La Revues Fiscale du Patrimoine

LES REVUES LEXISNEXIS LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE OPTIMISATION FISCALE DU PATRIMOINE PRIVÉ ET PROFESSIONNEL JUIN 2024 - N° 6 ISSN 2262-4147 11 > p. 11 Prise en charge des droits de donation par le donateur : piège ou opportunité ? Étude par Axelle MEILLER DROITS D’ENREGISTREMENT REPÈRE 6 > p. 1 La « transmission » par la fusion-absorption de la responsabilité pénale de la personne morale Par Olivier DEBAT ÉTUDE RESPONSABILITÉ 12 > p. 18 Le préjudice moral est-il fiscalement imposable ? Par Emmanuel CRUVELIER COMMENTAIRE PLUS-VALUES 10 > p. 25 Management packages : l’interposition d’une holding permet-elle d’échapper à la requalification en salaire ? Par Paul-Marie SCHNEIDER COMMENTAIRE IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS 11 > p. 32 Modalités d’option pour l’impôt sur les sociétés et théorie de l’apparence Par Nicolas NEZONDET COMMENTAIRE PROCÉDURES FISCALES 12 > p. 36 Action paulienne engagée par l’administration fiscale : l’insolvabilité du contribuable doit être avérée Par Marie MASCLET DE BARBARIN CAHIERS PRATIQUES 5 > p. 40 Fonds de dotation : une niche fiscale protectrice d’enjeux d’actualité Par Julian CROCHET et Julie LEPRETRE sous la direction de : OLIVIER DEBAT

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ÉDITORIAL 6 La « transmission » par la fusionabsorption de la responsabilité pénale de la personne morale Parmi le foisonnement jurisprudentiel incommensurable qui occupe au quotidien l’esprit des juristes et spécialement des fiscalistes, c’est une affaire pénale relative à une société ayant commis des infractions en matière d’urbanisme qui retient l’attention des dernières semaines (Cass. crim., 22 mai 2024, n° 23-83.180, FS-B : JurisData n° 2024-007449). Bien qu’elle n’ait pas de rapport a priori avec la matière fiscale, puisqu’il s’agissait d’un délit d’extension d’un camping, elle mérite d’être mise en évidence en raison des données factuelles de l’espèce, à savoir la réalisation d’une fusion-absorption de la société responsable des agissements délictueux. En toile de fond de la discussion juridique, figure le principe selon lequel nul n’est responsable pénalement que de son propre fait (C. pén., art. 121-1), étant ici rappelé par ailleurs que la responsabilité pénale de la personne morale n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits (C. pén., art. 121-2). Depuis un revirement du 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération de fusion, lorsque celle-ci entre dans le champ d’application de la directive européenne relative à la fusion des sociétés anonymes ou en présence d’une fraude à la loi (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955 : JurisData n° 2020-019279. – Cass. crim., 13 avr. 2022, n° 21-80.653 : JurisData n° 2022-005608). Sous réserve de ce dernier cas, les SARL n’étaient pas visées puisque n’entrant pas dans les prévisions de ladite directive, d’où en l’espèce la censure de l’arrêt d’appel qui avait commis sur ce point une erreur de droit. Mais, par une stratégie des petits pas, considérant que « sa doctrine était raisonnablement prévisible » depuis son arrêt précité de 2020, la chambre criminelle élargit la solution en retenant qu’en présence d’une telle opération l’activité économique exercée est poursuivie au niveau de la société absorbante « et qu’ainsi, la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la seconde avant l’opération de fusion-absorption. » (pt 10 de l’arrêt. – Rappr. le pt 24 de l’arrêt du 25 novembre 2020 à propos de l’article 6 de la Conv. EDH). Désormais, la solution s’applique donc à toute opération de fusion-absorption qui se traduit par une continuité économique et fonctionnelle de la personne morale. À travers cette évolution majeure, se dévoilent l’importance des analyses économiques en droit contemporain et la pénétration des considérations systémiques dans la sphère pénale (V. F. Vessio, Le droit pénal des affaires à l’aune de la défaillance économique, avant-propos O. Debat, préf. C. Mascala : LGDJ, Bibl. des sciences criminelles, t. 75, 2024). Ainsi, la fusion-absorption entraîne, pourrait-on dire, la transmission universelle du patrimoine et, avec elle, de la responsabilité pénale afférente, la sanction répressive existant en germe dans ledit patrimoine, bien qu’encore non prononcée. Dès lors, « la société absorbante peut en effet être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. » (pt 11 de l’arrêt). Toutefois, les autres formes de sanctions prévues, le cas échéant, par le texte répressif (l’exclusion des marchés publics...) ne paraissent pas exclues pour autant (C. pén., art. 131-39), compte tenu de la généralité de la solution posée. Le retour au domaine fiscal s’opère de lui-même, à travers la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux. Comme l’écrivait le regretté Christian Lopez, « l’ingéniosité des contribuables est sans limite dans la mise en œuvre aussi bien de montages frauduleux que de moyens pour échapper aux poursuites » (C. Lopez, Droit pénal fiscal : LGDJ, coll. Systèmes, 2012, p. 59). Désormais, la fusion-absorption ne permettra plus aux structures d’échapper à la responsabilité pénale en matière fiscale. Olivier Debat professeur agrégé à l’université Toulouse Capitole directeur du M2 Droit fiscal de l’entreprise directeur scientifique de la Revue fiscale du Patrimoine

Sommaire Éditorial 6 La « transmission » par la fusion-absorption de la responsabilité pénale de la personne morale O. Debat page1 Actualités FOCUS 73 Régime fiscal applicable aux associés de sociétés d’exercice libéral : l’Administration complète son rescrit page3 VEILLES 74à81 page3 Panorama de jurisprudence 82à89 page7 Études 11 Droits d’enregistrement Prise en charge des droits de donation par le donateur : piège ou opportunité ? A. Meiller page11 12 Responsabilité Le préjudice moral est-il fiscalement imposable ? E. Cruvelier page18 Jurisprudence commentée 10 Plus-values Management packages : l’interposition d’une holding permet-elle d’échapper à la requalification en salaire ? P.-M. Schneider page25 11 Impôt sur les sociétés Modalités d’option pour l’impôt sur les sociétés et théorie de l’apparence N. Nezondet page32 12 Procédures fiscales Action paulienne engagée par l’administration fiscale M. Masclet de Barbarin page36 Cahiers pratiques FICHE PRATIQUE 5 Philanthropie Fonds de dotation : une niche fiscale protectrice d’enjeux d’actualité J. Crochet et J. Lepretre page40

