La Revues Fiscale du Patrimoine

1. Un nouvel assouplissement du formalisme de l’option pour l’IS Une SARL dont l’associé unique est une personne physique est,en principe, soumise à l’impôt sur le revenu (IR) dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux qui constitue le régime d’imposition de droit commun des sociétés de personnes (CGI, art. 8,4°). Néanmoins, en vertu du e du 3 de l’article 206 du CGI, les SARL dont l’associé unique est une personne physique peuvent opter pour le régime des sociétés de capitaux, imposables à l’IS, dans les conditions prévues à l’article 239 du même code. L’article 239 du CGI renvoie à un arrêté pour la fixation des conditions d’exercice de cette option. Jusqu’à un arrêté du 27 juin 2019 et un décret n° 2019654 du 27 juin 2019, ces dispositions figuraient à l’article 22 de l’annexe IV du CGI et ont été, en substance, transférées à l’article 350 F de l’annexe III au CGI : la notification de l’option prévue à l’article 239 précité est adressée au service des impôts du lieu du principal établissement de la société ; la notification« est signée dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, par tous les associés » (version en vigueur depuis le 5 janvier 1993). Le strict formalisme prévu par les textes a été plusieurs fois tempéré par la jurisprudence administrative (illustration d’une application stricte en l’absence de signature de tous les associés sous la version de l’article 22 de l’annexe IV au CGI antérieure au 5 janvier 1993 : CE, 15 déc. 1986, n° 48700, SCI de Saint-Maur : Dr. fisc. 1987, n° 52, comm. 2344), bien qu’il implique, outre un passage de l’IR à l’IS, un changement du redevable de l’impôt (la personne morale en lieu et place de l’associé personne physique). Jusqu’ici, deux décisions avaient reconnu des voies alternatives d’option pour l’IS. D’une part, il a été reconnu que pour exercer valablement leur option pour l’IS, les sociétés de personnes doivent soit notifier cette option au service des impôts du lieu de leur principal établissement (conformément à CGI, art. 22, ann. IV), « soit cocher la case prévue à cet effet sur le formulaire remis au centre de formalité des entreprises [ou au greffe du tribunal de commerce] dont elles dépendent à l’occasion de la déclaration de leur création ou de leur modification, manifestant ainsi sans ambiguïté l’exercice de leur option » (CE, 30 déc. 2011, n° 342566, Sté Distribur : JurisData n° 2011-031697 ; Lebon T., p. 896 ; Dr. fisc. 2012, n° 10, comm. 172). Bien que cette faculté d’opter n’apparaisse pas dans les dispositions propres aux centres de formalités des entreprises (C. com., art. R. 123-1 et s.) et qu’aucun formalisme ne s’assure de l’approbation des associés en faveur de cette option, cet assouplissement demeurait limité. D’autre part, un assouplissement a également été reconnu dans l’hypothèse où une SARL décide, au moment de la réunion de toutes ses parts entre les mains d’un associé unique, de demeurer assujettie à l’IS : « Une telle entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée [EURL] est réputée avoir régulièrement exercé l’option offerte au 3 de l’article 206 si elle a opté dans ses statuts, dans le délai prévu (...), pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, et si elle a, au titre du premier exercice clos après la réunion des parts dans une même main, déclaré ses résultats sous le régime de l’impôt sur les sociétés » (CE, 20 mars 2020, n° 426850 et 426857, Paradiso et Sté Le Saint’é, sur des conclusions contraires du rapporteur public : JurisData n° 2020-004074 ; Lebon T., p. 702 ; Dr. fisc. 2020, n° 24, comm. 270. – Confirmation : CE, 12 juin 2020, n° 426067). Or, en vertu de l’article 8 du CGI, en principe, une SARL dont les parts sont réunies en une seule main se trouve soumise de plein droit au régime des sociétés de personnes. Mais, non sans questionner l’évolution récente de la jurisprudence, le rapporteur public se montre favorable à l’extension de la décision Le Saint’é aux EURL qui ont mentionné un assujettissement