revenu n’était encore à la disposition des managers au moment de la cession aux sociétés civiles ». Ce second argument de l’Administration est de la même nature que l’argument soulevé dans notre arrêt Prezioso : l’administration fiscale a essayé de taxer un gain latent, constitué au moment de l’apport des titres de la SAS Tournesol à la holding Sunflower. La cour administrative d’appel répond qu’au moment de l’apport le gain n’était pas réalisé, et qu’il bénéficie du sursis d’impôt. Il apparaît ainsi que dans le cadre d’une cession ou d’un apport de titres bénéficiant du sursis, l’Administration ne saurait taxer une plus-value non encore réalisée, quand bien même cette réalisation serait presque certaine ce qui était encore plus le cas dans notre espèce, avec une cession 2 jours après l’apport des titres. Aujourd’hui, la situation de notre espèce serait un peu différente puisque l’article 150-0 B ter du CGI a instauré un report d’impôt en cas d’apport de titres à une société contrôlée, se substituant au sursis d’impôt de l’article 150-0 B du CGI applicable aux faits de l’espèce. Dès lors, la plus-value est calculée avant d’être mise en report pour n’être taxée qu’au moment de la survenance d’un événement mettant fin au report. Le gain latent est donc officiellement déterminé ; l’Administration n’aurait donc pas à déterminer ce gain, mais « simplement »à requalifier sa nature de plus-value en salaire. En tout état de cause, monsieur Olivier Lemaire concluait au rejet du recours de l’Administration« en raison d’un oubli du service qui a omis d’écarter l’imposition des sociétés de personnes ». Il est étonnant que dans ce nouvel arrêt, postérieur aux arrêts Wendel, l’administration fiscale n’ait pas travaillé à réparer cet oubli, et ce d’autant plus que la société interposée n’était pas une société de personne translucide, contrairement aux arrêts Wendel cités précédemment, et donc que le contribuable n’avait pas pu appréhender directement le prix de cession des titres de la SAS Tournesol cédés. Dans le cadre d’une autre affaire Wendel de requalification de gain de cession en salaire (CE, 12 févr. 2020, n° 421441 et 421444 : JurisData n° 2020-001671 : Dr. fisc. 2020, n° 10, comm. 180 – Décisions liées à l’affaire Wendel – V. infra), madame Anne IIIIjic, rapporteur public, avait précisé dans ses conclusions que « l’Administration ne pouvait requalifier les sommes litigieuses en salaires sans écarter préalablement l’interposition de la société civile soumise à l’impôt sur les sociétés comme entachée d’abus de droit ». Pour mémoire, la DGFIP a publié le 1er avril 2015 une carte des pratiques et des montages abusifs relative aux management package. L’Administration précise : « La procédure d’abus de droit fiscal peut être mise en œuvre lorsque les cadres-dirigeants ont eu recours à un montage destiné à effacer toute imposition (PEA, interposition artificielle d’une structure...), auquel cas les rappels correspondants sont assortis d’une majoration de 80 % » (www.economie.gouv.fr/dgfip/ carte-des-pratiques-et-montages-abusifs fiche Management Package). L’analyse des arrêts cités précédemment devrait nous conduire à conclure que la procédure d’abus de droit fiscal doit être mise en œuvre si l’Administration entend dénoncer l’interposition artificielle d’une structure. Pourtant, dans une décision postérieure aux arrêts Wendel, l’interposition d’une holding et l’absence de lien de subordination n’a pas empêché le Conseil d’État de requalifier un gain de cession en salaire, sans recours préalable à la procédure d’abus de droit. B. – L’existence d’un lien de subordination entre le cédant et le cessionnaire n’est pas obligatoire pour requalifier un gain de cession en salaire Le 17 novembre 2021, le Conseil d’État a fait droit à l’Administration en requalifiant en traitement et salaires le gain net de cession de titres d’une société détenant des BSA ouvrant droit à la souscription d’une autre société dans laquelle le cédant exerçait des fonctions(CE, 17 nov. 2021, n° 439609, Materne). Dans cette espèce, l’interposition d’une société regroupant les managers (Manco) et l’absence de contrat de travail avec le cessionnaire n’a pas empêché pas la requalification en salaire, alors qu’aucun lien de nature salariale n’existait entre le cédant et le cessionnaire. Pourtant, l’abus de droit n’avait pas été invoqué et la société interposée n’avait pas été écartée. Les faits étaient les suivants : ‰en 2004, un fonds d’investissement britannique avait acquis les titres de la Holding française Materne via une Holding LuxCo ; ‰au mois d’octobre 2006, un directeur avait souscrit des titres dans une Manco, la SAS Materne & Cie pour une valeur unitaire de 1³; ‰le même mois, la Manco avait souscrit des BSA dans la Holding française, détenue par la Luxco pour une valeur unitaire de 0,10³; ‰au mois de décembre 2006 la Holding Française avait cédé les titres de sa filiale française à un autre fonds d’investissement ; ‰au mois de janvier 2007, la Luxco, a racheté les titres de la Manco au directeur pour une valeur unitaire de 9,667³. Les deux affaires Prezioso et Materne sont assez similaires, tant au regard des schémas mis en œuvre (dans l’arrêt Prezioso deux sociétés sont interposées : une Manco et une holding personnelle, alors que 28 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024
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