Actualités Focus 73 Régime fiscal applicable aux associés de sociétés d'exercice libéral : l'Administration complète son rescrit BOFiP-Impôts, actualités, 24 avr. 2024. – BOI-RES-BNC000136, 24 avr. 2024 Le 24 avril 2024, l'administration fiscale a publié une version actualisée de son rescrit relatif au régime fiscal applicable aux associés de sociétés d'exercice libéral (SEL). Elle y apporte de nouvelles précisions s'agissant notamment : ‰de la liste des charges déductibles par les associés de SEL ; ‰des modalités de déduction des cotisations prévues à l'article 154 bis du CGI : cotisations dites « Madelin » ; cotisations professionnelles acquittées par la SEL au nom et pour le compte de ses associés (notamment les cotisations à un contrat « Madelin ») ; autres cotisations obligatoires et facultatives ; ‰du traitement fiscal des honoraires rétrocédés directement par une SEL aux associés d'une société de participations financières de professions libérales (SPFPL), au titre de leur activité professionnelle au sein de cette SEL ; ‰du traitement fiscal des parts ou actions détenues par les associés d'une SEL. Et la liste des BOI concernés par le rescrit est actualisée en conséquence. AU JOURNAL OFFICIEL 74 Inéligibilité aux avantages fiscaux des dons faits au bénéfice d'organismes condamnés pour abus de faiblesse ou sujétion L. n° 2024-420, 10 mai 2024, art. 4 : JO 11 mai 2024 Le bénéfice de tout avantage fiscal, et donc notamment des réductions d'impôt (IR, IFI ou mécénat) pour dons au profit d'œuvres ou d'organismes d'intérêt général, est supprimé pour les versements effectués en faveur d'organismes ayant fait l'objet d'une condamnation pénale définitive ou dont les comptes révèlent une absence de conformité entre les objectifs poursuivis et les dépenses engagées, à compter du 15e jour qui suit la condamnation (CGI, art. 1378 octies). La liste des infractions pour lesquelles un organisme définitivement condamné peut perdre son éligibilité aux réductions d'impôt liées aux dons qui lui sont consentis par des contribuables a été récemment élargi par la loi confortant le respect des principes de la République. Pour les actes commis à compter du 26 août 2021, ce mécanisme d'exclusion concerne aussi : ‰les actes de terrorisme (C. pén., art. 421-1 à 421-2-6) ; ‰le blanchiment d'argent (C. pén., art. 324-1) ; ‰le recel (C. pén., art. 321-1) ; ‰l'usage de menaces, de violences ou de tout autre acte d'intimidation à l'égard d'un agent public ou de toute autre personne chargée d'une mission de service public (C. pén., art. 433-3-1) ; ‰l'atteinte à la vie d'autrui par la diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle (C. pén., art. 223-1-1) (CGI, art. 1378 octies, II mod. par L. n° 2021-1109, 24 août 2021, art. 20 : Dr. fisc. 2021, n° 37, act.464). L'article 4 de la loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes étend à nouveau le champ d'application de l'exclusion du bénéfice des avantages fiscaux attachés aux dons fait au profit d'organismes définitivement condamnés pour certaines infractions, en incluant parmi les infractions concernées : ‰le nouveau délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins ou à l'adoption de pratiques manifestement dangereuses (C.pén. art. 223-1-2créé par L. n° 2024-420, 10 mai 2024, art. 12) ; ‰le délit d'abus de faiblesse par sujétion psychologique (C. pén., art. 223-15-2mod. par L. n° 2024-420, 10 mai 2024, art. 3, I, 2°) ; ‰le nouveau délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique (C. pén., art. 223-15-3créé par L. n° 2024-420, 10 mai 2024, art. 3, I, 5°). À défaut de précision dans le texte, ces dispositions s'appliquent aux actes commis à compter du 12 mai 2024 (lendemain de la publication de la loi au Journal officiel). PROJETS, RAPPORTS, COMMUNIQUÉS 75 Le Sénat amende la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif Sénat, actualités, 21 mai 2024 (Locatif) Après l'Assemblée nationale le 29 janvier dernier, le Sénat a adopté à son tour la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale (Sénat, prop. de loi, TA n° 131, 21 mai 2024). LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 3

Alors que de nombreuses communes font face à une diminution de leur parc de résidences principales en raison de l'essor de la location de meublés touristiques, dans un contexte général de crise du logement, ce texte, pour rappel, dote les élus locaux de nouveaux outils, facultatifs, de régulation de la location meublée touristique, notamment : ‰en étendant le périmètre des communes pouvant mettre en œuvre le régime d'autorisation préalable au changement d'usage ; ‰en donnant la possibilité aux communes de décider de quotas d'autorisations temporaires de changement d'usage ; ‰en les dotant de la faculté de déterminer des zones où les constructions nouvelles de logements sont dédiées à l'usage de résidence principale. La proposition de loi entend également aligner progressivement les exigences de décence énergétique applicables aux meublés touristiques sur celles applicables aux résidences principales, afin de limiter le report des investissements du logement classique vers la location meublée touristique du fait d'exigences moins élevées. Elle prévoit par ailleurs de réduire les abattements fiscaux dans le cadre de l'imposition des revenus tirés de la location touristique, en maintenant des avantages supplémentaires pour les meublés classés et certaines communes situées dans des zones peu denses ou en montagne. Les sénateurs ont modifié le texte (et son intitulé, dont l'objectif est de renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale) avec des mesures pour équiper les élus locaux d'une« boîte à outils »de régulation des meublés de tourisme. Il s'agit en particulier de : ‰rendre plus opérationnelle la déclaration avec enregistrement – dispositif approuvé par près de 80 % des élus locaux consultés – grâce à l'accès systématique des communes et des EPCI aux données fiabilisées à l'aide de pièces justificatives, notamment concernant la preuve de résidence principale pour éviter les fraudes ; ‰doter les communes d'un pouvoir de suspension des numéros de déclaration en cas de fausse déclaration, lorsque le meublé est visé par un arrêté de péril, a fait l'objet d'un changement d'usage irrégulier ou est un logement social. Ce pouvoir de suspension donne aux communes un outil opérationnel permettant de faire rapidement cesser les manquements ; ‰exiger un niveau minimal de sécurité incendie des meublés lors de la déclaration avec enregistrement pour favoriser la sécurité des occupants et la qualité du tourisme. En outre, le Sénat a adopté des mesures visant à : ‰encourager la transition énergétique des meublés de tourisme et à éviter l'éviction du logement permanent vers la location touristique en raison des exigences de décence énergétique. À cet égard, il a notamment simplifié le dispositif introduit à l'Assemblée nationale et modifié le calendrier pour le rendre plus réaliste. Par exemple, les règles de décence énergétique des meublés de tourisme sont progressivement alignées avec les locations nues avec l'obligation d'atteindre la classe D dans un délai de 10 ans au lieu de 5, soit en 2034 ; ‰créer une possibilité d'injonction du juge aux plateformes en cas de non-transmission aux communes des données concernant la location de meublés touristiques sur leur territoire ; ‰renforcer les sanctions en cas de non-respect des autorisations de changement d'usage. 