noter que l’œuvre d’art numérique n’entre pas dans la liste des œuvres d’art au sens du CGI. Si le marché de l’art s’est adapté aux évolutions de l’art numérique, le droit fiscal français et européen est resté figé sur une conception classique de la définition de l’œuvre d’art. Cet art numérique est également délicat à définir, les spécialistes ne s’entendent pas sur sa définition. L’art numérique serait un art réalisé avec des procédés informatiques, et en pratique, ces œuvres sont extrêmement variées6. Dès les années soixante, on La transmission des œuvres d’art numériques François Burneau, notaire Géraldine Goffaux Callebaut, professeur de droit privé (université d’Orléans) © Droits réservés © Droits réservés
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