La revue fiscale du patrimoine

16 STRATÉGIE PATRIMONIALE pouvoir de contrôle du respect de la volonté du défunt. Le contrôleur de l’exécution a ainsi qualité pour agir en justice contre le bénéficiaire des capitaux-décès qui ne respecterait pas la charge stipulée dans la clause (C. civ., art. 1028). Il conviendra de veiller dans la rédaction de la clause testamentaire à éviter toute assimilation par un juge du fond non aguerri à la matière d’un tel choix de format testamentaire à la volonté du souscripteur d’intégrer les capitaux-décès dans sa succession3. 7. - Ce premier schéma reposant sur la technique du mandat a cependant l’inconvénient de ne pas résister à la mise sous tutelle du bénéficiaire (C. civ., art. 2003). CONSEIL PRATIQUE Aussi, plutôt que de désigner un tiers gestionnaire, le souscripteur peut prévoir minutieusement au sein de la clause bénéficiaire la façon dont il souhaite que le bénéficiaire emploie et consomme les fonds reçus. Peut notamment être prévu le règlement par la compagnie d’assurances des capitaux-décès par versement de ceux-ci sur un contrat de capitalisation qui devra être ouvert par le bénéficiaire auprès d’une compagnie déjà identifiée et dont les supports d’investissement sont pré-identifiés. Et le souscripteur peut préciser la façon dont il souhaite que ce contrat de capitalisation fonctionne : rachats programmés uniquement et interdiction de rachat total, par exemple. Le Congrès des notaires de 20204 a d’ailleurs proposé un modèle de clause reposant sur cette combinaison de charges et d’institution d’un contrôleur d’exécution. 8. - Schéma 2. Société civile avec ou sans démembrement de propriété. - L’organisation de la gestion des capitaux-décès via une société civile relevant de l’impôt sur le revenu permet de dissocier la propriété de la gestion des fonds perçus au dénouement du contrat d’assurance-vie. Le majeur bénéficiaire vulnérable est propriétaire des parts et a la qualité d’associé : il est donc bien bénéficiaire des distributions de dividendes. Mais les statuts donnent tous pouvoirs de gestion au tiers de confiance désigné comme gérant de la société. Et la décision de distribuer des dividendes est également mise entre les mains du tiers de confiance, par exemple par l’attribution d’une part sociale catégorielle ayant la majorité des droits de vote concernant l’affectation du résultat. Fiscalement, en fonction du nombre d’associés/bénéficiaires des capitaux-décès, il peut être plus pertinent de désigner comme bénéficiaires, non pas la société civile directement mais plutôt les personnes physiques vulnérables, à charge d’apporter les capitaux-décès au capital de la société civile, afin de s’assurer du maximum d’abattements sur les sommes reçues et, en cas de versement des primes après 70 ans, d’éviter une taxation à 60 %. 9. - Le schéma peut être encore plus sophistiqué si l’on introduit un démembrement de propriété sur les parts sociales issues, le cas échéant5, d’un démembrement des capitaux-décès reporté sur lesdites parts. Le démembrement de propriété peut permettre de différer la consommation du capital par le majeur vulnérable qui ne recevrait, dans un premier temps, que la nue-propriété des parts sociales6. L’usufruit serait, dans un premier temps, attribué de manière temporaire ou viagère à un autre bénéficiaire (par exemple, le conjoint du souscripteur). Le démembrement de propriété des parts peut également permettre d’empêcher la dilapidation des fonds par le majeur vulnérable simplement usufruitier. L’objectif 3  V. CA Aix-en-Provence, 6e ch., sect. D, 18 avr. 2018, n° 16/05537 : JurisData n° 2018-006183 ; JCP N 2019, n° 2, 1005, note Cl. Brenner. 4  V. 116e Congrès des notaires de France : Paris, Protéger, 2020, p. 49, n° 1112. 5  Le démembrement des parts pourrait aussi provenir d’une donation. 6  Une telle solution pour retarder l’entrée en jouissance des capitaux par le bénéficiaire des capitaux-décès semble plus facilement praticable que la mise en place d’une assurance à effet différé qui soulève des difficultés de mise en œuvre : V. Memento Lefebvre [Patrimoine] 21-22, n° 28459. 7  Cette altération devra, au décès du parent souscripteur, être établie au vu d’un certificat médical dressé par un médecin mentionné sur la liste du procureur de la République. 