76 Déclaration d'occupation des biens immobiliers : nouveautés pour2024 Notaires de France, actualités, 2 mai 2024 (Fiscalité) Depuis 2023, les propriétaires de locaux d'habitation, qu'ils soient des personnes physiques ou morales, sont tenus de déclarer à l'administration fiscale certaines informations avant le 1er juillet de chaque année. Ces informations comprennent la nature de l'occupation des locaux (par exemple, s'ils sont utilisés comme résidence principale ou secondaire) et l'identité des occupants si les locaux sont occupés par des tiers. Cette déclaration doit normalement être faite en ligne sur le site impots.gouv.fr. À partir de 2024, il y aura quelques changements. Le Gouvernement a, en effet, décidé de fournir un formulaire papier pour faciliter la déclaration pour ceux qui n'ont pas accès à internet. De plus, la déclaration ne devra être effectuée qu'en cas de changement de la situation d'occupation. Si rien n'a changé depuis l'année précédente,aucune démarche n'est nécessaire. En cas de difficultés pour remplir la déclaration,les propriétaires pourront contacter le 0 809 401 401 ou se rendre directement à leur centre de finances publiques.Enfin,aucune amende pour défaut de déclaration d'occupation ne sera appliquée pour l'année 2023. 77 Retenue à la source sur les revenus salariés versés à des nonrésidents : primauté de l'appréciation conventionnelle de la résidence Minefi, communiqué n° 1809, 29 avr. 2024 (Retenue) Le 5 février, le Conseil d'État a retenu que la condition de domiciliation fiscale hors de France entraînant l'application de la retenue à la source sur les traitements, salaires, pensions et rentes viagères prévue à l'article 182 A du CGI devait s'apprécier au regard des dispositions de droit interne prévues à l'article 4 B du CGI, indépendamment de la « résidence fiscale » au sens des conventions fiscales internationales (CE, 5 févr. 2024, n° 469771). Autrement dit, même si une personne est considérée comme résidente fiscale d'un autre pays en vertu d'une convention fiscale internationale, elle peut toujours être soumise à la retenue à la source en France si elle est considérée comme fiscalement domiciliée en France selon l'article 4 B du CGI. Réagissant à cette décision, Bercy souligne qu'elle pourrait complexifier les modalités d'imposition des revenus de source française pour les contribuables concernés et créer une certaine insécurité juridique pour les débiteurs des sommes versées. Le ministère indique que la primauté de la notion de résident en droit conventionnel sur celle de domicile fiscal en droit interne reste en vigueur, comme exposé dans la documentation administrative (BOI-INT-DG-20-10-10, 12 sept. 2012). Ainsi, si une personne est considérée comme résidente d'un autre pays en vertu d'une convention fiscale internationale, cette résidence prévaut sur le domicile fiscal résultant des dispositions de l'article 4 B du CGI pour déterminer les modalités d'imposition. L'exécutif prévoit de confirmer ces règles dans une prochaine loi de finances afin de maintenir les modalités actuelles d'imposition de ces contribuables. 78 Bercy dévoile une batterie de mesures pour simplifier le quotidien des entreprises Minefi, actualités, 24 avr. 2024 (Plan d'action) Les ministres Bruno Le Maire, Olivia Grégoire et Stanislas Guerini ont présenté 52 mesures visant à simplifier et libérer l'économie française. Elles sont « la concrétisation de la volonté du Gouvernement de transformer l'action publique en simplifiant les démarches et en facilitant le 4 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024

développement des entreprises par l'accélération des procédures administratives ». Impossible d'égrainer l'ensemble des mesures annoncées par l'exécutif, au vu de leur nombre. En revanche, ci-après nous présentons une sélection de celles qui ont retenu l'attention de la Rédaction. Le « plan d'action simplification » vise déjà à simplifier drastiquement les démarches administratives des entreprises.Cela passerait notamment par les solutions suivantes : supprimer tous les formulaires Cerfa ; alléger la démarche à la source (moins de demandes d'autorisations obligatoires, moins de déclarations) ; permettre un accès unique aux démarches des entreprises dans un « espace entreprise » ; rationaliser les organismes de versement des aides publiques ; faciliter certains moments clés de la vie de l'entreprise. Il s'agit aussi de simplifier l'accès à la commande publique. L'État propose les solutions suivantes : faciliter l'accès à la commande publique en ligne ; simplifier le processus de candidature aux marchés publics ; améliorer les délais de paiement des acheteurs publics ; améliorer les conditions d'exécution des marchés publics ; unifier et accélérer le contentieux lié à la commande publique. Accompagner pour moins sanctionner est un autre axe d'amélioration. Cela implique de : développer les rescrits et les mettre à disposition du public ; développer les visites de conformité et l'offre de conseil ; simplifier et clarifier le traitement fiscal et social des avantages en nature et frais professionnels DGFiP/Urssaf (rapprocher les règles, les processus et la culture de la relation usager en prenant le meilleur de chaque organisme) ; rendre obligatoire un stage en entreprise pour les agents en charge du contrôle. L'objectif est aussi de limiter le risque contentieux et les différends, en revoyant certaines sanctions applicables aux chefs d'entreprise,en généralisant la médiation, en accélérant le traitement des recours contentieux devant la juridiction administrative ou en encore en réformant le droit des contrats spéciaux. L'exécutif entend également alléger les contraintes qui pèsent sur l'organisation des entreprises. Dans ce chantier, il est proposé de lever les sources de crispation qui ajoutent de la complexité inutilement, et de : créer un bulletin