La Revues Fiscale du Patrimoine

‰les indemnités pour préjudice moral versées fixées par voie contractuelle ; ‰les indemnités pour préjudice moral fixées par voie judiciaire, et dont le montant n’excède pas un million d’euros. 11 - L’article 80 du CGI énonçant que l’indemnité d’un montant supérieur à un million d’euros n’échappe pas à l’impôt lorsqu’elle est fixée par décision de justice, les circonstances ayant conduit à l’édiction de cette règle nous conduisent à envisager l’hypothèse des indemnités fixées par une sentence arbitrale18 : la sentence arbitrale vaut-elle décision de justice au sens de ce texte ? L’examen des articles 1450 et suivants du Code de procédure civile ne permet pas d’assimiler le tribunal arbitral à un tribunal judiciaire ordinaire, pas plus que la procédure arbitrale ne peut être assimilée à une procédure judiciaire, outre le fait qu’une sentence arbitrale n’est pas dotée des mêmes effets qu’une décision judiciaire. Les débats parlementaires ayant conduit à l’adoption de cette disposition révèlent même une opposition entre les « juges professionnels » et le « tribunal arbitral », quoique les critiques aient essentiellement porté sur les décisions rendues par ces derniers. En l’absence de toute position jurisprudentielle spécifique, et compte tenu de l’interprétation stricte de la loi fiscale, il faut donc admettre que les indemnités fixées par une sentence arbitrale, et dont le montant excèderait le plafond prévu par l’article 80 du CGI, ne devraient pas, à l’instar de celles fixées conventionnellement, être imposables, faute pour elles de procéder d’une décision de justicestricto sensu. 12 - Indemnités de fin de contrat.–Le versement d’indemnités pour préjudice moral à un salarié pose toutefois le problème de l’application de l’article 80 duodecies du CGI, qui pose le principe de l’assujettissement à l’impôt sur le revenu de l’ensemble des indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail ou du mandat social, quoique ce principe soit lui-même assorti d’un certain nombre d’exceptions tenant à la nature ou au montant des indemnités versées. L’application de ce texte avait suscité une divergence entre les juridictions du fond : la cour administrative d’appel de Bordeaux avait ainsi jugé que l’indemnité transactionnelle versée, en sus de l’indemnité de licenciement, en réparation du préjudice moral, était imposable, au même titre que les autres chefs de préjudice, en application de l’article 80 duodecies du CGI, dès lors que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse19 ; à l’inverse, la cour d’appel de Versailles avait admis l’exonération d’une indemnité transactionnelle pour préjudice moral versée au moment d’un départ volontaire à la retraite au motif que l’article 80 duodecies du CGI avait pour seul objet de déterminer le régime applicable aux indemnités versées à raison de la rupture du contrat de travail, à l’exception des indemnités qui, alors même qu’elles seraient concomitantes à cette rupture, n’y trouveraient pas leur cause ; elle a en conséquence admis que la part de cette indemnité qui réparait un préjudice moral devait échapper à l’impôt 20. 13 - Le Conseil d’État a clos la controverse en jugeant que, si les indemnités de rupture entrent dans le champ d’application de l’article 80 duodecies du CGI, elles se trouvent hors du champ de l’article 80, alinéa 4 du CGI relatif aux conditions d’imposition des indemnités pour préjudice moral fixées par décision de justice, il n’en demeure pas moins par ailleurs que les dispositions de l’article 80 duodecies du CGI, qui déterminent les conditions dans lesquelles les indemnités versées à un salarié en conséquence de la rupture de son contrat de travail sont soumises à l’impôt sur le revenu, ne sont pas applicables à des indemnités qui, bien que versées concomitamment à la rupture du contrat de travail, ne trouvent pas leur cause dans la rupture de ce contrat : ainsi, l’indemnité versée à un salarié en exécution d’un accord transactionnel conclu lors de la rupture du contrat de travail qui ne trouve pas sa cause dans cette rupture mais a pour objet de régler un litige relatif aux conditions d’exécution du contrat ne peut échapper à l’impôt que dans la mesure où elle compense un préjudice autre que celui résultant d’une perte de revenu21. Les indemnités pour préjudice moral échappent donc à l’article 80 duodecies du CGI dans la mesure où elles ne trouvent pas leur cause dans la rupture du contrat de travail : si l’on pourrait apriori admettre que la cessation d’un tel contrat emporte nécessairement un préjudice moral au salarié, cette considération ne saurait être prise en compte dans la mesure où le préjudice moral ici pris en compte s’entend de celui pouvant procéder de l’exécution « défectueuse » du contrat elle-même, voire d’une irrégularité ayant affecté la procédure de licenciement. Elles bénéficient donc d’une exonération de principe, sous réserve de l’imposition prévue par l’article 80 du CGI, eu égard à leur montant. 4° Préjudice moral et imposition des bénéfices agricoles 14 - Le CGI ne contient aucune disposition permettant d’inclure ou d’exclure expressément les indemnités réparant un préjudice moral subi par un exploitant agricole, l’article 63 dudit code énonçant par ailleurs que « sont considérés comme bénéfices de l’exploitation agricole pour l’application de l’impôt sur le revenu, les revenus que l’exploitation de biens ruraux procure soit aux fermiers, métayers, soit aux propriétaires exploitant eux-mêmes » : dans la mesure où ces indemnités ne proviennent pas effectivement d’une exploitation agricole – c’està-dire d’un fait réalisé– mais où elles sont la contrepartie d’un fait subi, elles ne peuvent être intégrées au bénéfice imposable de l’exploitant. Elles constituent donc, pour l’exploitant agricole, un gain en capital acquis en franchise d’impôt sur les bénéfices. 18. Cette disposition procède d’un amendement parlementaire déposé lors du débat à l’Assemblée nationale du projet de loi de finances pour 2011, et justifié, selon son promoteur, à éviter le contournement de la loi fiscale dans le cadre de licenciements « déguisés », consistant à faire glisser sur le terrain moral un préjudice économique ; comme l’ont révélé les débats parlementaires, l’origine de cet amendement réside dans l’arbitrage rendu en faveur de B. Tapie, pour un préjudice moral évalué à plusieurs dizaines de millions d’euros ... 19. CAA Bordeaux, 20 déc. 2018, n° 16BX01978. – CE, na, 8e ch., 3 avr. 2020, n° 428262 : RJF 7/20, n° 598. 20. CAA Versailles, 12 févr. 2019, n° 17VE03591 : RJF 8-9/19, n° 781. 21. CE, 8e ch., 18 juill. 2023, n° 468125 : RJF 11/23, n° 820. ÉTUDES LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 21

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