8  Le ministère de la Justice estime toutefois que « sous réserve de l’interprétation souveraine des juridictions, la notion de gestion autorise le recours aux actes de disposition de certains éléments du patrimoine lorsqu’ils s’insèrent dans une logique de conservation, d’administration ou de valorisation du patrimoine successoral » (Circ. n° JUSC0754177C, 29 mai 2007, p. 27). 9  Le mandataire posthume ne peut pas s’opposer à l’aliénation décidée par les héritiers des biens mentionnés dans le mandat, cette aliénation constituant une des causes d’extinction du mandat (Cass. 1re civ., 12 mai 2010, n° 09-10.556, FS-PBI : JurisData n° 2010-005870 ; JCP N 2010, n° 46, 1351, note J.-G. Mahinga). 10  Pour les actes de disposition à titre gratuit, une autorisation du juge des tutelles est nécessaire (C. civ., art. 490, al. 2). serait alors d’organiser la récupération à terme des fonds par un ou plusieurs autres bénéficiaires (frères et sœurs, neveux, ou enfants du majeur vulnérable) qui, au moment du dénouement du contrat d’assurance-vie, ne recevraient, eux, que la nue-propriété des capitaux-décès. 10. - Le report du démembrement des capitaux-décès sur les parts d’une société civile a le grand avantage de faciliter la gestion des fonds démembrés et la détermination de ce qui revient des placements effectués avec les capitaux démembrés à l’usufruitier, d’une part, et au nu-propriétaire d’autre part. 11. - Schéma 3. Mandat de protection future pour autrui. - Si le bénéficiaire est un enfant du souscripteur dont ce dernier a eu la charge matérielle et affective et que ledit enfant ne peut pas pourvoir seul à ses intérêts pour l’une des causes prévues à l’article 425 du Code civil7, alors le parent souscripteur – que l’on supposera être le dernier vivant des deux parents – peut désigner un (ou plusieurs) tiers de confiance comme mandataire(s) de protection future pour autrui. Le mandat de protection future pour autrui, nécessairement notarié, est prévu par l’article 477, alinéa 3 du Code civil. Investi par ledit mandat d’un pouvoir de représentation du majeur vulnérable, le tiers de confiance désigné comme mandataire pourra librement gérer les capitaux-décès ainsi que l’ensemble des actifs reçus, le cas échéant, en héritage par cet enfant. 12. - Le mandat de protection future pour autrui est ainsi un véritable outil de transmission de patrimoine en ce qu’il permet d’organiser une gestion des actifs transmis libérée des règles des régimes de protection judiciaire et confiée exclusivement à une ou plusieurs personnes librement choisies. CONSEIL PRATIQUE Comme dans la mise en place d’un mandat de protection future pour soi-même, il sera de bonne pratique de désigner un tiers protecteur issu du monde des affaires, dès lors que le mandataire aura été choisi pour ses seules qualités humaines et non ses compétences de gestionnaire patrimonial, pour aider ledit mandataire dans le bon emploi des actifs hérités ou reçus par assurance-vie par le majeur vulnérable. 13. - Ainsi apparaît la vraie nature du mandat de protection future pour autrui : un super mandat à effet posthume ! En effet, alors que le mandat à effet posthume est à durée nécessairement limitée (C. civ., art. 812-1-1, al. 2), le mandat de protection future permet de désigner un mandataire pour une durée indéterminée. En outre, la question se pose de savoir si le mandataire posthume a le pouvoir de disposer d’un bien successoral faisant l’objet du mandat, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 étant muette sur ce point8. La seule certitude est celle de la conservation d’un tel pouvoir de disposition par les héritiers (C. civ., art. 812-4, 5°) 9. En revanche, l’article 490 du Code civil précise que le mandat de protection future pour autrui confère au mandataire tout pouvoir de gestion, y compris le pouvoir de conclure des actes de disposition10. 14. - Schéma 4. Création d’un patrimoine fiduciaire. - Si, dans l’entourage du souscripteur, il n’existe pas de tiers de confiance ou si les conditions du mandat de protection future pour autrui ne sont pas réunies, il est possible de mettre en

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