de paie simplifié ; simplifier et dématérialiser la gouvernance des entreprises ; diminuer les démarches lors d'une fusion ou d'un rachat. Le Gouvernement souhaite, par ailleurs, réduire et rationaliser le stock de normes et assurer une simplification durable. Il se fixe l'objectif, en outre, de simplifier la vie des très petites et petites entreprises, des indépendants et des artisans. Les solutions suivantes sont proposées pour concrétiser cette ambition : aligner les droits des professionnels et des particuliers en matière de clôture de compte bancaire ; encadrer à 6 mois les délais d'indemnisation en matière d'assurance dommages ; ouvrir la résiliation à tout moment des assurances dommages aux professionnels ; aligner les droits des professionnels et des particuliers en matière d'énergie ; alléger les obligations déclaratives liées à la « DAS 2 » et aux frais généraux ; donner une fois pour toutes mandat à l'expertcomptable ; simplifier les démarches sociales des indépendants ; fournir aux TPE des outils pour faciliter l'embauche et la contractualisation ; simplifier les démarches des entreprises du bâtiment et des travaux publics pour favoriser la rénovation énergétique du bâtiment. Il est aussi question de simplifier la vie des commerçants, pour lesquels les solutions suivantes seront développées : alléger la charge du bail commercial ; faciliter les travaux dans les commerces ; simplifier les autorisations d'exploitation commerciale (AEC) ; dématérialiser la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM). Autre objectif de l'exécutif : simplifier pour accélérer la transition énergétique et écologique de l'économie. Le Gouvernement prévoit, entre autres, de : simplifier l'installation de dispositifs d'énergie renouvelable ; faciliter le déploiement d'infrastructures énergétiques stratégiques ; simplifier les obligations redondantes pesant sur les biogaz. Simplifier pour innover, c'est un autre des axes du plan d'action simplification. Il s'agit de : faciliter l'innovation issue de la recherche, notamment en santé ; accélérer le versement du crédit d'impôt recherche (CIR) ; mieux prendre en compte l'enjeu d'innovation dans la régulation de la donnée. 79 Convention francoluxembourgeoise : fin d'application de la tolérance pour les revenusde2024 Communiqué, impots.gouv.fr, 24 avr. 2024 L'aménagement exceptionnel de la méthode d'élimination de la double imposition prévue par la convention fiscale entre la France et le Luxembourg, publié au BOFiP-Impôts le 11 octobre 2021, a récemment été à nouveau prorogé d'un an, pour s'appliquer à l'imposition des revenus de l'année 2023(BOI-INT-CVBLUX-30,8 avr.2024,§ 5 : Dr.fisc.2024,n° 16, act.158). Cette prorogation sera la dernière : la DGFiP a en effet précisé que les résidents de France percevant certains revenus de source luxembourgeoise pourront solliciter, pour la dernière fois pour l'imposition des revenus 2023, l'application des stipulations de l'ancienne convention relatives à l'élimination de la double imposition. Les revenus perçus à compter du 1er janvier 2024 seront imposés selon les modalités prévues par la nouvelle convention. RÉPONSES MINISTÉRIELLES 80 Pas de remise en cause de l'automaticité d'application de pénalités fiscales lors de retard de succession Rép. min. n° 16260 : JOAN 14 mai 2024, p. 3833 Le député André Chassaigne a interrogé le ministère chargé des Comptes publics sur la possibilité de revenir sur l'application automatique de pénalités fiscales en cas de retard dans le règlement d'une succession,pointant le fait que dans la plupart des cas, les héritiers ne sont pas responsables du retard. L'élu suggère que ces pénalités soient appliquées en fonction de la situation spécifique, plutôt que de manière systématique. En réponse, le ministère a expliqué que le dépôt tardif d'une déclaration de succession entraîne l'application d'intérêts de retard et de majorations. Les intérêts de retard ne sont pas une sanction, mais visent à indemniser l'État pour le retard dans l'encaissement de l'impôt. Les majorations, quant à elles, visent à inciter les contribuables à déposer leurs déclarations dans les délais requis. Cet objectif « ne peut être atteint que par l'application de majorations à caractère automatique, sans qu'il soit possible, au niveau législatif, de prendre en compte la grande diversité des situations susceptibles d'être rencontrées ». Reste que l'Administration peut réduire ou même de supprimer totalement ces pénalités dans les situations qui le justifient, après une analyse au cas par cas. Les contribuables qui n'ont pas été en mesure de déposer la déclaration de succession dans le délai légal peuvent en effet demander une remise des pénalités en précisant les circonstances qui ont empêché le respect du délai.En somme, bien que l'applicaACTUALITÉS LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 5

tion des pénalités soit automatique,il existe des mécanismes permettant de prendre en compte les situations spécifiques des contribuables et d'adapter les sanctions en conséquence. 81 Actifs professionnels : seuls sont exonérés les locaux loués meublés qui génèrent un résultat bénéficiaire Rép. min. n° 9897 : JOAN 9 avr. 2024, p. 2808 Les activités de location de locaux d'habitations loués meublés ou destinés à être loués meublés, sont considérées, sous certaines conditions, comme une activité commerciale ouvrant droit à l'exonération d'impôt sur la fortune immobilière des actifs professionnels, prévue à l'article 975 du CGI. Pour les personnes physiques, cette qualification d'activité commerciale est soumise à deux conditions : ‰les contribuables doivent réaliser à ce titre plus de 23 000³de recettes annuelles ; ‰et ils doivent retirer de cette activité plus de 50 % des revenus à raison desquels le foyer fiscal auquel ils appartiennent est soumis à l'IR dans les catégories des traitements et salaires, BIC,BA,BNC,RCM,revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62 du CGI (CGI, art. 975,V, 1°). Interrogé sur les modalités d'appréciation du seuil de 50 % lorsqu'il n'existe pas d'autres revenus catégoriels, que l'activité de loueur meublé professionnel est l'unique activité du foyer fiscal et qu'elle ne génère pas de bénéfice imposable au titre d'une année donnée, le ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a apporté les précisions suivantes. Il est rappelé, concernant cette condition de seuil : ‰lequel doit être comparé avec le revenu net global, c'est-à-dire après déduction des charges et abattements, du foyer fiscal dans toutes les catégories d'imposition précitées, y compris le bénéfice tiré de la location ; ‰et que la loi exige de comparer ces revenus avec les montants à raison desquels le foyer est imposable dans les catégories précitées. Il en résulte que la condition de seuil de 50 % n'a de pertinence que par comparaison des revenus issus de la location meublée avec d'autres revenus catégoriels. En présence d'une activité de loueur en meublé générant des recettes annuelles supérieures à 23 000³,mais dont le résultat est déficitaire, la condition de seuil de 50 % du revenu ne peut être considérée comme remplie. Ainsi, seuls les locaux loués meublés qui sont source de revenus pour le foyer et non de déficit sont éligibles au régime des actifs professionnels. Par conséquent, les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meublés qui dégagent un résultat déficitaire ne peuvent ouvrir droit, pour leurs propriétaires, à l'exonération des actifs professionnels prévue à l'article 975 du CGI. 6 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024

