La Revues Fiscale du Patrimoine

ÉDITORIAL 6 La « transmission » par la fusionabsorption de la responsabilité pénale de la personne morale Parmi le foisonnement jurisprudentiel incommensurable qui occupe au quotidien l’esprit des juristes et spécialement des fiscalistes, c’est une affaire pénale relative à une société ayant commis des infractions en matière d’urbanisme qui retient l’attention des dernières semaines (Cass. crim., 22 mai 2024, n° 23-83.180, FS-B : JurisData n° 2024-007449). Bien qu’elle n’ait pas de rapport a priori avec la matière fiscale, puisqu’il s’agissait d’un délit d’extension d’un camping, elle mérite d’être mise en évidence en raison des données factuelles de l’espèce, à savoir la réalisation d’une fusion-absorption de la société responsable des agissements délictueux. En toile de fond de la discussion juridique, figure le principe selon lequel nul n’est responsable pénalement que de son propre fait (C. pén., art. 121-1), étant ici rappelé par ailleurs que la responsabilité pénale de la personne morale n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits (C. pén., art. 121-2). Depuis un revirement du 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération de fusion, lorsque celle-ci entre dans le champ d’application de la directive européenne relative à la fusion des sociétés anonymes ou en présence d’une fraude à la loi (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955 : JurisData n° 2020-019279. – Cass. crim., 13 avr. 2022, n° 21-80.653 : JurisData n° 2022-005608). Sous réserve de ce dernier cas, les SARL n’étaient pas visées puisque n’entrant pas dans les prévisions de ladite directive, d’où en l’espèce la censure de l’arrêt d’appel qui avait commis sur ce point une erreur de droit. Mais, par une stratégie des petits pas, considérant que « sa doctrine était raisonnablement prévisible » depuis son arrêt précité de 2020, la chambre criminelle élargit la solution en retenant qu’en présence d’une telle opération l’activité économique exercée est poursuivie au niveau de la société absorbante « et qu’ainsi, la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la seconde avant l’opération de fusion-absorption. » (pt 10 de l’arrêt. – Rappr. le pt 24 de l’arrêt du 25 novembre 2020 à propos de l’article 6 de la Conv. EDH). Désormais, la solution s’applique donc à toute opération de fusion-absorption qui se traduit par une continuité économique et fonctionnelle de la personne morale. À travers cette évolution majeure, se dévoilent l’importance des analyses économiques en droit contemporain et la pénétration des considérations systémiques dans la sphère pénale (V. F. Vessio, Le droit pénal des affaires à l’aune de la défaillance économique, avant-propos O. Debat, préf. C. Mascala : LGDJ, Bibl. des sciences criminelles, t. 75, 2024). Ainsi, la fusion-absorption entraîne, pourrait-on dire, la transmission universelle du patrimoine et, avec elle, de la responsabilité pénale afférente, la sanction répressive existant en germe dans ledit patrimoine, bien qu’encore non prononcée. Dès lors, « la société absorbante peut en effet être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. » (pt 11 de l’arrêt). Toutefois, les autres formes de sanctions prévues, le cas échéant, par le texte répressif (l’exclusion des marchés publics...) ne paraissent pas exclues pour autant (C. pén., art. 131-39), compte tenu de la généralité de la solution posée. Le retour au domaine fiscal s’opère de lui-même, à travers la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux. Comme l’écrivait le regretté Christian Lopez, « l’ingéniosité des contribuables est sans limite dans la mise en œuvre aussi bien de montages frauduleux que de moyens pour échapper aux poursuites » (C. Lopez, Droit pénal fiscal : LGDJ, coll. Systèmes, 2012, p. 59). Désormais, la fusion-absorption ne permettra plus aux structures d’échapper à la responsabilité pénale en matière fiscale. Olivier Debat professeur agrégé à l’université Toulouse Capitole directeur du M2 Droit fiscal de l’entreprise directeur scientifique de la Revue fiscale du Patrimoine

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