RESPONSABILITÉ 12 Le préjudice moral est-il fiscalement imposable ? Emmanuel CRUVELIER docteur en droit fiscaliste L’imposition des indemnités, transactionnelles ou judiciaires, versées en compensation d’un préjudice moral suscite des problématiques d’autant plus vives que, malgré le caractère extra-patrimonial de ce préjudice, elle ne fait pas l’objet de solutions uniformes. 1 - De façon générale, le préjudice moral regroupe l’ensemble des atteintes qui n’affectent pas directement un patrimoine et s’entend ainsi, outre des préjudices moraux stricto sensu, des effets extrapatrimoniaux d’un dommage corporel, tel par exemple lepretium doloris- étant toutefois précisé que, dans cette dernière hypothèse, le préjudice moral et le préjudice corporel n’atteignent pas nécessairement la même personne (on distinguera ainsi le préjudice moral subi par la victime d’un dommage physique, et qui vient s’adjoindre au préjudice physique, du préjudice moral « par ricochet » corrélatif au préjudice physique subi par un tiers, tel étant le cas, par exemple, du préjudice moral subi par un époux en raison du décès accidentel de son épouse). Tel qu’il est entendu par le droit fiscal, le préjudice moral peut procéder du fait non seulement d’une personne de droit privé, mais aussi d’une personne de droit public1. Notons en préambule que la notion de préjudice moral fait l’objet d’une appréciation pragmatique par les juges de l’impôt, qui ne s’estiment en tout état de cause pas liés par les termes d’une transaction conclue entre les parties, qui se réfèrent notamment au préjudice moral 2. 2 - Compensation du préjudice moral : l’indemnité. – Il est actuellement d’usage que, à défaut de pouvoir faire l’objet d’une réparation en nature, le préjudice moral fait l’objet d’une réparation par compensation, laquelle trouve son expression dans le versement d’une somme d’argent appelée traditionnellement indemnité -voire dommages-intérêts, même si ces deux notions ne présentent pas une synonymie parfaite. Si le traitement fiscal des indemnités compensant un préjudice moral doit être apprécié à l’égard de l’impôt direct (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés), on ne saurait pour autant faire abstraction de sa fiscalisation au regard de la TVA. 3 - .–TVA.–La question de l’assujettissement à la TVA des indemnités compensant un préjudice moral ne suscite pas de débat particulier, dans la mesure où elle a été définitivement tranchée par la jurisprudence. Une distinction doit ainsi être opérée entre les indemnités qui ont le caractère de dommages-intérêts, qui demeurent en dehors du champ d’application de la TVA, et celles qui ont un rapport direct ou indirect avec l’activité du bénéficiaire, et qui 1. La jurisprudence a ainsi eu l’occasion de retenir le préjudice moral subi par un contribuable en raison du comportement de l’administration à l’occasion d’une procédure de contrôle fiscal : CE, 3 nov. 1933, n° 13444, Gillard : Lebon, p. 995. 2. CE, 13 mars 2006, n° 260609, Rolland : RJF 6/06, n° 705. – CE, sect., 7 mars 2012, n° 330169, Blanchot et Kathy Blanchot : RJF 6/12, n° 597. 18 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024
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