Panorama de jurisprudence IMPÔT SUR LA FORTUNE 82 Parts exonérées d'ISF d'une société : la condition d'activité Cass. com., 10 mai 2024, n° 22-18.812, F-B : JurisData n° 2024-006848 Si la société présente une activité mixte, ses parts n'entrent pas dans la base de l'impôt de solidarité sur la fortune de leurs détenteurs si l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale est exercée à titre principal et seulement pour la fraction de la valeur de ces parts nécessaire à cette activité. Qu'il s'agisse de l'impôt de solidarité sur la fortune (CGI,art. 885 O ter et 885 O quater) ou aujourd'hui de l'impôt sur la fortune immobilière (CGI,art. 975),les parts ou actions exclues des bases d'imposition en tant que biens professionnels doivent être celles des sociétés exerçant à titre principal une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.Il s'agit,juge aujourd'hui la Cour de cassation, d'une condition nécessaire et suffisante. Si la société exerce également une activité civile, celle-ci ne doit pas l'être à titre principal. Cette exigence étant remplie, il convient alors seulement de rechercher la fraction de la valeur des parts correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale qui seule est exclue des bases passibles de l'impôt. La société exerçait ici à titre principal une activité commerciale de syndic et d'administrateur de biens au profit des sociétés civiles immobilières dont elle détenait la presque totalité des parts. L'activité civile de gestion de son patrimoine ne présentait pas un caractère prépondérant et bien qu'elle lui rapportât des produits financiers importants, elle ne remettait pas en cause l'exonération d'une fraction de la valeur des parts. Une autre question se posait, celle de la qualification de la société qui détenait uniquement à son actif les parts de ces sociétés civiles. Qu'il s'agisse de l'exonération des droits de mutation à titre gratuit ou d'impôt sur la fortune, les parts d'une société holding animatrice de son groupe entrent dans le champ de l'exemption. Une telle société est réputée, en effet, avoir une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale si elle a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales qui exercent l'activité exigée. Les titres inscrits à l'actif de la holding sont présumés constituer des actifs nécessaires à son activité professionnelle, sauf preuve contraire apportée par l'Administration (Cass. com., 11 mai 2023, n° 2115.400 : JurisData n° 2023-007672 ; Bull. civ. IV ; Dr. fisc. 2023, 194 ; Dr. fisc. 2023, 251, J.-F. Desbuquois et J.Kozlowski).Mais si,comme dans la présente affaire, les filiales n'ont pas une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, la société mère ne peut pas être qualifiée de holding animatrice. Il convient alors de se reporter à sa propre activité et si elle a une nature opérationnelle à titre principal, l'exonération partielle est acquise, comme exposé ci-avant. Lucienne Erstein conseiller d'État honoraire 83 Plafonnement de l'ISF : revenus de parts de sociétés civiles Cass. com., 10 mai 2024, n° 22-18.988, F-B : JurisData n° 2024-006855 Les revenus imposables servant au calcul du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune (CGI, art. 885 V bis) sont, s'agissant des bénéfices réalisés par une société de personnes (CGI, art. 8), directement soumis à l'impôt sur le revenu au nom des associés, déterminés dans les conditions de droit commun, conduisant à exclure les gains latents, même s'ils correspondent aux modalités statutaires de détermination des résultats. Le juge judiciaire n'est pas le juge naturel de l'impôt sur le revenu, mais il lui arrive de devoir en apprécier les composantes, par exemple quand, comme dans la présente affaire, il s'agit de déterminer les règles de calcul du plafond de l'impôt de solidarité sur la fortune (CGI,art. 885 V bis) ou aujourd'hui de l'impôt sur la fortune immobilière (CGI, art. 979), et donc les revenus nets de frais professionnels venant en déduction du total de cet impôt et de l'impôt sur le revenu pour l'application de la réduction de 85 % (ISF) ou de 75 % (IFI). Le redevable de l'ISF était ici associé d'une société civile gérant un portefeuille mobilier constitué pour l'essentiel de contrats de capitalisation. La société n'avait pas opté pour l'impôt sur les sociétés et ses résultats étaient donc directement imposables au nom de ses associés au prorata de la quote-part leur LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 7

revenant (CGI, art. 8). La difficulté naquit de la décision statutaire de la société de déterminer les résultats en fonction de la valeur vénale réelle de son actif net, assurant ainsi une complète information des associés. Les comptes courants des associés étaient crédités de leur part de bénéfices, incluant ainsi les plus-values latentes sur le portefeuille mobilier détenu par la société. Mais l'imposition consécutive à l'impôt sur le revenu de ce gain potentiel se heurtait à deux difficultés. D'abord, sur un plan général, l'absence d'incidence fiscale d'une réévaluation libre des actifs par une société civile n'ayant pas opté pour l'impôt sur les sociétés (CE, 19 sept. 2018, n° 409864, SCI JMD : JurisData n° 2018-015838 ; Lebon T., p. 663 ; Dr. fisc. 2018, 423 ; Dr. fisc. 2019, 135, J. Chateauneuf), conduisant à exclure du revenu imposable au nom des associés les gains latents intégrés statutairement dans les bénéfices et répartis par inscription au compte courant de chaque associé (CE, 14 avr. 2022, n° 454264 : Lebon T. ; Dr. fisc. 2022, 155 ; Dr. fisc. 2022, 419, G. Abate). Ensuite, sur un plan plus spécifique, les