à l’IS dans leurs statuts dès leur création et qui ont déposé ensuite des déclarations à cet impôt : « à supposer que votre décision Société Le Saint’E soit fondée sur l’analyse d’une moindre utilité du formalisme de l’article 22 de l’annexe IV dans les EURL en l’absence de pluralité d’associés dont il conviendrait de recueillir l’accord, ce constat vaudrait tout autant pour les sociétés n’ayant toujours eu, depuis leur création, qu’un unique associé ». Ainsi, pour la première fois, le Conseil d’État juge qu’une SARL dont l’associé unique est une personne physique qui mentionne un assujettissement à l’IS dans ses statuts constitutifs et qui dépose des déclarations sous ce régime dès le premier exercice est réputée avoir valablement opté pour cet impôt (l’arrêt d’appel n’avait pas manqué de relever que la société« n’a pas, au cours du contrôle, remis en cause son assujettissement à l’impôt sur les sociétés. Des déclarations de résultats soumis à l’impôt sur les sociétés ont d’ailleurs continué à être déposées en 2019, 2020 et 2021 »). La circonstance que la gérante, qui n’était pas l’associée unique, ait coché la case mentionnant un assujettissement aux bénéfices industriels et commerciaux sur le formulaire de création est sans incidence. Si le Bulletin officiel des finances publiques a entériné la décision Distribur en l’y intégrant, force est de constater que les décisions Le Saint’é et la décision commentée contredisent la doctrine administrative qui affirme que : pour exercer valablement leur option auprès du CFE, les sociétés de personnes doivent avoir manifesté l’exercice de cette option sans aucune ambiguïté. Afin de traduire explicitement cette volonté, elles doivent, à cet effet, cocher la case prévue pour l’exercice de cette option sur le formulaire d’immatriculation remis à ce centre. Elles ne peuvent se borner à mentionner leur volonté d’option dans les statuts de la société (BOI-IS-CHAMP-40, 23 nov. 2023, § 135). 2. Un fondement juridique incertain Le rapporteur public, tout en invitant le Conseil d’État à étendre la décision Le Saint’é, préconise à l’avenir de « réinterroger plus largement [sur] la portée et l’objet du formalisme prévu »par l’article 22 de l’annexe IV, repris à l’article 350 F de l’annexe III du CGI, qui protège « l’administration fiscale contre les options ambigües ». Quoi qu’il en soit, cette solution peut se comprendre en termes d’opportunité : la solution inverse pourrait conduire une société à se soustraire à toute imposition en soulevant l’irrégularité de son option initiale plusieurs années après et alors que le délai de reprise de l’administration fiscale serait prescrit. En ce sens, la Cour de cassation s’est tenue au strict formalisme prévu par les textes : il a été jugé qu’en l’absence de notification régulière à l’administration fiscale, une SCI ne peut être regardée comme ayant valablement exercé l’option prévue par l’article 239 du CGI en faveur de son assujettissement à l’IS. En conséquence, l’IS ne lui étant pas applicable, la gérante de la SCI ne pouvait faire l’objet d’une condamnation pour fraude fiscale (Cass. crim., 8 mars 2023, n° 22-82.404 : JurisData n° 2023-003307 ; JCP E 2023, 1229 ; Dr. sociétés 2023, comm. 89). Le rapporteur public, aux termes de ses conclusions dans l’affaire commentée, exclut tout rattachement à la théorie de l’apparence des voies alternatives d’option reconnues par les décisions Distribur et Le Saint’é, puisque ces voies ont été considérées « comme régulières ». Néanmoins, dans l’affaire Le Saint’é, le rapporteur public (non suivi par le Conseil d’État) considère qu’opposer au contribuable une option irrégulièrement formalisée revient à faire application de la théorie de l’apparence qui s’ancre dans la décision Lemarchand(CE, 20 févr. 1974, n° 83270). Dans cette décision, l’administration avait opposé à un contribuable la situation juridique dont il s’était prévalu JURISPRUDENCE COMMENTÉE LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 33

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