1° Une nécessaire caractérisation de l’intention libérale du donateur 4 - Par un arrêt remarqué, la Cour de cassation a, d’abord, simplement affirmé que l’avantage résultant de la prise en charge des droits par le donateur constituait une donation indirecte2. Pourtant, outre un appauvrissement actuel et irrévocable du donateur, la caractérisation d’une libéralité requiert également l’intention libérale de ce dernier(C. civ., art 894). En effet, pour que la prise en charge des droits de donation soit analysée en une donation, encore faut-il que la preuve de l’animus donandi du donateur à cet égard soit rapportée. Aussi la Haute Juridiction a-t-elle ensuite affirmé de manière incidente, par un arrêt rendu en 2012 au sujet de la mise à disposition à titre gratuit d’un logement 3, que l’intention libérale devait être constatée pour que le règlement des droits par le donateur soit constitutif d’une donation indirecte. Dans l’affirmative, l’acte renferme donc deux donations : la première, consentie à titre principal, et la seconde, complémentaire, afférente à la prise en charge par le donateur des droits y afférents. 2° Une requalification aux conséquences parfois inattendues 5 - Si la nature de libéralité est reconnue concernant la prise en charge des droits par le donateur, il convient alors d’en tirer toutes les conséquences civiles et fiscales en découlant. Bien évidemment, plus le montant en question sera élevé, plus les incidences sur le règlement successoral futur pourront être dommageables pour le donataire. 6 - D’un point de vue civil, la donation indirecte est caractérisée en l’absence de toute précision quant au secteur d’imputation, ce qui conduit à la présumer consentie en avancement de part successorale(C. civ., art. 843). Se pose alors la question du montant du rapport correspondant. Comme la somme d’argent en question n’a pas vocation à faire l’objet d’un quelconque investissement par le donataire en l’acquisition d’un bien, c’est son montant nominal qui doit être rapporté à la succession(C. civ., art. 860-1)4. 7 - Fiscalement, les conséquences de cette qualification de l’opération en libéralité seront cependant neutres sur le coût successoral global. En application de la doctrine administrative favorable sur ce sujet, le fait que l’intention libérale permette de caractériser une donation indirecte n’emportera aucune incidence fiscale sur la succession du donateur, que son décès intervienne ou non dans les 15 ans suivant la donation5. En présence d’une donation rapportable, le mécanisme du moins prenant augmentant la masse fiscale à partager tout en diminuant d’autant la part de l’héritier donataire, l’assiette totale des droits de succession restera ainsi inchangée6. En revanche, la part du donataire, réduite en conséquence, sera ainsi moins lourdement taxée. Exemple Monsieur Pierre Dupont est décédé, laissant pour recueillir sa succession ses deux enfants, Anne et Benoît. Seize ans plus tôt, il avait consenti une donation à sa fille Anne d’un bien immobilier valant 250 000³et ayant une valeur de 300000³au décès et au partage (en raison d’une plusvalue fortuite). Le coût de cette donation s’était élevé à 20000³. Il a été intégralement réglé par monsieur Dupont et est constitutif d’une donation indirecte. Les biens existant au décès ont quant à eux une valeur de 600000³. La masse à partager entre les enfants est la suivante : – biens existant au décès et au partage 600000³ – rapport de la donation à Anne 300000³ – rapport de la donation indirecte à Anne (coût de l’acte réglé par le donateur) 20000³ Total à partager 920000³ Droits des enfants : la moitié de la masse pour chacun, soit 460000³ Attributions : * ÀAnne : – le montant du rapport de sa donation, soit 300000³ – le montant du rapport de sa donation indirecte, soit 20000³ – à prendre sur les biens existants 140000³ Soit un total égal à ses droits 460000³ * ÀBenoît : – à prendre sur les biens existants 460000³ Soit un total égal à ses droits 460000³ Détermination des droits de succession : *Anne : la moitié de la masse à partager 460000³ sous déduction du montant du rapport de sa donation, soit – 300000³ sous déduction du montant du rapport de sa donation indirecte, soit – 20000³ soit un montant taxable de 140000³ sous déduction de l’abattement de droit commun – 100 000³ montant net taxable 40000³ droits dus (tranche à 20 %) 6194³ * Benoît : 2. Cass. 1re civ., 25 févr. 2009, n° 07-20.010 : JCP N 2009, n° 45, 1303, note Fr. Sauvage ; Defrénois 2009, n° 15, p. 1545, note Fr. Douet ; Defrénois 2009, n° 15, p. 1598, note B. Vareille. – RTD civ. 2009, p. 559, note M. Grimaldi. 3. Cass.1re civ., 18 janv. 2012, n° 11-12.863. – V. Fr. Douet, Proposition d’analyse du paiement des droits de donation par le donateur : JCP N 2012, n° 49, 1396. 4. Cass.1re civ., 25 févr. 2009, n° 07-20.010, déjà cité, spéc. Defrénois 2009, n° 15, p. 1598, note B. Vareille. 5. En ce sens, V. not. B. Vareille (dir.), Mémento pratique Successions Libéralités 2024 : éd. Fr. Lefebvre, spéc. n° 6380. 6. Fr. Fruleux, La prise en charge des frais par le donateur et BOFiP-Impôts : JCP N 2013, n° 6, p. 47, spéc. n° 41 et 42. 12 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024
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