dispositions de l'article 125-0 A du CGI qui ne soumettent à l'impôt sur le revenu les produits issus des contrats de capitalisation que lors du dénouement du contrat. Il y avait donc deux bonnes raisons pour que le plafonnement de l'ISF dû par l'un des associés soit déterminé, comme il le réclamait, non pas au vu de la somme inscrite sur son comptecourant incluant la plus-value latente sur les contrats de capitalisation, mais en neutralisant un tel gain. Lucienne Erstein conseiller d'État honoraire PLUS-VALUES 84 Conditions d'octroi de l'abattement de l'article 150-0 D ter du CGI applicable aux gains de cession de titres de PME CE, 26 avr. 2024, n° 453014 : Lebon T. Le Conseil d'État juge que les conditions d'octroi de l'abattement de l'article 150-0 D ter du CGI applicable aux gains de cession de titres de PME s'apprécient individuellement pour un couple marié sous le régime de la communauté universelle Par un arrêt du 26 avril 2024, le Conseil d'État précise que, compte-tenu de leur caractère dérogatoire à celles visées au 1 du I de l'article 150-0 A du CGI, les dispositions de l'article 150-0D ter du CGI doivent être interprétées strictement. Le bénéfice de l'abattement prévu par ce dernier texte en cas de cession de titres par des dirigeants prenant leur retraite est notamment subordonné à l'exercice, par le cédant, de fonctions de direction normalement rémunérées au sein de la société dont les titres sont cédés et à la cessation de toute fonction au sein de cette même société dans les 2 années suivant ou précédant la cession. En cas de cession réalisée par un couple marié, le respect de ces conditions s'apprécie nécessairement au niveau de chaque conjoint considéré individuellement.Si les personnes mariées sont soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles, cette règle n'implique pas, par elle-même, d'apprécier au niveau du foyer fiscal le respect des conditions d'éligibilité à l'abattement pour durée de détention applicable aux cessions réalisées par les dirigeants de sociétés lors de leur départ en retraite. La circonstance que les époux sont mariés sous le régime de la communauté, qu'il s'agisse de la communauté légale ou de la communauté universelle, est sans incidence sur l'appréciation individuelle que requiert l'application des dispositions fiscales en cause, y compris pour l'imposition de la part indivise de l'un des époux qui ne satisfait pas à la condition de départ à la retraite dans les 2 ans précédant ou suivant la cession des titres. Par cette décision, le Conseil d'État complète sa position antérieure par laquelle il a déjà eu l'occasion de préciser que pour un couple marié sous le régime de la communauté légale le respect des conditions du droit à l'abattement relatives à la personne du cédant s'apprécie au niveau de chaque conjoint pris isolément et non au niveau du foyer fiscal (CE,3e-8e ss-sect., 10 déc. 2014, n° 371437. – Et CE, 8e ch. (na), 8 févr. 2017, n° 396580). Marc Michel ancien avocat spécialisé en droit fiscal REVENUS DE CAPITAUX MOBILIERS 85 Rachat d'actions et réduction du capital : imposition des associés CAA Bordeaux, 16 avr. 2024, n° 22BX01822, Sté d'études et de réalisation de constructions outre-mer (SERCOM) : JurisData n° 2024-007949 Les sommes inscrites en réserve à la suite du rachat d'actions suivi d'une réduction du capital constituent, au moment de leur répartition entre les associés cédants, des revenus distribués (CGI, art. 109, 1°). L'opération était classique. Une société rachète des parts sociales à ses associés sortants puis les annule immédiatement pour réduire le capital social. La différence entre le prix total de rachat et la valeur nominale globale des parts rachetées a été comptabilisée dans un compte de réserves, puis attribuée aux associés sortants.La cour ne veut pas voir dans cette attribution la rémunération des parts, qui aurait justifié l'application du régime des plus-values (CGI, art. 112, 6°). Elle estime, comme le soutenait l'administration fiscale, être en présence de revenus distribués au sens du 1° de l'article 109 du CGI qui vise les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. Cette appréciation repose sur plusieurs éléments. La juridiction constate ainsi que la réduction du capital n'était pas motivée par des pertes. Surtout, elle se livre à une appréciation a contrario des dispositions du 1° de l'article 112 du même code qui excluent de la notion de revenus distribués les répartitions présentant pour les associés ou actionnaires le caractère de remboursements d'apport ou de primes d'émission, à condition que tous les bénéfices et réserves – autres que la réserve légale – aient été auparavant répartis. La finalité de l'opération fait entrer l'attribution en litige dans le champ de ces répartitions, dit la cour. Mais comme les autres réserves n'avaient pas été auparavant réparties, la condition exigée n'était pas remplie et ainsi apparaissaient les revenus distribués. L'assimilation à un remboursement d'apport ou à une prime d'émission de l'attribution aux associés cédants de la somme correspondant à la valeur de rachat des parts excédant leur valeur nominale prête quelque peu à hésitation. Lucienne Erstein conseiller d'État honoraire ÉVALUATION 86 Avantage occulte : cession de parts à un associé dirigeant CAA Marseille, 15 févr. 2024, n° 21MA02850 : JurisData n° 2024-007948 La méthode d'évaluation dite « patrimoniale » ou« mathématique » est justement utilisée par l'administration fiscale pour déterminer la valeur vénale des parts d'une société civile immobilière, propriétaire d'un ensemble immobilier. 8 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024

