dans la décision Materne seule une Manco est interposée), que du calendrier de réalisation des opérations. Au moment des opérations litigieuses d’apport des titres dans une holding personnelle (affaire Prezioso) ou de souscription dans la Manco (affaire Materne), il ne faisait aucun doute que les valeurs des titres s’étaient appréciées et que le gain lié à la sortie était certain. Dans ses conclusions, le rapporteur public, madame Karin Ciavaldini relève que : ‰« par l’intermédiaire de la société Materne et Cie, créée à cet effet, les cadres dirigeants associés de cette société ont souscrit l’équivalent d’actions de la société Holding Materne à leur valeur d’août 2004, à une date où, par ailleurs, il était établi que cette société avait pris de la valeur. En effet, l’investisseur Lion Capital avait annoncé en octobre 2006 [...] avoir à la sortie du LBO initié sous sa direction en 2004 multiplié son investissement par pus de deux en un peu plus de deux ans [...]. Il ressort par ailleurs du dossier que l’option irrévocable d’achat des titres de la société Materne BOIN Holding France par la société Activa était datée du 13 octobre 2006 et révélait que à cette date [...] l’évaluation définitive du groupe Materne était calée sur des comptes provisoires au 30 septembre 2006 » ; ‰« on peut déduire de tout cela que [...] les cadres dirigeants ont réalisé une plus-value sur les titres de cette société résultant de ce qu’ils les ont acquis à une valeur inférieure à leur valeur réelle à la date de cette acquisition ». La différence fondamentale entre les deux affaires se situe au niveau du cédant des titres : alors que dans l’arrêt Prezioso, c’est la holding personnelle qui a cédé les titres grevés d’une plus-value latente, dans la décision Materne, ce sont les dirigeants qui ont cédé les titres grevés d’une plus-value latente. Est-ce à dire qu’il aurait été suffisant que la cession ait lieu en deux temps pour éviter au dirigeant contrôlé dans l’affaire Materne de voir son gain requalifié en salaire : (i) cession par la Manco SAS Materne etCie de ses BSA à la Holding Luxco, puis (ii) rachat-annulation de titres/distribution d’un dividende/liquidation de la Manco SAS Materne et Cie ? Cette opération en deux temps a eu lieu dans l’arrêt Prezioso : une distribution aux associés de la SC Sunflower a succédé à la cession des titres de la Manco SAS Tournesol par ladite SC Sunflower, holding personnelle du dirigeant. Les arrêts rendus dans le cadre du groupe Prezioso et de l’affaire Wendel nous conduisent à répondre par l’affirmative : l’interposition d’une société fait bien échec à la requalification, sauf abus de droit. Cependant, il nous apparaît que les conclusions du rapporteur public madame Karin Ciavaldini dans l’affaire Materne, reprises par le Conseil d’État nuancent cette affirmation : ‰le rapporteur public conclut que« peu importait à cet égard que les cadres dirigeants participant à l’opération n’aient eu aucun lien de subordination ni avec les associé initiaux de la société Materne et Cie, ni avec la société Materne Luxembourg ; ce qui compte est qu’ils aient été en activité au sein du groupe Materne » ; ‰le Conseil d’État reprend à son compte cette analyse et juge que les cadres du groupe Materne ont bénéficié dans des conditions avantageuses trouvant leur source dans l’exercice de leurs fonctions de salariés d’un mécanisme leur garantissant le prix de cession des titres, et que le gain réalisé devait être imposé dans la catégorie des salaires « sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance qu’aucun lien de subordination direct n’existait entre celui-ci et la société Materne Luxembourg Holdco, cessionnaire ». Dans l’arrêt Prezioso, la requalification est refusée car la société interposée ne peut pas, par nature être salariée ; dans la décision Materne, la requalification est acceptée nonobstant l’absence d’un lien salarial de subordination. Les contribuables doivent prêter attention à cette décision Materne ; ce n’est pas parce que la requalification en salaire ne serait pas possible lorsque la cession a lieu au niveau de la société interposée, sauf reconnaissance d’un abus de droit, qu’elle ne le sera pas au moment de la distribution par la société interposée au dirigeant qui a été en activité au sein du groupe dont les titres sont cédés. En définitive, en cas d’interposition d’une société, il nous semble que l’administration fiscale dispose de deux faits générateurs permettant une requalification : ‰le premier au moment de la cession par la société interposée, mais cela requiert de justifier d’un abus de droit ; ‰le second au moment de l’appréhension des liquidités de la société interposée par le dirigeant bénéficiaire d’un management package sans que l’Administration n’ait à démontrer de lien de subordination entre la société bénéficiaire des liquidités à distribuer et l’associé de cette dernière. C. – La nécessaire qualification d’un abus de droit imposée par le Conseil d’État à l’Administration représente une victoire à la Pyrrhus pour le contribuable Le cas échéant, la nécessaire démonstration préalable d’un abus de droit pour requalifier une plus-value de cession en salaire dans l’hypothèse d’une interposition de société n’est pas une bonne nouvelle pour les contribuables qui seront contrôlés dans le futur. Un abus de droit est caractérisé dans deux situations : ‰1. l’opération est fictive (LPF, art. L. 64) : l’opération est fictive lorsqu’il existe une différence objective existante entre l’apparence juridique créée par l’acte en cause et la réalité, en particulier économique, sous-jacente à cet acte (BOI-CF-IOR-30-10, § 30). Cette situation existerait par exemple si la société interposée n’a aucune existence ni aucun fonctionnement concret, ou si une vente prévoit un prix qui n’est jamais payé. Pour une illustration d’opération fictive, il est possible de se reporter à l’affaire n° 2021-29 soumise au Comité de l’abus de droit fiscal à l’occasion de la séance du 4 février 2022. Ce dernier a donné raison à l’administration fiscale qui avait établi que le transfert en Angleterre du siège social d’une société était fictif et dissimulait une cessation d’activité des sociétés en France. En l’espèce le transfert impliquait des sociétés anglaises et une autre société établie à Gibraltar ; ces structures étaient sans activité et constituaient des coquilles vides. Cette situation ne devrait pas être rencontrée dans le cadre de management package qui ne concerne pas des opérations fictives : les sociétés interposées sont immatriculées, et elles fonctionnent conformément à leurs statuts ; ‰2. l’opération représente une fraude à la loi et son but est exclusivement (LPF, art. L. 64) ou principalement fiscal (LPF, art. L. 64 A). Cette notion nous semble plus difficile à appréhender. Il est vraisemblable que l’administration fiscale parviendra à démontrer une telle fraude en cas d’interposition d’une société pour permettre aux dirigeants de bénéficier d’une plus-value de cession de valeurs mobilières, au lieu d’un salaire dû en contrepartie d’un travail subordonné. Des décisions d’abus impliquant des sociétés interposées ont déjà été rendues. Le 28 janvier 2022, le Conseil d’État a confirmé la requalification d’un gain de cession de titres en salaire, nonobstant l’interposition JURISPRUDENCE COMMENTÉE LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 29
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