La Revues Fiscale du Patrimoine

La jurisprudence considère sur ce point que « si c’est au créancier exerçant l’action paulienne d’établir l’insolvabilité apparente du débiteur, c’est à ce dernier qu’il appartient de prouver qu’il dispose de biens de valeur suffisante pour répondre de l’engagement » (Cass. 1re civ., 5 juill. 2005, n° 02-18.722 : JurisData n° 2005-029319 ). Le juge applique ce critère avec une certaine rigueur, ce qui l’a précédemment conduit à rejeter une action paulienne engagée à l’encontre d’une donation de biens meubles avec réserve d’usufruit consentie par des parents à leurs enfants, alors qu’ils étaient propriétaires d’un immeuble d’une valeur quatre fois supérieure à la créance du Trésor public(Cass.1re civ., 19 nov. 2002, n° 00-22.677: RJF 7/03, n° 922). La Cour de cassation a en revanche validé l’action paulienne engagée à l’encontre d’une donation d’actions et de parts sociales de 3,4 millions de francs consentie par un chef d’entreprise à ses enfants quelques mois après la notification d’un redressement de plus de 2,5 millions de francs, nonobstant les arguments de ce dernier relatifs à sa volonté de transmettre son entreprise au vu de son état de santé (Cass.1re civ., 8 janv. 2002, n° 99-18.040: RJF 05/02, n° 582). Il n’est pas nécessaire que l’acte incriminé ait à lui seul causé l’insolvabilité du débiteur. Il peut n’avoir eu pour effet que de diminuer la valeur de ses biens « de manière à rendre impossible ou inefficace l’exercice des droits du créancier » (BOI-REC-SOLID-30-10, § 40). Dans le même sens, il peut avoir seulement conduit à transformer un actif pour le remplacer par un bien plus facile à dissimuler. Ce sera le cas notamment de la cession d’immeubles ou de droits immobiliers contre une somme d’argent liquide(Cass.1re civ., 21 nov. 1967. –Cass.1re civ., 18 févr. 1971, n° 69-12.540. – Cass. 1re civ., 6 févr. 2001, n° 98-203. – Cass. 3e civ., 8 déc. 2021, n° 20-18.432 : JurisData n° 2021-019852). À l’inverse, le remplacement de biens corporels par des parts de société difficilement négociables sera tout autant constitutif d’une fraude paulienne en ce qu’il causera nécessairement un préjudice au créancier (Cass. 1re civ., 27 févr. 1973, n° 71-14.693. – Cass. 3e civ., 20 déc. 2000, n° 98-19.343 et 99-10338 : JurisData n° 2000-007487 ; JCP G 2001, IV, 1326). Il convient de noter que le créancier sera en revanche dispensé d’apporter la preuve de cette insolvabilité s’il est investi de droits particuliers sur certains biens du débiteur. Il pourra ainsi s’opposer sans autres justifications à un bail consenti sur des biens hypothéqués (Cass. 1re civ., 18 juill. 1995, n° 93-13.681) ou à une donation d’usufruit portant sur un immeuble hypothéqué (Cass. civ., 8 avr. 2009, n° 08-10.024). Dans tous les autres cas, les juges du fond devront rechercher si les autres biens du débiteur, à l’époque où l’action a été engagée, ne pouvaient pas suffire à désintéresser le créancier(Cass.1re civ., 27 juin 1972, n° 70-11.822 : JurisData n° 1972-000163 ; Bull. civ. I, n° 163, p. 142). Ils ne pourront pas, pour établir l’insolvabilité du débiteur, se contenter de faire état des multiples tentatives de recouvrement restées infructueuses, ni refuser de prendre en compte l’actif successoral du père du contribuable au motif que la succession avait été acceptée sous bénéfice d’inventaire, sans rechercher si cette acceptation n’était pas intervenue en dehors des délais requis (Cass. com., 6 déc. 2016, n° 15-20.142). Cet arrêt rappelle donc aux juges du fond cette exigence qui ne peut se déduire des seules contradictions relevées dans les déclarations des contribuables,alors même que ces derniers présentaient des attestations notariées et des actes d’acquisition représentant un patrimoine d’une valeur supérieure à un million d’euros, somme très largement supérieure au montant de leur dette fiscale. Pour aller plus loin M. Douay, Solidarités fiscales et actions patrimoniales à l’encontre des débiteurs d’impôt : JCl. Procédures fiscales, fasc. 592, § 49 et s. M.-E. Jouini, La saisie patrimoniale en matière de fraude fiscale : RFP 2023, étude 2. Michel Leroy, Assurance-vie et sécurisation du patrimoine : RFP 2021, étude 8. Cass. 1re civ., 27 mars 2024, n° 21-17.257 : JurisData n° 2021003064 1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er mars 2021), par avis du 30 juillet 2007, M. et Mme [N] ont été informés qu’ils allaient faire l’objet d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle. 2. Le 7 septembre 2007, ils ont consenti à leur deux enfants une donation-partage de la nue-propriété de deux biens immobiliers situés à [Localité 16] et à [Localité 9]. 3. Le 21 septembre 2007, une proposition de rectification leur a été notifiée, portant rappels d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2004 à 2006. 4. Le 27 août 2010, le trésorier principal de [Localité 16], aux droits duquel est venu le responsable du pôle de recouvrement spécialisé de la Seine-Saint-Denis (le comptable public) a assigné M. et Mme [N] en inopposabilité de la donation-partage, sur le fondement de l’article 1167 du code civil. Sur le moyen, pris en ses première, cinquième, sixième, septième et huitième branches. 5. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche Énoncé du moyen 6. M. et Mme [N] font grief à l’arrêt de déclarer inopposable au comptable public l’acte de donation entre vifs du 7 septembre 2007, publié le 28 septembre 2007 au 4ème bureau de la conservation des hypothèques de [Localité 17] volume 2007 P n° 3964 et le 28 septembre 2007 au 1er bureau de la conservation des hypothèques de [Localité 13] volume 2007 P n° 8466, de dire qu’à l’égard du comptable public, doivent être réintégrés dans leur patrimoine, francs et quittes de toutes charges, une maison d’habitation située à [Localité 16] (93) [Adresse 8], cadastrée section AZ n° [Cadastre 2], formant le lot n° 7 du lotissement en 9 lots créés par arrêté préfectoral, et un appartement dans un ensemble immobilier situé à [Localité 9] (Alpes- maritimes), [Adresse 6] dénommé “[Adresse 7]” cadastré section CM n° [Cadastre 4], lieudit [Adresse 5] formant le lot 248, alors « que M. etMme [N] soutenaient, dans leurs conclusions, qu’à la date de l’acte argué de fraude, ils disposaient d’un patrimoine immobilier important de nature à désintéresser l’administration fiscale de la créance qu’elle invoquait ; qu’ils faisaient notamment état de cinq biens, différents de ceux objet de la donation-partage litigieuse ; qu’ainsi, en premier lieu, ils se disaient propriétaires d’un pavillon sis à [Adresse 10] et produisaient aux débats, pour l’établir, une attestation notariée aux termes de laquelle M. et Mme [N] avaient fait l’acquisition d’un terrain à bâtir sis à [Adresse 10] le 11 juillet 2002 pour un prix de 76 224,51 euros ; qu’en deuxième lieu, M. et Mme [N] indiquaient être propriétaires des parts sociales de la SCI Soleil 3 et produisaient, pour démontrer la valeur de ces parts, une attestation notariale du 31 mai 2002 aux termes de laquelle 38 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024

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