Finalement, comme le tribunal administratif (TA Paris, 5 janv. 2022, n° 2009524), la cour administrative d’appel déboute l’administration fiscale qui aurait dû, pour parvenir à ses fins, écarter au préalable l’interposition de la société Sunflower comme ne lui étant pas opposable sur le fondement de l’abus de droit : « la plus-value résultant d’un tel échange de titres ne peut être qualifiée de traitements et salaires dès lors que l’administration n’a pas entendu remettre en cause, sur le fondement de l’abus de droit, l’interposition de la société Sunflower, ce qui fait obstacle à ce qu’un tel apport puisse, comme le soutient le ministre, être regardé comme un acte de disposition par lequel M. B... aurait renoncé à exercer son droit de vente et l’aurait cédé à la société Sunflower ». 2. Analyse À l’instar de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, d’autres arrêts et décisions, ont jugé qu’un abus de droit devait être démontré pour faire échec à l’écran de la société interposée, puisque cette dernière ne pouvait pas, par nature, être salariée. Cependant, il convient de relever que dans une décision, le Conseil d’État a fait droit à l’Administration en requalifiant un gain de cession en salaire et dépit de l’absence d’un lien de nature salariale entre le cédant et le cessionnaire. En tout état de cause, la nécessaire caractérisation d’un abus de droit nous semble constituer une victoire à la Pyrrhus pour le contribuable. A. – L’interposition d’une holding empêche la requalification en salaire sauf abus de droit La requalification en salaire implique dans un tel schéma la mise en œuvre de la procédure de l’abus de droit dans la mesure où il convient de « déchirer le voile de la personnalité juridique » de la société interposée (Sur cette expression, O. Debat, « La cession isolée d’une marque notoire ou de renommée emporte la cession de sa clientèle propre » : RFN 2007, n° 12, comm. 176. Rappr. P. Serlooten et O. Debat, Droit fiscal des affaires : Coll. Précis, Dalloz, 23e éd., 2024, spéc. n° 682, à propos de l’art. 155 A du CGI.). La cour administrative d’appel de Paris reprend une analyse déjà partagée, dans le cadre de l’affaire Wendel. Le 6 mars 2018, la cour administrative d’appel de Versailles (CAA Versailles, 6 mars 2018, n° 16VE02368) avait jugé qu’en « Considérant que la société [holding], qui a cédé les actions de préférence dont elle était détentrice et qui avait pour objet social la constitution et la gestion d’un portefeuille composé de valeurs ou autres droits mobiliers émis par des sociétés ou autres groupements français ou étrangers n’était, par hypothèse, pas salariée du groupe Wendel ni d’aucun autre employeur ; que, par suite, l’administration ne pouvait requalifier une partie du gain dégagé par cette cession en traitements et salaires ; qu’à cet égard, elle ne saurait, sauf à confondre, à tort, l’activité de la société [holding] et celle de Mme B..., associée, se prévaloir d’une “ prétendue activité réelle ” de la société, désignée comme un “ véhicule d’encaissement de la rémunération ” de cette dernière, dès lors qu’écartant elle-même expressément la qualification d’abus de droit, elle a estimé que la création de la société à laquelle les titres détenus par Mme B... avaient été cédés en 2007 ne revêtait pas un caractère fictif et ne poursuivait pas un but exclusivement fiscal ». Le 14 février 2019, la même position avait été retenue par la cour administrative d’appel de Paris dans trois autres arrêts liés à l’affaire Wendel (CAA Paris, 14 févr. 2019, n° 16PA02994, 16PA03172 et 16PA03176). Le groupe Wendel avait mis en place des instruments juridiques associant plusieurs cadres. Ces derniers avaient acquis des actions de préférence avant de les céder à leurs holdings personnelles, sociétés de personne, à leur prix d’achat. Cinq mois après (contre 2 jours dans notre arrêt), ces holdings personnelles avaient cédé les titres pour un prix multiplié par 31. L’Administration avait relevé que le mécanisme d’investissement mis en place, financé et contrôlé par le groupe Wendel n’avait demandé de la part du salarié qu’un investissement limité et non risqué ; elle avait alors taxé la plus-value de cession comme un salaire. Le tribunal administratif de Paris avait censuré cette qualification en première instance, suivie par la cour administrative d’appel de Paris qui avait jugé que : « le service, qui n’a pas entendu écarter l’interposition de la société [A] comme ne lui étant pas opposable, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, au motif qu’elle présentait un caractère fictif ou que sa création répondait à un but exclusivement fiscal en vue d’une application littérale de textes ou de décisions en méconnaissance des objectifs de leurs auteurs, ne pouvait pas requalifier en complément de salaire, même pour partie, le gain dégagé par la cession des titres CDO à la société Ofilux Finances par la société [A], et ce, alors même que M. B..., qui contrôlait et dirigeait cette société, exerçait lui-même une activité salariée au sein de la société Wendel ». Ce faisant, la cour administrative d’appel reprenait la position du rapporteur public, monsieur Olivier Lemaire, qui avait relevé que« le service n’a à aucun moment écarté cette interposition. Il n’a à aucun moment considéré qu’elle était constitutive d’un abus de droit. Il faut donc en tirer la conséquence naturelle : si le gain transite par une société de personnes relevant de l’article 8 du CGI, selon un schéma qui n’est pas remis en cause par le service, il est imposable entre les mains des associés de cette société au même titre que les résultats de celle-ci, et selon le régime applicable à la taxation de ces résultats. [...] Cette société ne peut pas elle-même percevoir des gains ayant la nature de traitements et salaires » (V. concl. M. O. Lemaire, rapp. Publ. – V. arrêts Wendel préc.). L’Administration s’est pourvue en cassation, mais, le 24 juillet 2019, le Conseil d’État (CE, 24 juill. 2019, n° 429618 et 429619) a confirmé cette position en décidant que « dès lors que l’Administration n’avait pas entendu écarter sur le fondement de l’abus de droit la société [interposée] comme étant fictive ou comme ayant été créée dans le seul but d’éluder l’impôt, le ministre de l’action et des comptes publics ne pouvait soutenir qu’une fraction de la plus-value réalisée par cette société devait s’analyser comme la rémunération de l’activité salariée [du manager] au sein du groupe Wendel ». Dans ces affaires, l’Administration a tenté de proposer un autre argument en relevant qu’« en se dépossédant de l’avantage qui lui a été consenti par la société Wendel [...], le contribuable a souhaité faire bénéficier sans contrepartie la société [holding] du bonus à percevoir lors du débouclage du schéma d’investissement ; la perception de ce bonus par la société [holding] s’analyse comme un acte de disposition qui a permis à la société [holding] de bénéficier de l’avantage consenti [...] ; l’imposition d’un gain dans une catégorie n’est pas nécessairement attachée à la qualité de la personne qui le perçoit ; la circonstance que le gain ait été encaissé par la société [holding] n’est pas de nature à remettre en cause sa nature salariale ». Le rapporteur public avait répondu à cet argument en indiquant qu’« aucun revenu n’était encore à la disposition des contribuables au moment de la cession aux sociétés civiles des actions de préférence, lesquelles, tant que l’opération n’avait pas été débouclée ne valaient encore que leur prix de revient (un prix de revient que le service a refusé de corriger). L’argument du ministre ne vaut qu’en cas d’utilisation d’un revenu postérieure à sa mise à disposition. Or en l’espèce aucun JURISPRUDENCE COMMENTÉE LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 27
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