artificielle d’une société puisque cette dernière (CE, 28 janv. 2022, n° 433965) : - ne disposait ni de locaux, ni de moyens, ni de personnel, - n’avait eu pour seul actif que les titres de la Manco, - avait réglé l’acquisition des titres par un crédit vendeur (inscription au crédit du compte courant d’associé ouvert au nom du cédant), - ne disposait, compte-tenu du pacte d’actionnaires conclu, d’aucune autonomie de gestion sur ces titres. Selon le Conseil d’État, la société interposée était alors (i) dénuée de substance économique, tandis que (ii) sa création ne répondait pas à un motif économique, financier ou patrimonial. La requalification en salaire était donc possible car le mécanisme d’intéressement mis en œuvre profitait aux dirigeants et les récompensait pour leurs efforts. Dans l’arrêt Prezioso étudié, il nous semble que ces critères auraient sans doute pu être remplis. Le 25 octobre 2017, le Conseil d’État, statuant en plénière fiscale, avait reconnu un abus de droit dans le cadre d’une opération immobilière impliquant l’interposition d’une société luxembourgeoise. L’interposition qui avait permis de faire échapper la plus-value de cession à toute imposition en France a été analysée comme artificielle et dépourvue de toute substance économique puisque (i) cette société n’avait jamais développé aucune autre activité immobilière, et (ii) qu’elle n’était justifiée par aucun motif économique, organisationnel ou financier(CE, 25 oct. 2017, n° 396954 : JurisData n° 2017020912 ; Dr. fisc. 2018, n° 2, comm. 64). Le 12 février 2020, le Conseil d’État (CE, 12 févr. 2020, n° 421444 : JurisData n° 2020-001671 ; Dr. fisc. 2020, n° 10, comm. 180 ; Dr. fisc. 2020, n° 10, act. 68)est allé plus loin en jugeant que (i) l’interposition de la société civile, qu’elle ait ou non de la substance (activité économique, moyens matériels et humains, raison d’être...) et (ii) l’apport concomitant des titres d’une société à celle-ci, devaient être regardés comme ayant poursuivi un but exclusivement fiscal, nécessairement contraire à l’objectif poursuivi par le législateur, alors même que l’apporteur n’avait reçu aucune liquidité et qu’aucun désinvestissement n’avait eu lieu. Il s’agissait d’une opération d’apport de titres A à une Holding B contrôlée et dont la gestion des titres A était le seul objet, suivi par le rachat et l’annulation des titres A. Dans cette décision liée à l’affaire Wendel (affaire Gautier), le gain litigieux a bien été requalifié en salaire après que la société civile soumise à l’impôt sur les sociétés interposée a été écartée puisque entachée d’abus de droit. Dans le cadre de l’interposition d’une société et du dispositif des PEA, le Conseil d’État a censuré la cour administrative d’appel de Paris qui avait exigé que les contribuables démontrent que l’architecture mise en œuvre, via l’interposition d’une société était « la seule possible pour atteindre l’objectif économique » (CE, 19 juin 2020, n° 418452 : JurisData n° 2020-008427 ; Lebon T. ; Dr. fisc. 2020, n° 46, comm. 438 – V. comm. madame le professeur Florence Deboissy dans Dr. fisc. 2020, n° 46, comm. 438). Dès lors le contribuable n’aura pas à démontrer « la réalité des contraintes juridiques, financières et commerciales justifiant l’interposition d’une société tierce » ; il doit montrer que cette interposition est utile (et non absolument nécessaire). Point d’attention : comme le relève madame le professeur Florence Deboissy dans la Revue de Droit Fiscal précitée, l’inverse est également vrai : ce n’est pas parce qu’une autre voie permettait d’aboutir au même résultat fiscal que l’abus est écarté. Le professeur Florence Deboissy précise que la suspicion d’abus « doit absolument être dépassée par une analyse aussi objective que complète de l’ensemble de l’architecture mise en place afin de vérifier si l’opération contestée poursuit un but exclusivement fiscal ou si elle répond à une véritable rationalité économique dont l’économie fiscale n’est alors qu’une composante licitement recherchée ». Cette démonstration semble possible dans le cadre d’une Manco regroupant plusieurs managers. Mais, l’utilité d’un apport/d’une cession dans une société holding personnelle quelques jours avant la vente des titres est plus subtile, notamment en cas de distribution du produit de cession dans un second temps. Il convient en outre de relever que l’existence, depuis le 1er janvier 2021, d’un abus de droit fiscal dans le cadre d’un but principalement fiscal et non plus exclusivement fiscal est venue complexifier la défense du contribuable : désormais la composante fiscale, licitement recherchée, ne devra pas être prépondérante dans l’architecture mise en place. Il est possible de trouver une autre illustration de l’interposition artificielle d’une société dans les avis récents rendus par le Comité de l’abus de droit fiscal le 24 novembre 2023. Dans l’affaire n° 2023-06 (CADF, avis, séance n° 3/2023, aff. n° 2023-06), un contribuable avait interposé une société afin d’échapper à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) (alors en vigueur). Le montage mis en œuvre consistait en (i) l’interposition d’une société (de droit monégasque) au-dessus d’une SCI ayant acquis un immeuble, et (ii) la signature concomitante d’un prêt in fine, avec des intérêts capitalisés, d’une valeur supérieure à la valeur de l’immeuble acquis entre la société interposée et la SCI. Cela permettait à la société Monégasque de ne pas être une société à prépondérance immobilière. L’examen des dispositions de l’ISF applicables n’est pas l’objet de cette étude. Pour reconnaître et valider l’abus de droit invoqué par l’administration fiscale, le Comité relève que : ‰la création en cascade des sociétés et la conclusion concomitante du contrat de prêt a permis d’échapper à l’ISF : l’intérêt fiscal est prouvé ; ‰la SCI était dépourvue de toute activité économique et qu’elle n’a disposé d’aucun revenu. La cession de l’immeuble par la SCI n’a pas permis de rembourser le prêt in fine consenti par la société interposée. Il apparaissait donc que l’architecture mise en place n’avait aucune substance, ni aucune utilité, si ce n’est fiscale. Le montage était bien artificiel et frauduleux. Dans ses conclusions rendues à propos de la décision du Conseil d’État du 3 mai 2023(CE, 3 mai 2023, n° 434441 : Dr. fisc. 2023, n° 35, comm. 269), madame Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public, précise que deux conceptions de la notion de montage artificiel permettant de prouver un abus de droit pour fraude à la loi coexistent dans la jurisprudence : ‰soit le contribuable recourt à l’interposition d’une société dépourvue de toute substance économique, créée pour les besoins de la cause, dans le seul but de bénéficier d’un avantage fiscal ; ‰soit le contribuable procède à des opérations le plus souvent concomitantes dans le seul but d’échapper à une qualification fiscale donnée et remplir en apparence les conditions pour bénéficier d’un dispositif de faveur. Dans le cadre de management packages, les contribuables prêteront attention dans un premier temps aux indices de requalification en salaires : gain dépendant de l’activité du salarié, investissement faible du salarié, absence de risque capitalistique, court délai entre l’acquisition et la cession, souscription à une valeur minorée, promesse de cession à prix garanti, clause d’incessibilité, d’illiquidité, de non-concurrence, clauses deleavers... 30 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024
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