L'administration fiscale entendait soumettre à l'impôt, en tant que revenu distribué, l'avantage – occulte – accordé par une société à son associé dirigeant en lui cédant des parts d'une société civile immobilière à un prix inférieur à leur valeur vénale (CGI, art. 111, c). Elle supportait la preuve notamment de l'existence d'un écart significatif entre cette valeur et le prix de cession déclaré (CE, sect., 28 févr. 2001, n° 199295 : JurisData n° 2001-061884 ; Lebon, p. 96 ; Dr. fisc. 2001, n° 26, comm. 592, concl. G. Bachelier ; Dr. sociétés 2001, comm. 120, note J.-L. Pierre). Elle se devait, en conséquence, de déterminer un chiffre aussi voisin que possible de celui qui serait résulté du jeu normal de l'offre et de la demande à la date de l'opération (CE, 26 mai 1982, n° 29053 : JurisData n° 1982-606895 ; Dr. fisc. 1983, n° 5, comm. 123, concl. D. Léger). Faute de transaction portant sur des titres de la même société ou de sociétés similaires, l'Administration pouvait s'orienter vers l'une des méthodes permettant de déterminer la valeur de l'actif de la personne morale dont les titres avaient été cédés, ou combiner plusieurs de ces méthodes (CE, 30 sept. 2019, n° 419855, Sté Hôtel Restaurant Luccotel : JurisData n° 2019-016700 ; Lebon T., p. 696 ; Dr. fisc. 2019, n° 48, comm. 465, concl. É. BokdamTognetti, note P. Fernoux ; Dr. fisc. 2019, n° 42, act. 443, M. Buchet ; RFP 2019, 121, note F. Versailles). C'est dans ce contexte juridique que le vérificateur avait choisi, dans la présente affaire, de recourir à la méthode d'évaluation dite « patrimoniale » ou « mathématique » permettant d'évaluer l'actif net de la personne morale et que la jurisprudence admet comme procédé exclusif si la situation particulière de la société l'exige (CE,7 avr.2023,n° 466247,min.c/ Sté CréditAgricole : LebonT. ; Dr.fisc.2023,n° 29, comm. 247, note E. Joannard-Lardant). L'actif de la société était ici principalement constitué d'un ensemble immobilier et cette méthode paraissait effectivement adaptée à la détermination de son actif net, corrigé, ainsi qu'il est exposé, d'une réévaluation des biens immobiliers seulement inscrits en comptabilité pour leur valeur d'acquisition. Le contribuable opposait la méthode suivie par son expert-comptable et basée sur la balance générale des comptes de la société civile immobilière. La cour écarte ces données frappées notamment d'incohérence, qui aboutissaient à une valeur unitaire des parts de 50³,alors qu'elle ressortait à plus de 2000³d'une déclaration de succession enregistrée moins de 2 années plus tôt. L'Administration se référa, d'une manière classique, à des transactions portant sur des biens quelque peu comparables et appliqua au résultat obtenu une décote prenant en compte l'absence de liquidité des parts, évaluée à 15 %. Une telle décote, admise dans son principe, est nécessairement approximative et peut être influencée par un engagement de rachat des titres, par exemple (CE, 3 juill. 2009, n° 301299 : JurisData n° 2009-081502 ; Lebon T., p. 726 ; Dr. fisc. 2009, n° 41, comm. 496, concl. L. Olléon, note R. Poirier). Aucun élément ne venait ici contredire le montant de la décote retenue. Après avoir confirmé le bien-fondé de la méthode suivie, la cour déroule le raisonnement habituel. L'Administration justifiait l'existence d'un écart significatif entre la valeur réelle des parts et celle déclarée. En outre, l'acquéreur des parts étant gérant associé de la société venderesse, preuve était ainsi également apportée de l'intention de celle-ci d'accorder une libéralité et de celui-là de l'accepter. Cette intention est présumée quand les parties sont en relation d'intérêts (CE, plén. fisc., 9 mai 2018, n° 387071, Sté Ceres : JurisData n° 2018007717 ; Lebon,p. 165 ; Dr.fisc.2018,n° 26, comm. 317, note F. Donnedieu de Vabres et Y. Chemama ; Dr. sociétés 2018, comm. 158, note J.-L. Pierre). Lucienne Erstein conseiller d'État honoraire PROCÉDURES FISCALES 87 Dénonciation au ministère public de la fraude fiscale et pouvoir de transaction de l'Administration Cass. crim., 23 mai 2024, n° 23-80.025, FS-B : JurisData n° 2024-007501 La Cour de cassation répond à la délicate question de savoir comment coordonner l'obligation pour l'administration fiscale de dénoncer au procureur de la République les faits de fraude fiscale d'une certaine gravité et son propre pouvoir de transiger avec le contribuable qui a déposé une déclaration rectificative. Depuis la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, l'article L. 228, I, du LPF impose à l'administration des impôts de dénoncer au procureur de la République les faits qu'elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle, qui ont conduit à l'application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000³, à certaines majorations, afin de permettre à ce magistrat d'apprécier l'opportunité de poursuivre ces faits sous la qualification de fraude fiscale. Le texte énonce toutefois que ce mécanisme ne s'applique pas aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative(al. 8). Il prévoit ensuite (II) que, sous peine d'irrecevabilité, les plaintes portant sur des faits autres que ceux mentionnés aux premier à cinquième alinéas du I sont déposées par l'Administration à son initiative, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. Il s'en déduit que la poursuite des faits les moins graves suppose une plainte de l'administration fiscale alors que, pour les faits les plus graves, c'est le procureur de la République qui décide seul des poursuites. La difficulté tranchée par l'arrêt du 23 mai 2024 était relative au cas où le contribuable dépose une déclaration rectificative, ce qui constitue une exception à l'obligation pour l'administration fiscale de dénoncer les faits au procureur de la République, cette déclaration permettant la mise en œuvre du pouvoir octroyé à l'Administration de transiger avec le contribuable, dans les conditions de l'article L. 247 du LPF. La question posée était de savoir si le devoir de dénoncer les faits au ministère public disparaît totalement en cas de déclaration rectificative ou s'il dépend de l'issue de la procédure de transaction. En l'espèce, la cour d'appel a annulé les poursuites pour fraude fiscale aux motifs que le contribuable avait procédé à des déclarations rectificatives spontanées ce qui avait pour conséquence que l'administration fiscale ne pouvait pas dénoncer les faits au procureur de la République et que la poursuite engagée par ce dernier était donc irrégulière. Cette décision est censurée par la chambre criminelle qui énonce, de manière générale, que le législateur, en instaurant le mécanisme précédemment décrit,a entendu poursuivre un but de transparence et d'objectivité des critères de mise en œuvre des poursuites pénales et d'accroissement des prérogatives du ministère public. S'agissant des rapports entre dénonciation au procureur de la République et pouvoir de transaction de l'Administration, elle énonce que l'exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable ayant déposé spontanément une déclaration rectificative constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire qui doit être appréciée strictement. Elle en déduit qu'une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l'administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en PANORAMA DE JURISPRUDENCE LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024 9

