La Revues Fiscale du Patrimoine

L'administration fiscale entendait soumettre à l'impôt, en tant que revenu distribué, l'avantage – occulte – accordé par une société à son associé dirigeant en lui cédant des parts d'une société civile immobilière à un prix inférieur à leur valeur vénale (CGI, art. 111, c). Elle supportait la preuve notamment de l'existence d'un écart significatif entre cette valeur et le prix de cession déclaré (CE, sect., 28 févr. 2001, n° 199295 : JurisData n° 2001-061884 ; Lebon, p. 96 ; Dr. fisc. 2001, n° 26, comm. 592, concl. G. Bachelier ; Dr. sociétés 2001, comm. 120, note J.-L. Pierre). Elle se devait, en conséquence, de déterminer un chiffre aussi voisin que possible de celui qui serait résulté du jeu normal de l'offre et de la demande à la date de l'opération (CE, 26 mai 1982, n° 29053 : JurisData n° 1982-606895 ; Dr. fisc. 1983, n° 5, comm. 123, concl. D. Léger). Faute de transaction portant sur des titres de la même société ou de sociétés similaires, l'Administration pouvait s'orienter vers l'une des méthodes permettant de déterminer la valeur de l'actif de la personne morale dont les titres avaient été cédés, ou combiner plusieurs de ces méthodes (CE, 30 sept. 2019, n° 419855, Sté Hôtel Restaurant Luccotel : JurisData n° 2019-016700 ; Lebon T., p. 696 ; Dr. fisc. 2019, n° 48, comm. 465, concl. É. BokdamTognetti, note P. Fernoux ; Dr. fisc. 2019, n° 42, act. 443, M. Buchet ; RFP 2019, 121, note F. Versailles). C'est dans ce contexte juridique que le vérificateur avait choisi, dans la présente affaire, de recourir à la méthode d'évaluation dite « patrimoniale » ou « mathématique » permettant d'évaluer l'actif net de la personne morale et que la jurisprudence admet comme procédé exclusif si la situation particulière de la société l'exige (CE,7 avr.2023,n° 466247,min.c/ Sté CréditAgricole : LebonT. ; Dr.fisc.2023,n° 29, comm. 247, note E. Joannard-Lardant). L'actif de la société était ici principalement constitué d'un ensemble immobilier et cette méthode paraissait effectivement adaptée à la détermination de son actif net, corrigé, ainsi qu'il est exposé, d'une réévaluation des biens immobiliers seulement inscrits en comptabilité pour leur valeur d'acquisition. Le contribuable opposait la méthode suivie par son expert-comptable et basée sur la balance générale des comptes de la société civile immobilière. La cour écarte ces données frappées notamment d'incohérence, qui aboutissaient à une valeur unitaire des parts de 50³,alors qu'elle ressortait à plus de 2000³d'une déclaration de succession enregistrée moins de 2 années plus tôt. L'Administration se référa, d'une manière classique, à des transactions portant sur des biens quelque peu comparables et appliqua au résultat obtenu une décote prenant en compte l'absence de liquidité des parts, évaluée à 15 %. Une telle décote, admise dans son principe, est nécessairement approximative et peut être influencée par un engagement de rachat des titres, par exemple (CE, 3 juill. 2009, n° 301299 : JurisData n° 2009-081502 ; Lebon T., p. 726 ; Dr. fisc. 2009, n° 41, comm. 496, concl. L. Olléon, note R. Poirier). Aucun élément ne venait ici contredire le montant de la décote retenue. Après avoir confirmé le bien-fondé de la méthode suivie, la cour déroule le raisonnement habituel. L'Administration justifiait l'existence d'un écart significatif entre la valeur réelle des parts et celle déclarée. En outre, l'acquéreur des parts étant gérant associé de la société venderesse, preuve était ainsi également apportée de l'intention de celle-ci d'accorder une libéralité et de celui-là de l'accepter. Cette intention est présumée quand les parties sont en relation d'intérêts (CE, plén. fisc., 9 mai 2018, n° 387071, Sté Ceres : JurisData n° 2018007717 ; Lebon,p. 165 ; Dr.fisc.2018,n° 26, comm. 317, note F. Donnedieu de Vabres et Y. Chemama ; Dr. sociétés 2018, comm. 158, note J.-L. Pierre). Lucienne Erstein conseiller d'État honoraire PROCÉDURES FISCALES 87 Dénonciation au ministère public de la fraude fiscale et pouvoir de transaction de l'Administration Cass. crim., 23 mai 2024, n° 23-80.025, FS-B : JurisData n° 2024-007501 La Cour de cassation répond à la délicate question de savoir comment coordonner l'obligation pour l'administration fiscale de dénoncer au procureur de la République les faits de fraude fiscale d'une certaine gravité et son propre pouvoir de transiger avec le contribuable qui a déposé une déclaration rectificative. Depuis la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, l'article L. 228, I, du LPF impose à l'administration des impôts de dénoncer au procureur de la République les faits qu'elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle, qui ont conduit à l'application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000³, à certaines majorations, afin de permettre à ce magistrat d'apprécier l'opportunité de poursuivre ces faits sous la qualification de fraude fiscale. Le texte énonce toutefois que ce mécanisme ne s'applique pas aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative(al. 8). Il prévoit ensuite (II) que, sous peine d'irrecevabilité, les plaintes portant sur des faits autres que ceux mentionnés aux premier à cinquième alinéas du I sont déposées par l'Administration à son initiative, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. Il s'en déduit que la poursuite des faits les moins graves suppose une plainte de l'administration fiscale alors que, pour les faits les plus graves, c'est le procureur de la République qui décide seul des poursuites. La difficulté tranchée par l'arrêt du 23 mai 2024 était relative au cas où le contribuable dépose une déclaration rectificative, ce qui constitue une exception à l'obligation pour l'administration fiscale de dénoncer les faits au procureur de la République, cette déclaration permettant la mise en œuvre du pouvoir octroyé à l'Administration de transiger avec le contribuable, dans les conditions de l'article L. 247 du LPF. La question posée était de savoir si le devoir de dénoncer les faits au ministère public disparaît totalement en cas de déclaration rectificative ou s'il dépend de l'issue de la procédure de transaction. En l'espèce, la cour d'appel a annulé les poursuites pour fraude fiscale aux motifs que le contribuable avait procédé à des déclarations rectificatives spontanées ce qui avait pour conséquence que l'administration fiscale ne pouvait pas dénoncer les faits au procureur de la République et que la poursuite engagée par ce dernier était donc irrégulière. Cette décision est censurée par la chambre criminelle qui énonce, de manière générale, que le législateur, en instaurant le mécanisme précédemment décrit,a entendu poursuivre un but de transparence et d'objectivité des critères de mise en œuvre des poursuites pénales et d'accroissement des prérogatives du ministère public. S'agissant des rapports entre dénonciation au procureur de la République et pouvoir de transaction de l'Administration, elle énonce que l'exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable ayant déposé spontanément une déclaration rectificative constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire qui doit être appréciée strictement. Elle en déduit qu'une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l'administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en PANORAMA DE JURISPRUDENCE LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 9

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