œuvre de la dénonciation obligatoire les faits de fraude fiscale prévue par l'article L. 228, I, du LPF. Or, dans l'affaire soumise à la Cour de cassation,s'il existait bien une déclaration rectificative spontanée de la part du contribuable, la cour d'appel ne pouvait juger irrégulière la dénonciation des faits au ministère public alors que l'administration fiscale avait, préalablement à la transmission de cette dénonciation, rejeté la déclaration rectificative. En définitive, pour les faits les plus graves, l'Administration est soumise à une obligation de les dénoncer au procureur de la République sauf si la procédure de transaction avec le contribuable qui a déposé une déclaration rectificative répond aux conditions légales et permet à ce dernier d'éviter les poursuites pour fraude fiscale.Si tel n'est pas le cas, le devoir de dénoncer est maintenu et le procureur dispose de l'opportunité des poursuites. Jean-Yves Marechal professeur de droit pénal à l'université de Lille SOCIÉTÉS 88 Crédit-bail et SCI : levée d'option, transfert de propriété et conséquences fiscale CE, 26 avr. 2024, n° 472855 : Lebon T. La société CMM Finances,soumise à l'impôt sur les sociétés (IS), est associée à hauteur de 95 % de la société civile immobilière (SCI) La Gatine, soumise au régime fiscal prévu à l'article 8 du CGI, qui exerçait une activité de sous-location d'un immeuble nu qu'elle avait pris en crédit-bail. Par acte du 22 avril 2014, la société La Gatine a levé l'option d'achat prévue par le contrat de crédit-bail. À la suite d'un contrôle sur pièce, l'Administration a considéré que l'entrée de l'immeuble dans le patrimoine de la société La Gatine s'était traduite par un changement de nature de son activité, la société cessant d'exercer une activité de sous-location, dont les bénéfices relèvent, lorsqu'ils sont soumis à l'impôt sur le revenu, de la catégorie des bénéfices non commerciaux, au profit d'une activité de location, dont les bénéfices relèvent de la catégorie d'imposition des revenus fonciers. Elle a estimé que la cessation de l'activité initiale de la société La Gatine et son changement de régime fiscal avaient eu pour effet de rendre immédiatement imposable la plus-value correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'immeuble et son coût d'acquisition. L'Administration a en conséquence rehaussé les bénéfices de la société CMM Finances à hauteur de la fraction de cette plus-value correspondant à sa quote-part des résultats de la société La Gatine et l'a assujettie en conséquence à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de son exercice clos le 31 décembre 2014. La société CMM Finances a formé un pourvoi contre l'arrêt du 9 février 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles avait rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 15 septembre 2020 du tribunal administratif d'Orléans rejetant sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Selon les termes de l'article 218 bis du CGI, il résulte que les éventuelles conséquences fiscales qui s'attachent au transfert de propriété résultant de la levée de l'option d'achat d'un contrat de crédit-bail par une société relevant du régime fiscal prévu à l'article 8 du CGI doivent s'apprécier, pour les associés patrimoniaux de cette société, en appliquant les règles relatives à la catégorie d'imposition correspondant à l'activité de la société et, pour ses associés soumis à l'IS, en appliquant les règles relatives aux bénéfices industriels et commerciaux. Pour rejeter l'appel de la société CMM Finances, la cour administrative d'appel s'était fondée, comme l'administration fiscale avant elle,sur ce que la société La Gatine, soumise au régime fiscal prévu à l'article 8 du CGI, qui exerçait une activité de sous-location d'immeuble nu pris en crédit-bail dont les bénéfices relevaient de la catégorie des bénéfices non commerciaux,avait cessé cette activité du fait de l'entrée de cet immeuble dans son patrimoine à la suite de la levée d'option d'achat prévue par le contrat de crédit-bail au profit d'une activité de location du même immeuble, dont les bénéfices relevaient de la catégorie des revenus fonciers, ce qui avait eu pour effet de rendre immédiatement taxable, entre les mains de chacun de ses associés, à hauteur de leur quote-part respective, la plusvalue correspondant à la différence entre la valeur réelle de cet immeuble et son coût d'acquisition. Le Conseil d'État annule l'arrêt d'appel. En statuant ainsi,alors qu'il résulte que,dès lors que la société CMM finances est soumise à l'IS, c'est au regard des règles applicables aux bénéfices industriels et commerciaux que la cour aurait dû apprécier les éventuelles conséquences fiscales du transfert de propriété résultant de la levée d'option d'achat du contrat de crédit-bail. TAXES DIVERSES 89 Taxe sur la valeur vénale des immeubles : un actionnariat réel Cass. com., 10 mai 2024, n° 21-11.230, publié au Bulletin : JurisData n° 2024-007386 Les actionnaires, associés ou autres membres, dont la déclaration de l'identité et de l'adresse fait partie des conditions d'exonération de la taxe sur la valeur vénale des immeubles (CGI, art. 990 D et 990 E, 3°, d et e), sont les bénéficiaires économiques réels des actions, parts ou autres droits,et non des bénéficiaires éventuels. La taxe sur la valeur vénale des immeubles est due par toutes les personnes morales, organismes, fiducies ou institutions, qui possèdent des immeubles en France (CGI,art. 990 D).Des exonérations sont prévues, qui concernent notamment ces personnes et organismes s'ils déclarent chaque année à l'administration fiscale en particulier l'identité et l'adresse des actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent plus de 1 % des actions, parts ou autres droits (CGI, art. 990 E, 3°, d et e). L'actionnariat ainsi déclaré doit correspondre à une réalité économique dont la preuve doit être apportée par la personne morale redevable (Cass. com., 12 oct. 2022, n° 20-14.073 : JurisData n° 2022-016639 ; Bull. civ. IV ; Dr. fisc. 2022, n° 42, act. 390). Il doit s'agir, comme l'énonce le présent arrêt, des bénéficiaires économiques réels des droits en cause, et non des bénéficiaires éventuels. Dans l'affaire aujourd'hui jugée, le redevable de la taxe était une fondation qui, par nature, n'a pas d'associés, ni d'autres membres, constate la cour.Elle était donc dans l'incapacité de désigner,pour chaque année,un bénéficiaire actuel. Le bénéficiaire futur de son patrimoine n'était qu'hypothétique et l'ancienneté de sa désignation ne lui conférait pas la réalité économique exigée. Lucienne Erstein conseiller d'État honoraire 10 LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 6, JUIN 2024

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